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Le comte se leva.

– Je ne veux pas que mon nom soit déshonoré, dit-il froidement à Florestan.

– Ah! mon père!… Mon sauveur, s’écria chaleureusement le vicomte; et il allait se précipiter dans les bras de son père, lorsque celui-ci, d’un geste glacial, calma cet entraînement.

– On vous attend jusqu’à trois heures… chez cet homme qui a le faux?

– Oui, mon père… il est deux heures…

– Passons dans votre cabinet… donnez-moi de quoi écrire.

– Voici, mon père.

Le comte s’assit devant le bureau de Florestan et écrivit d’une main ferme:

«Je m’engage à payer ce soir à dix heures les vingt-cinq mille francs que doit mon fils.

«Comte de SAINT-REMY»

– Votre créancier ne veut que de l’argent; malgré ses menaces, cet engagement de moi le fera consentir à un nouveau délai; il ira chez M. Dupont, banquier, rue de Richelieu, n° 7, qui lui répondra de la valeur de cet acte.

– Ô mon père!… Comment jamais…

– Vous m’attendrez ce soir… à dix heures, je vous apporterai l’argent… Que votre créancier se trouve ici…

– Oui, mon père: et après-demain je pars pour l’Afrique… Vous verrez si je suis ingrat!… Alors, peut-être, lorsque je serai réhabilité, vous accepterez mes remerciements.

– Vous ne me devez rien; j’ai dit que mon nom ne serait pas déshonoré davantage; il ne le sera pas, dit simplement M. de Saint-Remy en prenant sa canne qu’il avait déposée sur le bureau; et il se dirigea vers la porte.

– Mon père, votre main, au moins! reprit Florestan d’un ton suppliant.

– Ici, ce soir, à dix heures, dit le comte en refusant sa main.

Et il sortit.

– Sauvé!… s’écria Florestan radieux. Sauvé! Puis il reprit, après un moment de réflexion: Sauvé à peu près… N’importe, c’est toujours cela… Peut-être ce soir lui avouerai-je l’autre chose. Il est en train… il ne voudra pas s’arrêter en si beau chemin, et que son premier sacrifice reste inutile faute d’un second… Et encore, pourquoi lui dire?… Qui saura jamais?… Au fait, si rien ne se découvre, je garderai l’argent qu’il me donnera pour éteindre cette dernière dette… J’ai eu de la peine à l’émouvoir, ce diable d’homme!!! L’amertume de ses sarcasmes m’avait fait douter de sa bonne résolution; mais ma menace de suicide, la crainte de voir son nom flétri, l’ont décidé; c’était bien là qu’il fallait frapper… Il est sans doute beaucoup moins pauvre qu’il n’affecte de l’être… S’il possède une centaine de mille francs, il a dû faire des économies en vivant comme il vit… Encore une fois, sa venue est un coup du sort… Il a l’air sauvage, mais au fond je le crois bon homme… Courons chez cet huissier!

Il sonna. M. Boyer parut.

– Comment ne m’avez-vous pas averti que mon père était ici? Vous êtes d’une négligence…

– Par deux fois j’ai voulu adresser la parole à monsieur le vicomte, qui rentrait avec M. Badinot par le jardin; mais monsieur le vicomte, probablement préoccupé de son entretien avec M. Badinot, m’a fait signe de la main de ne pas l’interrompre… Je ne me suis pas permis d’insister… Je serais désolé que monsieur le vicomte pût me croire coupable de négligence…

– C’est bien… Dites à Edwards de me faire tout de suite atteler Orion, non, Plower au cabriolet.

M. Boyer s’inclina respectueusement.

Au moment où il allait sortir, on frappa.

M. Boyer regarda le vicomte d’un air interrogatif.

– Entre! dit Florestan.

Un second valet de chambre parut, tenant à la main un petit plateau de vermeil.

M. Boyer s’empara du plateau avec une sorte de jalouse prévenance, de respectueux empressement, et vint le présenter au vicomte.

Celui-ci y prit une assez volumineuse enveloppe scellée d’un cachet de cire noire.

Les deux serviteurs se retirèrent discrètement.

Florestan ouvrit l’enveloppe. Elle contenait vingt-cinq mille francs en bons du Trésor… sans autre avis.

– Décidément, s’écria-t-il avec joie, la journée est bonne… Sauvé! Cette fois, et pour le coup complètement sauvé… je cours chez le joaillier… et encore…, se dit-il, peut-être… Non, attendons on ne peut avoir aucun soupçon sur moi… Vingt-cinq mille francs sont bons à garder… Pardieu! je suis bien sot de jamais douter de mon étoile… au moment où elle semble obscurcie, ne reparaît-elle pas plus brillante encore?… Mais d’où vient cet argent? l’écriture de l’adresse m’est inconnue… voyons le cachet… le chiffre. Mais oui, oui… je ne me trompe pas… un N et un L… c’est Clotilde! Comment a-t-elle su? Et pas un mot… c’est bizarre! Quel à-propos!… Ah! mon Dieu! j’y songe… je lui avais donné rendez-vous ce matin… Ces menaces de Badinot m’ont bouleversé… J’ai oublié Clotilde… après m’avoir attendu au rez-de-chaussée, elle s’en sera allée?… Sans doute, cet envoi est un moyen délicat de me faire entendre qu’elle craint de se voir oubliée pour des embarras d’argent. Oui, c’est un reproche indirect de ne m’être pas adressé à elle comme toujours… Bonne Clotilde; toujours la même! Généreuse comme une reine! Quel dommage d’en être venu là avec elle… encore si jolie! Quelquefois j’en ai regret… mais je ne me suis adressé à elle qu’à la dernière extrémité. J’y ai été forcé.

– Le cabriolet de monsieur le vicomte est avancé, vint dire M. Boyer.

– Qui a apporté cette lettre? lui demanda Florestan.

– Je l’ignore, monsieur le vicomte.

– Au fait, je le demanderai en bas.

– Mais dites-moi, il n’y a personne au rez-de-chaussée? ajouta le vicomte en regardant Boyer d’un air significatif.

– Il n’y a plus personne, monsieur le vicomte.

«Je ne m’étais pas trompé, pensa Florestan, Clotilde m’a attendu et s’en est allée.»

– Si monsieur le vicomte voulait avoir la bonté de m’accorder deux minutes, dit Boyer.

– Dites et dépêchez-vous.

– Edwards et moi nous avons appris que M. le duc de Montbrison désirait monter sa maison; si monsieur le vicomte voulait être assez bon pour lui proposer la sienne toute meublée, ainsi que son écurie toute montée… ce serait pour moi et pour Edwards une très-bonne occasion de nous défaire de tout, et pour monsieur le vicomte peut-être une bonne occasion de motiver cette vente.