– Assassin!… Moi!…
– Oui, parce que vous êtes lâche!
– J’ai eu des duels, et j’ai prouvé…
– Je vous dis que vous êtes lâche! Vous avez préféré l’infamie à la mort! Un jour viendrait où vous préféreriez l’impunité de vos nouveaux crimes à la vie d’autrui. Cela ne peut pas être, je ne veux pas que cela soit. J’arrive à temps pour sauver du moins désormais mon nom d’un déshonneur public. Il faut en finir.
– Comment, mon père… en finir! Que voulez-vous dire? s’écria Florestan de plus en plus effrayé de l’expression redoutable de la figure de son père et de sa pâleur croissante.
Tout à coup on heurta violemment à la porte du cabinet; Florestan fit un mouvement pour aller ouvrir, afin de mettre un terme à une scène qui l’effrayait, mais le comte le saisit d’une main de fer et le retint.
– Qui frappe? demanda le comte.
– Au nom de la loi, ouvrez!… Ouvrez!… dit une voix.
– Ce faux n’était donc pas le dernier? s’écria le comte à voix basse, en regardant son fils d’un air terrible.
– Si, mon père… je vous le jure, dit Florestan en tâchant en vain de se débarrasser de la vigoureuse étreinte de son père.
– Au nom de la loi… ouvrez!… répéta la voix.
– Que voulez-vous? demanda le comte.
– Je suis le commissaire de police; je viens procéder à des perquisitions pour un vol de diamants dont est accusé M. de Saint-Remy… M. Baudoin, joaillier, a des preuves. Si vous n’ouvrez pas, monsieur… je serai obligé de faire enfoncer la porte.
– Déjà voleur! Je ne m’étais pas trompé, dit le comte à voix basse. Je venais vous tuer… j’ai trop tardé.
– Me tuer!
– Assez de déshonneur sur mon nom; finissons: j’ai là deux pistolets… vous allez vous brûler la cervelle… sinon, moi, je vous la brûle, et je dirai que vous vous êtes tué de désespoir pour échapper à la honte.
Et le comte, avec un effrayant sang-froid, tira de sa poche un pistolet et, de la main qu’il avait de libre, le présenta à son fils en lui disant:
– Allons! finissons, si vous n’êtes pas un lâche!
Après de nouveaux et inutiles efforts pour échapper aux mains du comte, son fils se renversa en arrière, frappé d’épouvante, et devint livide.
Au regard terrible, inexorable de son père, il vit qu’il n’y avait aucune pitié à attendre de lui.
– Mon père! s’écria-t-il.
– Il faut mourir!
– Je me repens!
– Il est trop tard!… Entendez-vous!… Ils ébranlent la porte!
– J’expierai mes fautes!
– Ils vont entrer! Il faut donc que ce soit moi qui te tue?
– Grâce!
– La porte va céder! Tu l’auras voulu!…
Et le comte appuya le canon de l’arme sur la poitrine de Florestan.
Le bruit extérieur annonçait qu’en effet la porte du cabinet ne pouvait résister plus longtemps.
Le vicomte se vit perdu.
Une résolution soudaine et désespérée éclata sur son front; il ne se débattit plus contre son père, et lui dit avec autant de fermeté que de résignation:
– Vous avez raison, mon père… donnez cette arme. Assez d’infamie sur mon nom, la vie qui m’attend est affreuse, elle ne vaut pas la peine d’être disputée. Donnez cette arme. Vous allez voir si je suis lâche. Et il étendit sa main vers le pistolet. – Mais, au moins, un mot, un seul mot de consolation, de pitié, d’adieu, dit Florestan.
Et ses lèvres tremblantes, sa pâleur, sa physionomie bouleversée annonçaient l’émotion terrible de ce moment suprême.
«Si c’était mon fils pourtant! pensa le comte avec terreur, en hésitant à lui remettre le pistolet. Si c’est mon fils, je dois encore moins hésiter devant ce sacrifice.»
Un long craquement de la porte du cabinet annonça qu’elle venait d’être forcée.
– Mon père… ils entrent… Oh! je le sens maintenant, la mort est un bienfait… Merci… merci… mais au moins, votre main, et pardonnez-moi!
Malgré sa dureté, le comte ne put s’empêcher de tressaillir et de dire d’une voix émue:
– Je vous pardonne.
– Mon père… la porte s’ouvre… allez à eux… qu’on ne vous soupçonne pas au moins… Et puis, s’ils entrent ici, ils m’empêcheraient d’en finir… Adieu.
Les pas de plusieurs personnes s’entendirent dans la pièce voisine.
Florestan se posa le canon du pistolet sur le cœur.
Le coup partit au moment où le comte, pour échapper à cet horrible spectacle, détournait la vue et se précipitait hors du salon, dont les portières se refermèrent sur lui.
Au bruit de l’explosion, à la vue du comte pâle et égaré, le commissaire s’arrêta subitement près du seuil de la porte, faisant signe à ses agents de ne pas avancer.
Averti par Boyer que le vicomte était enfermé avec son père, le magistrat comprit tout et respecta cette grande douleur.
– Mort!… s’écria le comte en cachant sa figure dans ses mains… mort!!! répéta-t-il avec accablement. Cela était juste… mieux vaut la mort que l’infamie… mais c’est affreux!
– Monsieur, dit tristement le magistrat après quelques minutes de silence, épargnez-vous un douloureux spectacle, quittez cette maison… Maintenant il me reste à remplir un autre devoir plus pénible encore que celui qui m’appelait ici.
– Vous avez raison, monsieur, dit M. de Saint-Remy. Quant à la victime du vol, vous pouvez lui dire de se présenter chez M. Dupont, banquier.
– Rue de Richelieu… il est bien connu, répondit le magistrat.
– À quelle somme sont estimés les diamants volés?
– À trente mille francs environ, monsieur; la personne qui les a achetés, et par laquelle le vol s’est découvert, en a donné cette somme… à votre fils.
– Je pourrai encore payer cela, monsieur. Que le joaillier se trouve après-demain chez mon banquier, je m’entendrai avec lui.
Le commissaire s’inclina.
Le comte sortit.
Après le départ de ce dernier, le magistrat, profondément touché de cette scène inattendue, se dirigea lentement vers le salon, dont les portières étaient baissées.
Il les souleva avec émotion.
– Personne!… s’écria-t-il stupéfait, en regardant autour du salon et n’y voyant pas la moindre trace de l’événement tragique qui avait dû s’y passer.
Puis, remarquant la petite porte pratiquée dans la tenture, il y courut.
Elle était fermée du côté de l’escalier dérobé.
– C’était une ruse… c’est par là qu’il aura pris la fuite! s’écria-t-il avec dépit.
En effet, le vicomte, devant son père, s’était posé le pistolet sur le cœur, mais il avait ensuite fort habilement tiré par-dessous son bras et avait prestement disparu.
Malgré les plus actives recherches dans toute la maison, on ne put retrouver Florestan.