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De brillants reflets couraient sur sa noire chevelure, tordue derrière sa tête, et nuançaient d’une chaude couleur d’ambre l’ivoire de ses petites mains laborieuses, qui maniaient l’aiguille avec une incomparable agilité.

Les longs plis de sa robe brune, sur laquelle tranchait la dentelure d’un tablier vert, cachaient à demi son fauteuil de paille; ses deux jolis pieds, toujours parfaitement chaussés, s’appuyaient au rebord d’un tabouret placé devant elle.

Ainsi qu’un grand seigneur s’amuse quelquefois par caprice à cacher les murs d’une chaumière sous d’éblouissantes draperies, un moment le soleil couchant illumina cette chambrette de mille feux chatoyants, moira de reflets dorés les rideaux de perse grise et verte, fit étinceler le poli des meubles de noyer, miroiter le carrelage du sol comme du cuivre rouge et entoura d’un grillage d’or la cage des oiseaux de la grisette.

Mais, hélas! malgré la joyeuseté provocante de ce rayon de soleil, les deux canaris mâle et femelle voletaient d’un air inquiet et, contre leur habitude, ne chantaient pas.

C’est que, contre son habitude, Rigolette ne chantait pas.

Tous trois ne gazouillaient guère les uns sans les autres. Presque toujours le chant frais et matinal de celle-ci donnait l’éveil aux chansons de ceux-là, qui, plus paresseux, ne quittaient pas leur nid de si bonne heure.

C’étaient alors des défis, des luttes de notes claires, sonores, perlées, argentines, dans lesquelles les oiseaux ne remportaient pas toujours l’avantage.

Rigolette ne chantait plus… parce que pour la première fois de sa vie elle éprouvait un chagrin.

Jusqu’alors l’aspect de la misère des Morel l’avait souvent affectée; mais de tels tableaux sont trop familiers aux classes pauvres pour leur causer des sentiments très-durables.

Après avoir presque chaque jour secouru ces malheureux autant qu’elle le pouvait, sincèrement pleuré avec eux et sur eux, la jeune fille se sentait à la fois émue et satisfaite… émue de ces infortunes… satisfaite de s’y être montrée pitoyable.

Mais ce n’était pas là un chagrin.

Bientôt la gaieté naturelle du caractère de Rigolette reprenait son empire… Et puis, sans égoïsme, mais par un simple fait de comparaison, elle se trouvait si heureuse dans sa petite chambre en sortant de l’horrible réduit des Morel que sa tristesse éphémère se dissipait bientôt.

Cette mobilité d’impression était si peu entachée de personnalité que, par un raisonnement d’une touchante délicatesse, la grisette regardait presque comme un devoir de faire la part des plus malheureux qu’elle, pour pouvoir jouir sans scrupule d’une existence bien précaire sans doute, et entièrement acquise par son travail, mais qui, auprès de l’épouvantable détresse de la famille du lapidaire, lui paraissait presque luxueuse.

– Pour chanter sans remords, lorsqu’on a auprès de soi des gens si à plaindre, disait-elle naïvement, il faut leur avoir été aussi charitable que possible.

Avant d’apprendre au lecteur la cause du premier chagrin de Rigolette, nous désirons le rassurer et l’édifier complètement sur la vertu de cette jeune fille.

Nous regrettons d’employer le mot de vertu, mot grave, pompeux, solennel, qui entraîne presque toujours avec soi des idées de sacrifice douloureux, de lutte pénible contre les passions, d’austères méditations sur la fin des choses d’ici-bas.

Telle n’était pas la vertu de Rigolette.

Elle n’avait ni lutté ni médité.

Elle avait travaillé, ri et chanté.

Sa sagesse, ainsi qu’elle le disait simplement et sincèrement à Rodolphe, dépendait surtout d’une question de temps… Elle n’avait pas le loisir d’être amoureuse.

Avant tout, gaie, laborieuse, ordonnée, l’ordre, le travail, la gaieté, l’avaient, à son insu, défendue, soutenue, sauvée.

On trouvera peut-être cette morale légère, facile et joyeuse; mais qu’importe la cause, pourvu que l’effet subsiste?

Qu’importe la direction des racines de la plante, pourvu que sa fleur s’épanouisse pure, brillante et parfumée?…

À propos de notre utopie sur les encouragements, les secours, les récompenses que la société devrait accorder aux artisans remarquables par d’éminentes qualités sociales, nous avons parlé de cet espionnage de la vertu, un des projets de l’empereur.

Supposons cette féconde pensée du grand homme réalisée!…

Un de ces vrais philanthropes, chargés par lui de rechercher le bien, a découvert Rigolette.

Abandonnée, sans conseils, sans appui, exposée à tous les dangers de la pauvreté, à toutes les séductions dont la jeunesse et la beauté sont entourées, cette charmante fille est restée pure; sa vie honnête, laborieuse, pourrait servir d’enseignement et d’exemple.

Cette enfant ne méritera-t-elle pas, non une récompense, non un secours, mais quelques touchantes paroles d’approbation, d’encouragement, qui lui donneront la conscience de sa valeur, qui la rehausseront à ses propres yeux, qui l’obligeront même pour l’avenir?

Car elle saura qu’on la suit d’un regard plein de sollicitude et de protection dans la voie difficile où elle marche avec tant de courage et de sérénité.

Car elle saura que si un jour le manque d’ouvrage ou la maladie menaçait de rompre l’équilibre de cette vie pauvre et préoccupée qui repose tout entière sur le travail et sur la santé, un léger secours dû à ses mérites passés lui viendrait en aide.

L’on se récriera sans doute sur l’impossibilité de cette surveillance tutélaire dont seraient entourées les personnes particulièrement dignes d’intérêt par leurs excellents antécédents.

Il nous semble que la société a déjà résolu ce problème.

N’a-t-elle pas imaginé la surveillance de la haute police à vie ou à temps, dans le but, d’ailleurs fort utile, de contrôler incessamment la conduite des personnes dangereuses signalées par leurs détestables antécédents?

Pourquoi la société n’exercerait-elle pas aussi une surveillance de haute charité morale?

Mais descendons de la sphère des utopies et revenons à la cause du premier chagrin de Rigolette.

Sauf Germain, candide et grave jeune homme, les voisins de la grisette avaient pris tout d’abord son originale familiarité, ses offres de bon voisinage, pour des agaceries très-significatives; mais ces messieurs avaient été obligés de reconnaître, avec autant de surprise que de dépit, qu’ils trouveraient dans Rigolette un aimable et gai compagnon pour leurs récréations dominicales, une voisine serviable et bonne enfant, mais non pas une maîtresse.

Leur surprise et leur dépit, très-vifs d’abord, cédèrent peu à peu devant la franche et charmante humeur de la grisette; et puis, ainsi qu’elle l’avait judicieusement dit à Rodolphe, ses voisins étaient fiers le dimanche d’avoir au bras une jolie fille qui leur faisait honneur de plus d’une manière (Rigolette se souciait peu des apparences), et qui ne leur coûtait que le partage de modestes plaisirs dont sa présence et sa gentillesse doublaient le prix.

D’ailleurs la chère fille se contentait si facilement!… Dans les jours de pénurie elle dînait si bien et si gaiement avec un beau morceau de galette chaude où elle mordait de toutes les forces de ses petites dents blanches! Après quoi elle s’amusait tant d’une promenade sur les boulevards ou dans les passages!