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– Attends donc, tout gringalet que j’étais, j’avais dans l’idée, que le diable m’emporte si je sais pourquoi! que je ferais la nique à la colique de plomb, que la maladie aurait trop peu à ronger sur moi et qu’elle irait ailleurs; enfin que je deviendrais un des vieux blanc-de-cérusiens. En sortant de prison je commence par fricasser ma masse, bien entendu, augmentée de ce que j’avais gagné en contant des histoires le soir à la chambrée.

– Comme tu nous en contais autrefois, mon frère. Ça amusait tant notre pauvre mère, t’en souviens-tu?

– Pardieu! bonne femme! Et elle ne s’est jamais doutée, avant de mourir, que j’étais à Melun?

– Jamais, jusqu’à son dernier moment elle a cru que tu étais passé aux îles.

– Que veux-tu, ma fille, mes bêtises, c’est la faute de mon père, qui m’avait dressé pour être paillasse, pour l’assister dans ses tours de gobelet, manger de l’étoupe et cracher du feu; ce qui faisait que je n’avais pas le temps de frayer avec des fils de pairs de France, et j’ai fait de mauvaises connaissances. Mais, pour revenir à Beaugency, une fois sorti de Melun, je fricasse ma masse comme de juste. Après quinze ans de cage, il faut bien prendre un peu l’air et égayer son existence; d’autant plus que, sans être trop gourmand, le blanc de céruse pouvait me donner une dernière indigestion; alors à quoi m’aurait servi mon argent de prison, je te le demande? Finalement j’arrive à Beaugency à peu près sans le sou; je demande Velu, l’ami du Gros-Boiteux, le chef de fabrique. Serviteur! pas plus de fabrique de blanc de céruse que dessus la main; il y était mort onze personnes dans l’année; l’ancien forçat avait fermé boutique. Me voilà au milieu de ce bourg, toujours avec mon talent pour les trompettes de bois pour tout potage, et ma cartouche de libéré pour toute recommandation. Je demande à m’employer selon ma force, et comme je n’avais pas de force, tu comprends comme on me reçoit: voleur par-ci, gueux par-là, échappé de prison! Enfin, dès que je paraissais quelque part, chacun mettait ses mains sur ses poches; je ne pouvais donc pas m’empêcher de crever de faim dans un trou pareil, que je ne devais pas quitter pendant cinq ans. Voyant ça, je romps mon ban pour venir à Paris utiliser mes talents. Comme je n’avais pas de quoi venir en carrosse à quatre chevaux, je suis venu en gueusant et en mendiant tout le long de la route, évitant les gendarmes comme un chien les coups de bâton; j’avais eu du bonheur, j’étais arrivé sans encombre jusqu’auprès d’Auteuil. J’étais harassé, j’avais une faim d’enfer, j’étais vêtu comme tu vois, sans luxe.

Et Pique-Vinaigre jeta un coup d’œil goguenard sur ses haillons.

– Je ne portais pas un sou sur moi, je pouvais être arrêté comme vagabond. Ma foi, une occasion s’est présentée, le diable m’a tenté, et malgré ma poltronnerie…

– Assez, mon frère, assez, dit sa sœur craignant que le gardien, quoique à ce moment assez éloigné de Pique-Vinaigre, n’entendît ce dangereux aveu.

– Tu as peur qu’on écoute? reprit-il; sois tranquille, je ne m’en cache pas, j’ai été pris sur le fait, il n’y avait pas moyen de nier; j’ai tout avoué, je sais ce qui m’attend; mon compte est bon.

– Mon Dieu! Mon Dieu! reprit la pauvre femme en pleurant, avec quel sang-froid tu parles de cela!

– Quand j’en parlerais avec un sang chaud, qu’est-ce que j’y gagnerais? Voyons, sois donc raisonnable, Jeanne; faut-il que ce soit moi qui te console?

Jeanne essuya ses larmes, et soupira.

– Pour en revenir à mon affaire, reprit Pique-Vinaigre, j’étais arrivé tout près d’Auteuil, à la brune; je n’en pouvais plus; je ne voulais entrer dans Paris qu’à la nuit; je m’étais assis derrière une haie pour me reposer et réfléchir à mon plan de campagne. À force de réfléchir, j’ai fini par m’endormir; un bruit de voix m’a réveillé; il faisait tout à fait nuit; j’écoute… C’était un homme et une femme qui causaient sur la route, de l’autre côté de ma haie; l’homme disait à la femme: «- Qui veux-tu qui pense à venir nous voler? Est-ce que nous n’avons pas cent fois laissé la maison toute seule? – Oui, que reprend la femme, mais nous n’y avions pas cent francs dans notre commode. – Qu’est-ce qui le sait, bête? dit le mari. – T’as raison», reprend la femme, et ils filent. Ma foi, l’occasion me paraît trop belle pour la manquer, il n’y avait aucun danger. J’attends que l’homme et la femme soient un peu plus loin pour sortir de derrière ma haie; je regarde à vingt pas de là, je vois une petite maison de paysans, ça devait être la maison aux cent francs, il n’y avait que cette bicoque sur la route, Auteuil était à cinq cents pas de là. Je me dis: «Courage, mon vieux, il n’y a personne, il fait nuit; s’il n’y a pas de chien de garde (tu sais que j’ai toujours eu peur des chiens), l’affaire est faite.» Par bonheur il n’y avait pas de chien. Pour être plus sûr, je cogne à la porte, rien… ça m’encourage. Les volets du rez-de-chaussée étaient fermés, je passe mon bâton entre eux deux, je les force, j’entre par la fenêtre dans une chambre; il restait un peu de feu dans la cheminée; ça m’éclaire, je vois une commode dont la clef était ôtée: je prends la pincette, je force les tiroirs, et sous un tas de linge je trouve le magot enveloppé dans un vieux bas de laine; je ne m’amuse pas à prendre autre chose; je saute par la fenêtre et je tombe… devine où? Voilà une chance!

– Mon Dieu! Dis donc!

– Sur le dos du garde champêtre qui rentrait au village.

– Quel malheur!…

– La lune s’était levée; il me voit sortir par la fenêtre; il m’empoigne. C’était un camarade qui en aurait mangé dix comme moi… Trop poltron pour résister, je me résigne. Je tenais encore le bas à la main; il entend sonner l’argent, il prend le tout, le met dans sa gibecière et me force de le suivre à Auteuil. Nous arrivons chez le maire avec accompagnement de gamins et de gendarmes; on va attendre les propriétaires chez eux; à leur retour, ils font leur déclaration… Il n’y avait pas moyen de le nier; j’avoue tout, je signe le procès-verbal, on me met les menottes, et en route…

– Et te voilà en prison encore… pour longtemps peut-être?

– Écoute, Jeanne, je ne veux pas te tromper, ma fille; autant te dire cela tout de suite…

– Quoi donc encore, mon Dieu!…

– Voyons, du courage!…

– Mais parle donc!

– Eh bien! il ne s’agit plus de prison…

– Comment cela?

– À cause de la récidive, de l’effraction et de l’escalade de nuit dans une maison habitée… l’avocat me l’a dit: c’est un compte fait comme les petits pâtés… j’en aurai pour quinze ou vingt ans de bagne et l’exposition par-dessus le marché.

– Aux galères! Mais toi si faible, tu y mourras! s’écria la malheureuse femme en éclatant en sanglots.

– Et si je m’étais enrôlé dans les blanc-de-cérusiens?…

– Mais les galères, mon Dieu! Les galères!

– C’est la prison au grand air, avec une casaque rouge au lieu d’une brune; et puis j’ai toujours été curieux de voir la mer… Quel badaud de Parisien je fais… hein?

– Mais l’exposition… malheureux!… Être là exposé au mépris de tout le monde… Oh! mon Dieu! Mon Dieu! Mon pauvre frère!…

Et l’infortunée se reprit à pleurer.

– Voyons, voyons. Jeanne… sois donc raisonnable… c’est un mauvais quart d’heure à passer… et encore je crois qu’on est assis… Et puis, est-ce que je ne suis pas habitué à voir la foule? Quand je faisais mes tours de gobelets, j’avais toujours un tas de monde autour de moi; je me figurerai que j’escamote, et si ça me fait trop d’effet je fermerai les yeux; ce sera absolument comme si on ne me voyait pas.