– Mieux… J’ai eu hier de ses nouvelles; il semble avoir de temps en temps quelques moments lucides; on a bon espoir de le guérir de sa folie… Allons, courage, et à bientôt, ma voisine… Vous n’avez besoin de rien? Le gain de votre travail vous suffit toujours?
– Oh! oui, monsieur Rodolphe; je prends un peu sur mes nuits, et ce n’est guère dommage, allez, car je ne dors presque plus.
– Hélas! ma pauvre petite voisine, je crains bien que papa Crétu et Ramonette ne chantent plus beaucoup s’ils vous attendent pour commencer.
– Vous ne vous trompez pas, monsieur Rodolphe; mes oiseaux et moi nous ne chantons plus, mon Dieu non; mais, tenez, vous allez vous moquer, eh bien! il me semble qu’ils comprennent que je suis triste; oui, au lieu de gazouiller gaiement quand j’arrive, ils font un petit ramage si doux, si plaintif, qu’ils ont l’air de vouloir me consoler. Je suis folle, n’est-ce pas, de croire cela, monsieur Rodolphe?
– Pas du tout; je suis sûr que vos bons amis les oiseaux vous aiment trop pour ne pas s’apercevoir de votre chagrin.
– Au fait, ces pauvres petites bêtes sont si intelligentes! dit naïvement Rigolette, très-contente d’être rassurée sur la sagacité de ses compagnons de solitude.
– Sans doute, rien de plus intelligent que la reconnaissance. Allons, adieu… Bientôt, ma voisine, avant peu, je l’espère, vos jolis yeux seront redevenus bien vifs, vos joues bien roses, et vos chants si gais, si gais, que papa Crétu et Ramonette pourront à peine vous suivre.
– Puissiez-vous dire vrai, monsieur Rodolphe! reprit Rigolette avec un grand soupir. Allons, adieu, mon voisin.
– Adieu, ma voisine, et à bientôt.
Rodolphe, ne pouvant comprendre comment Mme Georges avait, sans l’en prévenir, amené ou envoyé Fleur-de-Marie à Paris, se rendit chez lui pour envoyer un exprès à la ferme de Bouqueval.
Au moment où il rentrait rue Plumet, il vit une voiture de poste s’arrêter devant la porte de l’hôteclass="underline" c’était Murph qui revenait de Normandie.
Le squire y était allé, nous l’avons dit, pour déjouer les sinistres projets de la belle-mère de Mme d’Harville et de Bradamanti son complice.
X Murph et Polidori
La figure de sir Walter Murph était rayonnante.
En descendant de voiture, il remit à un des gens du prince une paire de pistolets, ôta sa longue redingote de voyage et, sans prendre le temps de changer de vêtements, il suivit Rodolphe, qui, impatient, l’avait précédé dans son appartement.
– Bonne nouvelle, monseigneur, bonne nouvelle! s’écria le squire lorsqu’il se trouva seul avec Rodolphe; les misérables sont démasqués, M. d’Orbigny est sauvé… vous m’avez fait partir à temps… Une heure de retard… un nouveau crime était commis!
– Et Mme d’Harville?
– Elle est tout à la joie que lui cause le retour de l’affection de son père, et tout au bonheur d’être arrivée, grâce à vos conseils, assez à temps pour l’arracher à une mort certaine.
– Ainsi, Polidori…
– Était encore cette fois le digne complice de la belle-mère de Mme d’Harville. Mais quel monstre que cette belle-mère!… Quel sang-froid! Quelle audace!… Et ce Polidori!… Ah! monseigneur, vous avez bien voulu quelquefois me remercier de ce que vous appeliez mes preuves de dévouement…
– J’ai toujours dit les preuves de ton amitié, mon bon Murph…
– Eh bien! monseigneur, jamais, non, jamais cette amitié n’a été mise à une plus rude épreuve que dans cette circonstance, dit le squire d’un air moitié sérieux, moitié plaisant.
– Comment cela?
– Les déguisements de charbonnier, les pérégrinations dans la Cité, et tutti quanti, cela n’a rien été, monseigneur, rien absolument, auprès du voyage que je viens de faire avec cet infernal Polidori.
– Que dis-tu? Polidori…
– Je l’ai ramené…
– Avec toi?
– Avec moi… Jugez… quelle compagnie… pendant douze heures côte à côte avec l’homme que je méprise et que je hais le plus au monde. Autant voyager avec un serpent… ma bête d’antipathie.
– Et où est Polidori, maintenant?
– Dans la maison de l’allée des Veuves… sous bonne et sûre garde…
– Il n’a donc fait aucune résistance pour te suivre?
– Aucune… Je lui ai laissé le choix d’être arrêté sur-le-champ par les autorités françaises ou d’être mon prisonnier allée des Veuves: il n’a pas hésité.
– Tu as eu raison, il vaut mieux l’avoir ainsi sous la main. Tu es un homme d’or, mon vieux Murph; mais raconte-moi ton voyage… Je suis impatient de savoir comment cette femme indigne et son indigne complice ont été enfin démasqués.
– Rien de plus simple: je n’ai eu qu’à suivre vos instructions à la lettre pour terrifier et écraser ces infâmes. Dans cette circonstance, monseigneur, vous avez sauvé, comme toujours, des gens de bien, et puni des méchants. Noble providence que vous êtes!…
– Sir Walter, sir Walter, rappelez-vous les flatteries du baron de Graün…, dit Rodolphe en souriant.
– Allons, soit, monseigneur. Je commencerai donc ou plutôt vous voudrez bien lire d’abord cette lettre de Mme la marquise d’Harville, qui vous instruira de tout ce qui s’est passé avant que mon arrivée ait confondu Polidori.
– Une lettre?… Donne vite.
Murph, remettant à Rodolphe la lettre de la marquise, ajouta:
– Ainsi que cela était convenu, au lieu d’accompagner Mme d’Harville chez son père, j’étais descendu à une auberge servant de tournebride, à deux pas du château, où je devais attendre que Mme la marquise me fît demander.
Rodolphe lut ce qui suit avec une tendre et impatiente sollicitude:
«Monseigneur,
«Après tout ce que je vous dois déjà, je vous devrai la vie de mon père!…
«Je laisse parler les faits: ils vous diront mieux que moi quels nouveaux trésors de gratitude envers vous je viens d’amasser dans mon cœur.
«Comprenant toute l’importance des conseils que vous m’avez fait donner par sir Walter Murph, qui m’a rejointe sur la route de Normandie, presque à ma sortie de Paris, je suis arrivée en toute hâte au château des Aubiers.
Je ne sais pourquoi la physionomie des gens qui me reçurent me parut sinistre; je ne vis parmi eux aucun des anciens serviteurs de notre maison: personne ne me connaissait; je fus obligée de me nommer. J’appris que depuis quelques jours mon père était très-souffrant, et que ma belle-mère venait de ramener un médecin de Paris.
«Plus de doute, il s’agissait du docteur Polidori.
«Voulant me faire conduire à l’instant auprès de mon père, je demandai où était un vieux valet de chambre auquel il était très-attaché. Depuis quelque temps cet homme avait quitté le château; ces renseignements m’étaient donnés par un intendant qui m’avait conduite dans mon appartement, disant qu’il allait prévenir ma belle-mère de mon arrivée.