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Telle est Cecily.

Seulement ses détestables instincts, quelque temps contenus par son véritable attachement pour David, ne s’étant développés qu’en Europe, la civilisation et l’influence des climats du Nord en avaient tempéré la violence, modifié l’expression.

Au lieu de se jeter violemment sur sa proie, et de ne songer, comme ses pareilles, qu’à anéantir au plus tôt une vie et une fortune de plus, Cecily, attachant sur ses victimes son regard magnétique, commençait par les attirer peu à peu dans le tourbillon embrasé qui semblait émaner d’elle; puis, les voyant alors pantelantes, éperdues, souffrant les tortures d’un désir inassouvi, elle se plaisait, par un raffinement de coquetterie féroce, à prolonger leur délire ardent; puis, en revenant à son premier instinct, elle les dévorait dans ses embrassements homicides.

Cela était plus horrible encore.

Le tigre affamé, qui bondit et emporte la proie qu’il déchire en rugissant, inspire moins d’horreur que le serpent qui la fascine silencieusement, l’aspire peu à peu, l’enlace de ses replis inextricables, l’y broie longuement, la sent palpiter sous ses lentes morsures et semble se repaître autant de ses douleurs que de son sang.

Cecily, nous l’avons dit, à peine arrivée en Allemagne, ayant d’abord été débauchée par un homme affreusement dépravé, put, à l’insu de David, qui l’aimait avec autant d’idolâtrie que d’aveuglement, déployer et exercer pendant quelque temps ses dangereuses séductions; mais bientôt le funeste scandale de ses aventures fut dévoilé; on fit d’horribles découvertes, et cette femme dut être condamnée à une prison perpétuelle.

Que l’on joigne à ces antécédents un esprit souple, adroit, insinuant, une si merveilleuse intelligence qu’en un an elle avait parlé le français et l’allemand avec la plus extrême facilité, quelquefois même avec une éloquence naturelle; qu’on se figure enfin une corruption digne des reines courtisanes de l’ancienne Rome, une audace et un courage à toute épreuve, des instincts d’une méchanceté diabolique, et l’on connaîtra à peu près la nouvelle servante de Jacques Ferrand… la créature déterminée qui avait osé s’aventurer dans la tanière du loup.

Et pourtant, anomalie singulière! en apprenant par M. de Graün le rôle provocant et PLATONIQUE qu’elle devait remplir auprès du notaire et à quelles fins vengeresses devaient aboutir ses séductions, Cecily avait promis de jouer son personnage avec amour, ou plutôt avec une haine terrible contre Jacques Ferrand, s’étant sincèrement indignée au récit des violences infâmes qu’il avait exercées contre Louise, récit qu’il fallut faire à la créole pour la mettre en garde contre les hypocrites tentatives de ce monstre.

Quelques mots rétrospectifs à propos de ce dernier sont indispensables.

Lorsque Cecily lui avait été présentée par Mme Pipelet comme une orpheline sur laquelle elle ne voulait conserver aucun droit, aucune surveillance, le notaire s’était peut-être senti moins encore frappé de la beauté de la créole que fasciné par son regard irrésistible, regard qui, dès la première entrevue, porta le feu dans les sens de Jacques Ferrand et le troubla dans sa raison.

Car, nous l’avons dit à propos de l’audace insensée de quelques-unes de ses paroles lors de sa conversation avec Mme la duchesse de Lucenay, cet homme, ordinairement si maître de soi, si calme, si fin, si rusé, oubliait les froids calculs de sa profonde dissimulation, lorsque le démon de la luxure obscurcissait sa pensée.

D’ailleurs il n’avait pu nullement se défier de la protégée de Mme Pipelet.

Après son entretien avec cette dernière, Mme Séraphin avait proposé à Jacques Ferrand, en remplacement de Louise, une jeune fille presque abandonnée dont elle répondait… Le notaire avait accepté avec empressement, dans l’espoir d’abuser impunément de la condition précaire et isolée de sa nouvelle servante.

Enfin, loin d’être prédisposé à la méfiance, Jacques Ferrand trouvait dans la marche des événements de nouveaux motifs de sécurité.

Tout répondait à ses vœux.

La mort de Mme Séraphin le débarrassait d’une complice dangereuse.

La mort de Fleur-de-Marie (il la croyait morte) le délivrait de la preuve vivante d’un de ses premiers crimes.

Enfin, grâce à la mort de la Chouette et au meurtre inopiné de la comtesse Mac-Gregor (son état était désespéré), il ne redoutait plus ces deux femmes dont les révélations et les poursuites auraient pu lui être funestes…

Nous le répétons, aucun sentiment de défiance n’étant venu balancer dans l’esprit de Jacques Ferrand l’impression subite, irrésistible, qu’il avait ressentie à la vue de Cecily, il saisit avec ardeur l’occasion d’attirer dans sa demeure solitaire la prétendue nièce de Mme Pipelet.

Le caractère, les habitudes et les antécédents de Jacques Ferrand connus et posés, la beauté provocante de la créole acceptée, telle que nous avons tâché de la peindre, quelques autres faits que nous exposerons plus bas feront comprendre, nous l’espérons, la passion subite, effrénée, du notaire pour cette séduisante et dangereuse créature.

Et puis, il faut le dire… si elles n’inspirent qu’éloignement, que répugnance aux hommes doués de sentiments tendres et élevés, de goûts délicats et épurés, les femmes de l’espèce de Cecily exercent une action soudaine, une omnipotence magique sur les hommes de sensualité brutale tels que Jacques Ferrand.

Du premier regard ils devinent ces femmes, ils les convoitent; une puissance fatale les attire auprès d’elles, et bientôt des affinités mystérieuses, des sympathies magnétiques sans doute, les enchaînent invinciblement aux pieds de leur monstrueux idéal; car elles seules peuvent apaiser les feux impurs qu’elles allument.

Une fatalité juste, vengeresse, rapprochait donc la créole du notaire. Une expiation terrible commençait pour lui.

Une luxure féroce l’avait poussé à commettre des attentats odieux, à poursuivre avec un impitoyable acharnement une famille indigente et honnête, à y porter la misère, la folie, la mort…

La luxure devait être le formidable châtiment de ce grand coupable.

Car l’on dirait que, par une fatale équité, certaines passions faussées, dénaturées, portent en elles leur punition…

Un noble amour, lors même qu’il n’est pas heureux, peut trouver quelques consolations dans les douceurs de l’amitié, dans l’estime qu’une femme digne d’être adorée offre toujours à défaut d’un sentiment plus tendre. Si cette compensation ne calme pas les chagrins de l’amant malheureux, si son désespoir est incurable comme son amour, il peut du moins avouer et presque s’enorgueillir de cet amour, désespéré…

Mais quelles compensations offrir à ces ardeurs sauvages que le seul attrait matériel exalte jusqu’à la frénésie?

Et disons encore que cet attrait matériel est aussi impérieux pour les organisations grossières que l’attrait moral pour les âmes d’élite…

Non, les sérieuses passions du cœur ne sont pas les seules, subites, aveugles, exclusives, les seules qui, concentrant toutes les facultés sur la personne choisie, rendent impossible toute autre affection et décident d’une destinée tout entière.

La passion physique peut atteindre, comme chez Jacques Ferrand, à une incroyable intensité; alors tous les phénomènes qui dans l’ordre moral caractérisent l’amour irrésistible, unique, absolu, se reproduisent dans l’ordre matériel.