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«- Vous êtes veuve… mes jours sont menacés!… Qu’est-ce que cela signifie?

«- Et qui ose menacer les jours de M. d’Orbigny, madame? me demanda audacieusement ma belle-mère.

«- Oui, qui les menace?… ajouta Polidori.

«- Vous, monsieur; vous, madame, répondis-je.

«- Quelle horreur!… s’écria ma belle-mère en faisant un pas vers moi.

«- Ce que je dis, je le prouverai, madame, lui répondis-je.

«- Mais une telle accusation est épouvantable! s’écria mon père.

«- Je quitte à l’instant cette maison, puisque j’y suis exposé à de si atroces calomnies! dit le docteur Polidori avec l’indignation apparente d’un homme outragé dans son honneur. Commençant à sentir le danger de sa position, il voulait fuir sans doute.

«Au moment où il ouvrait la porte, il se trouva face à face avec sir Walter Murph…

Rodolphe, s’interrompant de lire, tendit la main au squire et lui dit:

– Très-bien, mon vieil ami, ta présence a dû foudroyer ce misérable.

– C’est le mot, monseigneur… Il est devenu livide… et a fait deux pas en arrière en me regardant avec stupeur; il semblait anéanti… Me retrouver au fond de la Normandie, dans un moment pareil!… Il croyait faire un mauvais rêve… Mais continuez, monseigneur, vous allez voir que cette infernale comtesse d’Orbigny a eu aussi son tour de foudroiement, grâce à ce que vous m’aviez appris de sa visite au charlatan Bradamanti-Polidori dans la maison de la rue du Temple… Car, après tout, c’est vous qui agissiez… ou plutôt je n’étais que l’instrument de votre pensée… aussi, jamais, je vous le jure, vous ne vous êtes plus heureusement et plus justement substitué à l’indolente Providence que dans cette occasion.

Rodolphe sourit et continua la lecture de la lettre de Mme d’Harville:

«À la vue de sir Walter Murph, Polidori resta pétrifié; ma belle-mère tombait de surprise en surprise; mon père, ému de cette scène, affaibli par la maladie, fut obligé de s’asseoir dans un fauteuil. Sir Walter ferma à double tour la porte par laquelle il était entré; et se plaçant devant celle qui conduisait à un autre appartement, afin que le docteur Polidori ne pût s’échapper, il dit à mon pauvre père avec l’accent du plus profond respect:

«- Mille pardons, monsieur le comte, de la licence que je prends; mais une impérieuse nécessité, dictée par votre seul intérêt (et vous allez bientôt le reconnaître), m’oblige à agir ainsi… Je me nomme sir Walter Murph, ainsi que peut vous l’affirmer ce misérable, qui à ma vue tremble de tous ses membres: je suis le conseiller intime de S. A. R. monseigneur le grand-duc régnant de Gerolstein.

«- Cela est vrai, dit le docteur Polidori en balbutiant, éperdu de frayeur.

«- Mais alors, monsieur… que venez-vous faire ici? Que voulez-vous?

«- Sir Walter Murph, repris-je en m’adressant à mon père, vient se joindre à moi pour démasquer les misérables dont vous avez failli être victime.

«Puis, remettant à sir Walter le flacon de cristal, j’ajoutai: – J’ai été assez bien inspirée pour m’emparer de ce flacon au moment où le docteur Polidori allait verser quelques gouttes de la liqueur qu’il contient dans une potion qu’il offrait à mon père.

«- Un praticien de la ville voisine analysera devant vous le contenu de ce flacon; et s’il est prouvé qu’il renferme un poison lent et sûr, dit Walter Murph à mon père, il ne pourra plus vous rester de doute sur les dangers que vous couriez, et que la tendresse de madame votre fille a heureusement prévenus.

«Mon pauvre père regardait tour à tour sa femme, le docteur Polidori, moi et sir Walter d’un air égaré; ses traits exprimaient une angoisse indéfinissable. Je lisais sur son visage navré la lutte violente qui déchirait son cœur. Sans doute il résistait de tout son pouvoir à de croissants et terribles soupçons, craignant d’être obligé de reconnaître la scélératesse de ma belle-mère; enfin, cachant sa tête dans ses mains, il s’écria:

«- Ô mon Dieu, mon Dieu!… tout cela est horrible… impossible. Est-ce un rêve que je fais?

«- Non, ce n’est pas un rêve…, s’écria audacieusement ma belle-mère, rien de plus réel que cette atroce calomnie concertée d’avance pour perdre une malheureuse femme dont le seul crime a été de vous consacrer sa vie. Venez, venez, mon ami, ne restons pas une seconde de plus ici, ajouta-t-elle en s’adressant à mon père; peut-être votre fille n’aura-t-elle pas l’insolence de vous retenir malgré vous…

«- Oui, oui, sortons, dit mon père hors de lui, tout cela n’est pas vrai, ne peut pas être vrai, je ne veux pas entendre davantage, ma raison n’y résisterait pas… d’épouvantables méfiances s’élèveraient dans mon cœur, empoisonneraient le peu de jours qui me restent à vivre, et rien ne pourrait me consoler d’une si abominable découverte.

«Mon père semblait si souffrant, si désespéré, qu’à tout prix j’aurais voulu mettre fin à cette scène, si cruelle pour lui. Sir Walter devina ma pensée; mais, voulant faire pleine et entière justice, il répondit à mon père:

«- Encore quelques mots, monsieur le comte; vous allez avoir le chagrin, sans doute bien pénible, de reconnaître qu’une femme que vous vous croyiez attachée par la reconnaissance a toujours été un monstre hypocrite; mais vous trouverez des consolations certaines dans l’affection de votre fille, qui ne vous a jamais manqué.

«- Cela passe toutes les bornes! s’écria ma belle-mère avec rage; et de quel droit, monsieur, et sur quelles preuves osez-vous baser de si effroyables calomnies? Vous dites que ce flacon contient du poison?… Je le nie, monsieur, et je le nierai jusqu’à preuve du contraire; et lors même que le docteur Polidori aurait, par méprise, confondu un médicament avec un autre, est-ce une raison pour m’accuser d’avoir voulu… de complicité avec lui… Oh! non, non, je n’achèverai pas… Une idée si horrible est déjà un crime; encore une fois, monsieur, je vous défie de dire sur quelles preuves, vous et madame, osez appuyer cette affreuse calomnie…, dit ma belle-mère avec une audace incroyable.

«- Oui, sur quelles preuves? s’écria mon malheureux père. Il faut que la torture que l’on m’impose ait un terme.

«- Je ne suis pas venu ici sans preuves, monsieur le comte, dit sir Walter; et ces preuves, les réponses de ce misérable vous les fourniront tout à l’heure. Puis sir Walter adressa la parole en allemand au docteur Polidori, qui semblait avoir repris un peu d’assurance, mais qui la perdit aussitôt.

– Que lui as-tu dit? demanda Rodolphe au squire en s’interrompant de lire.

– Quelques mots significatifs, monseigneur; à peu près ceux-ci: «Tu as échappé par la fuite à la condamnation dont tu avais été frappé par la justice du grand-duché; tu demeures rue du Temple, sous le faux nom de Bradamanti; on sait à quel abominable métier tu te livres; tu as empoisonné la première femme du comte; il y a trois jours, Mme d’Orbigny est allée te chercher pour t’emmener ici empoisonner son mari; S. A. R. est à Paris, elle a les preuves de tout ce que j’avance. Si tu avoues la vérité, afin de confondre cette misérable femme, tu peux espérer, non ta grâce, mais un adoucissement au châtiment que tu mérites; tu me suivras à Paris, où je te déposerai en lieu sûr jusqu’à ce que S. A. ait décidé de toi. Sinon, de deux choses l’une, ou S. A. R. fait demander et obtient ton extradition, ou bien à l’instant même j’envoie chercher à la ville voisine un magistrat; ce flacon renfermant du poison lui sera remis, on t’arrêtera sur-le-champ, on fera des perquisitions chez toi, rue du Temple; tu sais combien elles te compromettront, et la justice française suivra son cours… Choisis donc…»