Выбрать главу

– Eh bien?

– Hier encore j’ai reçu une lettre d’Anjou… on ne sait rien. En arrivant à Paris j’ai commencé mes recherches… je suis allé d’abord à l’ancien domicile du frère de Mme de Fermont. Là on m’a dit qu’elle demeurait sur le quai du canal Saint-Martin.

– Et cette adresse?

– Avait été la sienne, mais on ignorait son nouveau logement. Malheureusement, jusqu’à présent mes recherches ont été inutiles. Après mille vaines tentatives avant de désespérer tout à fait, je me suis décidé à venir ici: peut-être Mme de Fermont, qui, par un motif inexplicable, ne m’a demandé ni aide ni appui, aura eu recours à mon fils comme au fils du meilleur ami de son mari. Sans doute ce dernier espoir est bien peu fondé… mais je ne veux rien avoir négligé pour retrouver cette pauvre femme et sa fille.

Depuis quelques minutes Mme de Lucenay écoutait le comte avec un redoublement d’attention; tout à coup elle dit:

– En vérité, il serait bien singulier qu’il s’agît des mêmes personnes… auxquelles s’intéresse Mme d’Harville…

– Quelles personnes? demanda le comte.

– La veuve dont vous parlez est jeune encore, n’est-ce pas? Sa figure est très-noble?

– Sans doute; mais comment savez-vous…

– Sa fille, belle comme un ange, a seize ans au plus?

– Oui… oui…

– Et elle s’appelle Claire?

– Oh! de grâce! dites, où sont-elles?

– Hélas! je l’ignore…

– Vous l’ignorez?

– Voici ce qui est arrivé: une femme de ma société, Mme d’Harville, est venue chez moi me demander si je ne connaissais pas une femme veuve dont la fille se nommait Claire, et dont le frère se serait suicidé; Mme d’Harville s’adressait à moi, parce qu’elle avait vu ces mots: «Écrire à Mme de Lucenay», tracés au bas d’un brouillon de lettre que cette malheureuse femme écrivait à une personne inconnue, dont elle réclamait l’appui.

– Elle voulait vous écrire… à vous, et pourquoi?

– Je l’ignore… je ne la connais pas.

– Mais elle vous connaissait, elle! s’écria M. de Saint-Remy, frappé d’une idée subite.

– Que dites-vous?

– Cent fois elle m’avait entendu parler de votre père, de vous, de votre généreux et excellent cœur. Dans son infortune, elle aura songé à recourir à vous.

– En effet, cela peut s’expliquer ainsi.

– Et Mme d’Harville… comment avait-elle eu ce brouillon de lettre en sa possession?

– Je l’ignore; tout ce que je sais, c’est que, sans savoir encore où étaient réfugiées cette pauvre mère et sa fille, elle était, je crois, sur leurs traces.

– Alors je compte sur vous, Clotilde, pour m’introduire auprès de Mme d’Harville; il faut que je la voie aujourd’hui.

– Impossible! Son mari vient d’être victime d’un effroyable accident; une arme qu’il ne croyait pas chargée est partie entre ses mains, il a été tué sur le coup.

– Ah! c’est horrible!

– La marquise est aussitôt partie pour aller passer les premiers temps de son deuil chez son père, en Normandie.

– Clotilde, je vous en conjure, écrivez-lui aujourd’hui, demandez-lui les renseignements qu’elle possède déjà; puisqu’elle s’intéresse à ces pauvres femmes, dites-lui qu’elle n’aura pas de plus chaleureux auxiliaire que moi; mon seul désir est de retrouver la veuve de mon ami et de partager avec elle et avec sa fille le peu que je possède. Maintenant c’est ma seule famille.

– Toujours le même, toujours généreux et dévoué! Comptez sur moi, j’écrirai aujourd’hui même à Mme d’Harville. Où adresserai-je ma réponse?

– À Asnières, poste restante.

– Quelle bizarrerie! Pourquoi vous loger là, et pas à Paris?

– J’exècre Paris, à cause des souvenirs qu’il me rappelle, dit M. de Saint-Remy d’un air sombre; mon ancien médecin, le docteur Griffon, avec qui je suis resté en correspondance, possède une petite maison de campagne sur le bord de la Seine, près d’Asnières; il ne l’habite pas l’hiver, il me l’a proposée; c’était presque un faubourg de Paris; je pouvais, après m’être livré à mes recherches, trouver là l’isolement qui me plaît… J’ai accepté.

– Je vous écrirai donc à Asnières; je puis d’ailleurs vous donner déjà un renseignement qui pourra vous servir peut-être… et que je dois à Mme d’Harville… La ruine de Mme de Fermont a été causée par la friponnerie du notaire chez qui était placée toute la fortune de votre parente… Ce notaire a nié le dépôt.

– Le misérable!… Et il se nomme?

– M. Jacques Ferrand, dit la duchesse, sans pouvoir dissimuler son envie de rire.

– Que vous êtes étrange, Clotilde! Il n’y a rien que de sérieux, que de triste dans tout ceci, et vous riez! dit le comte surpris et mécontent.

En effet, Mme de Lucenay, au souvenir de l’amoureuse déclaration du notaire, n’avait pu réprimer un mouvement d’hilarité.

– Pardon, mon ami, reprit-elle; c’est que ce notaire est un homme fort singulier… et l’on raconte de lui des choses fort ridicules… Mais, sérieusement, si sa réputation d’honnête homme n’est pas plus méritée que sa réputation de saint homme (et je déclare celle-ci usurpée), c’est un grand misérable!

– Et il demeure?

– Rue du Sentier.

– Il aura ma visite… Ce que vous me dites de lui coïnciderait alors assez avec certains soupçons…

– Quels soupçons?