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Le joaillier entra, portant plusieurs écrins dans un grand sac de peau.

– Tiens, c’est M. Baudoin! dit M. de Lucenay.

– À vous rendre mes devoirs, monsieur le duc.

– Je suis sûr que c’est vous qui ruinez ma femme avec vos tentations infernales et éblouissantes? dit M. de Lucenay.

– Mme la duchesse s’est contentée de faire seulement remonter ses diamants cet hiver, dit le joaillier avec un léger embarras. Et justement, en venant chez M. le marquis, je les ai portés à Mme la duchesse.

M. de Saint-Remy savait que Mme de Lucenay, pour venir à son aide, avait changé ses pierreries pour des diamants faux; il fut désagréablement frappé de cette rencontre… mais il reprit audacieusement:

– Ces maris sont-ils curieux! ne répondez donc pas, monsieur Baudoin.

– Curieux! ma foi, non, dit le duc; c’est ma femme qui paye… elle peut se passer toutes ses fantaisies… elle est plus riche que moi…

Pendant cet entretien, M. Baudoin avait étalé sur un bureau plusieurs admirables colliers de rubis et de diamants.

– Quel éclat!… et que ces pierres sont divinement taillées! dit lord Douglas.

– Hélas! monsieur, répondit le joaillier, j’employais à ce travail un des meilleurs lapidaires de Paris; le malheur veut qu’il soit devenu fou, et jamais je ne retrouverai un ouvrier pareil. Ma courtière en pierreries m’a dit que c’est probablement la misère qui lui a fait perdre la tête, à ce pauvre homme.

– La misère!… Et vous confiez des diamants à des gens dans la misère!

– Certainement, monsieur, et il est sans exemple qu’un lapidaire ait jamais rien détourné, quoique ce soit un rude et pauvre état que le leur.

– Combien ce collier? demanda M. d’Harville.

– Monsieur le marquis remarquera que les pierres sont d’une eau et d’une coupe magnifiques, presque toutes de la même grosseur.

– Voici des précautions oratoires des plus menaçantes pour votre bourse, dit M. de Saint-Remy en riant; attendez-vous, mon cher d’Harville, à quelque prix exorbitant.

– Voyons, monsieur Baudoin, en conscience, votre dernier mot? dit M. d’Harville.

– Je ne voudrais pas faire marchander monsieur le marquis… Le dernier prix sera de quarante-deux mille francs.

– Messieurs! s’écria M. de Lucenay, admirons d’Harville en silence, nous autres maris… Ménager à sa femme une surprise de quarante-deux mille francs!… Diable! n’allons pas ébruiter cela, ce serait d’un exemple détestable.

– Riez tant qu’il vous plaira, messieurs, dit gaiement le marquis. Je suis amoureux de ma femme, je ne m’en cache pas; je le dis, je m’en vante!

– On le voit bien, reprit M. de Saint-Remy; un tel cadeau en dit plus que toutes les protestations du monde.

– Je prends donc ce collier, dit M. d’Harville, si toutefois cette monture d’émail noir vous semble de bon goût, Saint-Remy.

– Elle fait encore valoir l’éclat des pierreries; elle est disposée à merveille!

– Je me décide pour ce collier, dit M. d’Harville. Vous aurez, monsieur Baudoin, à compter avec M. Doublet, mon homme d’affaires.

– M. Doublet m’a prévenu, monsieur le marquis, dit le joaillier, et il sortit après avoir remis dans son sac, sans les compter (tant sa confiance était grande), les diverses pierreries qu’il avait apportées, et que M. de Saint-Remy avait longtemps et curieusement maniées et examinées durant cet entretien.

M. d’Harville, donnant le collier à Joseph qui avait attendu ses ordres, lui dit tout bas:

– Il faut que Mlle Juliette mette adroitement ces diamants avec ceux de sa maîtresse, sans que celle-ci s’en doute, pour que la surprise soit plus complète.

À ce moment, le maître d’hôtel annonça que le déjeuner était servi; les convives du marquis passèrent dans la salle à manger et s’attablèrent.

– Savez-vous, mon cher d’Harville, dit M. de Lucenay, que cette maison est une des plus élégantes et des mieux distribuées de Paris?

– Elle est assez commode, en effet, mais elle manque d’espace… mon projet est de faire ajouter une galerie sur le jardin. Mme d’Harville désire donner quelques grands bals, et nos salons ne suffiraient pas. Puis je trouve qu’il n’y a rien de plus incommode que les empiétements des fêtes sur les appartements que l’on occupe habituellement, et dont elles vous exilent de temps à autre.

– Je suis de l’avis de d’Harville, dit M. de Saint-Remy; rien de plus mesquin, de plus bourgeois que ces déménagements forcés par autorité de bals ou de concerts… Pour donner des fêtes vraiment belles sans se gêner, il faut leur consacrer un emplacement particulier; et puis de vastes éblouissantes salles, destinées à un bal splendide, doivent avoir un tout autre caractère que celui des salons ordinaires: il y a entre ces deux espèces d’appartements la même différence qu’entre la peinture à fresque monumentale et les tableaux de chevalet.

– Il a raison, dit M. d’Harville; quel dommage, messieurs, que Saint-Remy n’ait pas douze à quinze cent mille livres de rentes! Quelles merveilles il nous ferait admirer!

– Puisque nous avons le bonheur de jouir d’un gouvernement représentatif, dit le duc de Lucenay, le pays ne devrait-il pas voter un million par an à Saint Remy, et le charger de représenter à Paris le goût et l’élégance française qui décideraient du goût et de l’élégance de l’Europe… du monde?

– Adopté! cria-t-on en chœur.

– Et l’on prélèverait ce million annuel, en manière d’impôt, sur ces abominables fesse-mathieux qui, possesseurs de fortunes énormes, seraient prévenus, atteints et convaincus de vivre comme des grippe-sous, ajouta M. de Lucenay.

– Et comme tels, reprit M. d’Harville, condamnés à défrayer des magnificences qu’ils devraient étaler.

– Sans compter que ces fonctions de grand prêtre, ou plutôt de grand maître de l’élégance, reprit M. de Lucenay, dévolues à Saint-Remy, auraient, par l’imitation, une prodigieuse influence sur le goût général.

– Il serait le type auquel on voudrait toujours ressembler.

– C’est clair.

– Et en tâchant de le copier, le goût s’épurerait.

– Au temps de la Renaissance, le goût est devenu partout excellent, parce qu’il se modelait sur celui des aristocraties, qui était exquis.

– À la grave tournure que prend la question, reprit gaiement M. d’Harville, je vois qu’il ne s’agit plus que d’adresser une pétition aux chambres pour l’établissement de la charge de grand maître de l’élégance française.

– Et comme les députés, sans exception, passent pour avoir des idées très-grandes, très-artistiques et très-magnifiques, cela sera voté par acclamation.

– En attendant la décision qui consacrera en droit la suprématie que Saint-Remy exerce en fait, dit M. d’Harville, je lui demanderai ses conseils pour la galerie que je vais faire construire: car j’ai été frappé de ses idées sur la splendeur des fêtes.

– Mes faibles lumières sont à vos ordres, d’Harville.