– Tu l’aimes donc?
– Ah! mon Dieu oui!… Il faut bien que j’aie un prétexte pour aller le voir en prison… Avoue que je suis une drôle de fille, dit Rigolette en étouffant un soupir et en riant dans ses larmes, comme dit le poëte.
– Tu es bonne et généreuse comme toujours, dit Fleur-de-Marie en pressant tendrement les mains de son amie.
Mme Séraphin en avait sans doute assez appris par l’entretien des deux jeunes filles, car elle dit presque brusquement à Fleur-de-Marie:
– Allons, allons, ma chère demoiselle, partons; il est tard, voilà un quart d’heure de perdu.
– A-t-elle l’air bougon, cette vieille!… Je n’aime pas sa figure, dit tout bas Rigolette à Fleur-de-Marie. Puis elle reprit tout haut: Quand tu viendras à Paris, ma bonne Goualeuse, ne m’oublie pas; ta visite me ferait tant de plaisir! Je serais si contente de passer une journée avec toi, de te montrer mon petit ménage, ma chambre, mes oiseaux!… J’ai des oiseaux… c’est mon luxe.
– Je tâcherai de t’aller voir, mais certainement je t’écrirai; allons, adieu, Rigolette, adieu… Si tu savais comme je suis heureuse de t’avoir rencontrée!
– Et moi donc… mais ce ne sera pas la dernière fois, je l’espère; et puis je suis si impatiente de savoir si ton M. Rodolphe est le même que le mien… Écris-moi bien vite à ce sujet, je t’en prie.
– Oui, oui… adieu, Rigolette.
– Adieu, ma bonne petite Goualeuse.
Et les deux jeunes filles s’embrassèrent tendrement en dissimulant leur émotion.
Rigolette entra dans la prison pour voir Louise, grâce au permis que lui avait fait obtenir Rodolphe.
Fleur-de-Marie monta en fiacre avec Mme Séraphin, qui ordonna au cocher d’aller aux Batignolles et de s’arrêter à la barrière.
Un chemin de traverse très-court conduisait de cet endroit presque directement au bord de la Seine, non loin de l’île du Ravageur.
Fleur-de-Marie, ne connaissant pas Paris, n’avait pu s’apercevoir que la voiture suivait une autre route que celle de la barrière Saint-Denis. Ce fut seulement lorsque le fiacre s’arrêta aux Batignolles qu’elle dit à Mme Séraphin, qui l’invitait à descendre:
– Mais il me semble, madame, que ce n’est pas là le chemin de Bouqueval… Et puis comment irons-nous à pied d’ici jusqu’à la ferme?
– Tout ce que je puis vous dire, ma chère demoiselle, reprit cordialement la femme de charge, c’est que j’exécute les ordres de vos bienfaiteurs et que vous leur feriez grand-peine si vous hésitiez à me suivre…
– Oh! madame, ne le pensez pas! s’écria Fleur-de-Marie; vous êtes envoyée par eux, je n’ai aucune question à vous adresser… Je vous suis aveuglément; dites-moi seulement si Mme Georges se porte toujours bien.
– Elle se porte à ravir.
– Et M. Rodolphe?
– Parfaitement bien aussi.
– Vous le connaissez donc, madame; mais tout à l’heure, quand je parlais de lui avec Rigolette, vous n’en avez rien dit?
– Parce que je ne devais rien en dire… apparemment. J’ai mes ordres…
– C’est lui qui vous les a donnés?
– Est-elle curieuse, cette chère demoiselle, est-elle curieuse! dit en riant la femme de charge.
– Vous avez raison; pardonnez mes questions, madame. Puisque nous allons à pied à l’endroit où vous me conduisez, ajouta Fleur-de-Marie en souriant doucement, je saurai bientôt ce que je désire tant de savoir.
– En effet, ma chère demoiselle, avant un quart d’heure, nous serons arrivées.
La femme de charge, ayant laissé derrière elle les dernières maisons des Batignolles, suivit avec Fleur-de-Marie un chemin gazonné bordé de noyers.
Le jour était tiède et beau, le ciel à demi-voilé de nuages empourprés par le couchant; le soleil, commençant à décliner, jetait ses rayons obliques sur les hauteurs de Colombes, de l’autre côté de la Seine.
À mesure que Fleur-de-Marie approchait des bords de la rivière, ses joues pâles se coloraient légèrement; elle aspirait avec délices l’air vif et pur de la campagne.
Sa touchante physionomie exprimait une satisfaction si douce que Mme Séraphin lui dit:
– Vous semblez bien contente, ma chère demoiselle?
– Oh! oui, madame… je vais revoir Mme Georges, peut-être M. Rodolphe… j’ai de pauvres créatures très-malheureuses à leur recommander… j’espère qu’on les soulagera… comment ne serais-je pas contente? Si j’étais triste, comment ma tristesse ne s’effacerait-elle pas? Et puis, voyez donc… le ciel est si gai avec ses nuages roses! Et le gazon… est-il vert malgré la saison! et là-bas… là-bas… derrière ces saules, la rivière… est-elle grande, mon Dieu! Le soleil y brille, c’est éblouissant… on dirait des reflets d’or… Il brillait ainsi tout à l’heure dans l’eau du petit bassin de la prison… Dieu n’oublie pas les pauvres prisonniers… il leur donne aussi leur rayon de soleil, ajouta Fleur-de-Marie avec une sorte de pieuse reconnaissance; puis, ramenée par le souvenir de sa captivité à mieux apprécier encore le bonheur d’être libre, elle s’écria dans un élan de joie naïve:
– Ah! madame… et là-bas, au milieu de la rivière, voyez donc cette jolie petite île bordée de saules et de peupliers, avec cette maison blanche au bord de l’eau… comme cette habitation doit être charmante l’été quand tous les arbres sont couverts de feuilles; quel silence, quelle fraîcheur on doit y trouver!
– Ma foi, dit Mme Séraphin avec un sourire étrange, je suis ravie que vous trouviez cette île jolie.
– Pourquoi cela, madame?
– Parce que nous y allons.
– Dans cette île?
– Oui, cela vous surprend?
– Un peu, madame.
– Et si vous trouviez là vos amis?
– Que dites-vous?
– Vos amis rassemblés pour fêter votre sortie de prison? ne seriez-vous pas encore plus agréablement surprise?
– Il serait possible! Mme Georges… M. Rodolphe…
– Tenez, ma chère demoiselle, je n’ai pas plus de défense qu’un enfant… avec votre petit air innocent vous me feriez dire ce que je ne dois pas dire.
– Je vais les revoir… oh! madame, comme mon cœur bat!
– N’allez donc pas si vite, je conçois votre impatience, mais je puis à peine vous suivre… petite folle…
– Pardon, madame, j’ai tant de hâte d’arriver…
– C’est bien naturel… je ne vous en fais pas un reproche, au contraire…
– Voici le chemin qui descend, il est mauvais, voulez-vous mon bras, madame?
– Ce n’est pas de refus, ma chère demoiselle… car vous êtes leste et ingambe, et moi je suis vieille.
– Appuyez-vous sur moi, madame, n’ayez pas peur de me fatiguer…
– Merci, ma chère demoiselle, votre aide n’est pas de trop, cette descente est si rapide… enfin nous voici dans une belle route.
– Ah! madame, il est donc vrai, je vais revoir Mme Georges? je ne puis le croire.