Выбрать главу

Souple comme une panthère, d’un bond Cecily fut au guichet; et, comme si elle eût difficilement concentré ses feints transports, elle dit à Jacques Ferrand d’une voix basse, concentrée, palpitante:

– Eh bien!… je te l’avoue… je me suis embrasée moi-même… aux ardentes paroles de cette chanson. Je ne voulais pas revenir à cette porte… et m’y voilà revenue… malgré moi… car j’entends encore tes paroles de tout à l’heure: «Si tu me disais: frappe… je frapperais…» Tu m’aimes donc bien?

– Veux-tu… de l’or… tout mon or?…

– Non… j’en ai…

– As-tu un ennemi? je le tue.

– Je n’ai pas d’ennemi…

– Veux-tu être ma femme? je t’épouse.

– Je suis mariée!…

– Mais que veux-tu donc alors? Mon Dieu!… Que veux-tu donc?…

– Prouve-moi que ta passion pour moi est aveugle, furieuse, que tu lui sacrifierais tout!…

– Tout! oui, tout! mais comment?

– Je ne sais… mais il y a un instant l’éclat de tes yeux m’a éblouie… Si à cette heure tu me donnais une de ces marques d’amour forcené qui exaltent l’imagination d’une femme jusqu’au délire… je ne sais pas de quoi je serais capable!… Hâte-toi! je suis capricieuse; demain, l’impression de tout à l’heure sera peut-être effacée.

– Mais quelle preuve puis-je te donner ici, à l’instant? cria le misérable en se tordant les mains. C’est un supplice atroce! Quelle preuve? dis, quelle preuve?

– Tu n’es qu’un sot! répondit Cecily en s’éloignant du guichet avec une apparence de dépit dédaigneux et irrité. Je me suis trompée! Je te croyais capable d’un dévouement énergique! Bonsoir… C’est dommage…

– Cecily… oh! ne t’en va pas… reviens… Mais que faire? dis-le-moi au moins. Oh! ma tête s’égare… que faire? Mais que faire?

– Cherche…

– Mon Dieu! Mon Dieu!

– Cherche…

– Mon Dieu! Mon Dieu!

– Je n’étais que trop disposée à me laisser séduire si tu l’avais voulu… tu ne retrouveras pas une occasion pareille.

– Mais enfin… on dit ce qu’on veut! s’écria le notaire presque insensé.

– Devine…

– Explique-toi… ordonne…

– Eh! si tu me désirais aussi passionnément que tu le dis… tu trouverais le moyen de me persuader… Bonsoir…

– Cecily!

– Je vais fermer ce guichet… au lieu d’ouvrir cette porte…

– Grâce! Écoute…

– Un moment j’avais pourtant cru que ma tête se montait… ce foyer s’éteint… l’obscurité serait venue… je n’aurais plus songé qu’à ton dévouement; alors ce verrou… mais, non… tu ne veux pas… oh! tu ne sais pas ce que tu perds… Bonsoir, saint homme…

– Cecily… écoute… reste… j’ai trouvé… s’écria Jacques Ferrand après un moment de silence et avec une explosion de joie impossible à rendre.

Le misérable fut alors frappé de vertige.

Une vapeur impure obscurcit son intelligence: livré aux appétits aveugles et furieux de la brute, il perdit toute prudence… toute réserve… l’instinct de sa conservation morale l’abandonna…

– Eh bien! cette preuve de ton amour? dit la créole, qui, s’étant rapprochée de la cheminée pour y prendre son poignard, revint lentement près du guichet, doucement éclairée par la lueur du foyer…

Puis, sans que le notaire s’en aperçût, elle s’assura du jeu d’une chaînette de fer qui reliait deux pitons, dont l’un était vissé dans la porte, l’autre dans le chambranle.

– Écoute, dit Jacques Ferrand d’une voix rauque et entrecoupée, écoute… Si je mettais mon honneur… ma fortune… ma vie à ta merci… là… à l’instant… croirais-tu que je t’aime? Cette preuve de folle passion te suffirait-elle, dis?

– Ton honneur… ta fortune… ta vie?… Je ne te comprends pas.

– Si je te livre un secret qui peut me faire monter sur l’échafaud, seras-tu à moi?

– Toi… criminel? Tu railles… Et ton austérité?

– Mensonge…

– Ta probité?

– Mensonge…

– Ta piété?

– Mensonge…

– Tu passes pour un saint, et tu serais un démon!… Tu te vantes… Non, il n’y a pas d’homme assez habilement rusé, assez froidement énergique, assez heureusement audacieux pour capter ainsi la confiance et le respect des hommes… Ce serait un sarcasme infernal, un épouvantable défi jeté à la face de la société!

– Je suis cet homme… J’ai jeté ce sarcasme et ce défi à la face de la société! s’écria le monstre dans un accès d’épouvantable orgueil.

– Jacques!… Jacques!… Ne parle pas ainsi! dit Cecily d’une voix stridente et le sein palpitant; tu me rendrais folle…

– Ma tête pour tes caresses… veux-tu?

– Ah! voilà donc de la passion enfin!… s’écria Cecily. Tiens… prends mon poignard… tu me désarmes…

Jacques Ferrand prit, à travers le guichet, l’arme dangereuse avec précaution et la jeta au loin dans le corridor.

– Cecily… tu me crois donc? s’écria-t-il avec transport.

– Si je te crois! dit la créole en appuyant avec force ses deux mains charmantes sur les mains crispées de Jacques Ferrand. Oui, je te crois… car je retrouve ton regard de tout à l’heure, ce regard qui m’avait fascinée… Tes yeux étincellent d’une ardeur sauvage. Jacques… je les aime, tes yeux!

– Cecily!!!

– Tu dois dire vrai…

– Si je dis vrai!… Oh! tu vas voir.

– Ton front est menaçant… Ta figure redoutable… Tiens, tu es effrayant et beau comme un tigre en fureur… Mais tu dis vrai, n’est-ce pas?

– J’ai commis des crimes, te dis-je!

– Tant mieux… si par leur aveu tu me prouves ta passion…

– Et si je dis tout?

– Je t’accorde tout… Car si tu as cette confiance aveugle, courageuse… vois-tu, Jacques… ce ne serait plus l’amant idéal de la chanson que j’appellerais. C’est à toi… mon tigre… à toi… que je dirais: «Viens… viens… viens…»

En disant ces mots avec une expression avide et ardente, Cecily s’approcha si près, si près du guichet, que Jacques Ferrand sentit sur sa joue le souffle embrasé de la créole et sur ses doigts velus l’impression électrique de ses lèvres fraîches et fermes…

– Oh! tu seras à moi… je serai ton tigre! s’écria-t-il. Et après, si tu le veux, tu me déshonoreras, tu feras tomber ma tête… Mon honneur, ma vie, tout est à toi maintenant…

– Ton honneur?

– Mon honneur! Écoute. Il y a dix ans, on m’avait confié une enfant et deux cent mille francs qu’on lui destinait. J’ai abandonné l’enfant; je l’ai fait passer pour morte au moyen d’un faux acte de décès, et j’ai gardé l’argent…

– C’est habile et hardi… Qui aurait cru cela de toi?

– Écoute encore. Je haïssais mon caissier… Un soir, il avait pris chez moi un peu d’or qu’il m’a restitué le lendemain; mais, pour perdre ce misérable, je l’ai accusé de m’avoir volé une somme considérable. On m’a cru; on l’a jeté en prison… Maintenant mon honneur est-il à ta merci?