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– Vive Gringalet!

– Vive Gargousse!

– Eh bien! mes amis, s’écria Pique-Vinaigre enchanté du succès de son récit, ce que vous criez là, toute la Petite-Pologne le criait une heure plus tard.

– Comment cela… comment?

– Je vous ai dit que pour faire son mauvais coup tout à son aise le gueux de Coupe-en-Deux avait fermé sa porte en dedans. À la brune, voilà les enfants qui arrivent les uns après les autres avec leurs bêtes; les premiers cognent, personne ne répond; enfin, quand ils sont tous rassemblés, ils recognent, rien. L’un d’eux s’en va trouver le doyen et lui dire qu’ils avaient beau frapper, et que leur maître ne leur ouvrait pas. «Le gredin se sera soûlé comme un Anglais, dit-il, je lui ai envoyé du vin tantôt; faut enfoncer sa porte, ces enfants ne peuvent pas rester la nuit dehors.»

«On enfonce la porte à coups de merlin; on entre, on monte, on arrive dans la chambre, et qu’est-ce qu’on voit? Gargousse enchaîné et accroupi sur le corps de son maître et jouant avec le rasoir; le pauvre Gringalet, heureusement hors de la portée de la chaîne de Gargousse, toujours assis et attaché sur sa chaise, n’osant pas lever les yeux sur le corps de Coupe-en-Deux, et regardant, devinez quoi? la petite mouche d’or, qui, après avoir voleté autour de l’enfant comme pour le féliciter, était enfin venue se poser sur sa petite main.

«Gringalet raconta tout au doyen et à la foule qui l’avait suivi; ça paraissait vraiment, comme on dit, un coup du cieclass="underline" aussi le doyen s’écrie: «Un triomphe à Gringalet, un triomphe à Gargousse, qui a tué ce mauvais brigand de Coupe-en-Deux! Il coupait les autres, c’était son tour d’être coupé.

«- Oui, oui! dit la foule, car le montreur de bêtes était détesté de tout le monde. Un triomphe à Gargousse! Un triomphe à Gringalet!

«Il faisait nuit: on allume des torches de paille, on attache Gargousse sur un banc que quatre gamins portaient sur leurs épaules; le gredin de singe n’avait pas l’air de trouver ça trop beau pour lui, et il prenait des airs de triomphateur en montrant les dents à la foule. Après le singe venait le doyen, portant Gringalet dans ses bras; tous les petits montreurs de bêtes, chacun avec la sienne, entouraient le doyen: l’un portait son renard, l’autre sa marmotte, l’autre son cochon d’Inde; ceux qui jouaient de la vielle jouaient de la vielle; il y avait des charbonniers auvergnats avec leur musette, qui en jouaient aussi; c’était enfin un tintamarre, une joie, une fête qu’on ne peut s’imaginer! Derrière les musiciens et les montreurs de bêtes venaient tous les habitants de la Petite-Pologne, hommes, femmes, enfants; presque tous tenaient à la main des torches de paille et criaient comme des enragés: «Vive Gringalet! Vive Gargousse!» Le cortège fait dans cet ordre-là le tour de la cassine de Coupe-en-Deux. C’était un drôle de spectacle, allez, que ces vieilles masures et toutes ces figures éclairées par la lueur rouge des feux de paille qui flamboyaient, flamboyaient! Quant à Gringalet, la première chose qu’il avait faite, une fois en liberté, ça avait été de mettre la petite mouche d’or dans un cornet de papier, et il répétait tout le temps de son triomphe:

«- Petits moucherons, j’ai bien fait d’empêcher les araignées de vous manger, car…»

La fin du récit de Pique-Vinaigre fut interrompue.

– Eh! père Roussel, cria une voix de dehors, viens donc manger ta soupe; quatre heures vont sonner dans dix minutes.

– Ma foi, l’histoire est à peu près finie, j’y vais. Merci, mon garçon, tu m’as joliment amusé, tu peux t’en vanter, dit le surveillant à Pique-Vinaigre en allant vers la porte. Puis, s’arrêtant: «Ah çà! soyez sages», dit-il aux détenus en se retournant.

– Nous allons entendre la fin de l’histoire, dit le Squelette haletant de fureur contrainte. Puis il dit tout bas au Gros-Boiteux: Va sur le pas de la porte, suis le gardien des yeux, et quand tu l’auras vu sortir de la cour crie: «Gargousse!» et le mangeur est mort.

– Ça y est, dit le Gros-Boiteux qui accompagna le gardien et resta debout à la porte du chauffoir, l’épiant du regard.

– Je vous disais donc, reprit Pique-Vinaigre, que Gringalet, tout le temps de son triomphe, se disait: «Petits moucherons, j’ai…»

– Gargousse! s’écria le Gros-Boiteux en se retournant. Il venait de voir le surveillant quitter la cour.

– À moi! Gringalet… je serai ton araignée, s’écria aussitôt le Squelette en se précipitant si brusquement sur Germain que celui-ci ne put faire un mouvement ni pousser un cri.

Sa voix expira sous la formidable étreinte des longs doigts de fer du Squelette.

XI Un ami inconnu

– Si tu es l’araignée, moi je serai le moucheron d’or, Squelette de malheur, cria une voix au moment où Germain, surpris par la violente et soudaine attaque de son implacable ennemi, tombait renversé sur son banc, livré à la merci du brigand qui, un genou sur la poitrine, le tenait par le cou.

– Oui, je serai le moucheron, et un fameux moucheron encore! répéta l’homme au bonnet bleu dont nous avons parlé; puis, d’un bond furieux, renversant trois ou quatre prisonniers qui le séparaient de Germain, il s’élança sur le Squelette et lui assena sur le crâne et entre les deux yeux une grêle de coups de poing si précipités qu’on eût dit la batterie sonore d’un marteau sur une enclume.

L’homme au bonnet bleu, qui n’était autre que le Chourineur, ajouta, en redoublant la rapidité de son martelage sur la tête du Squelette:

– C’est la grêle de coups de poing que M. Rodolphe m’a tambourinés sur la boule! Je les ai retenus.

À cette agression inattendue, les détenus restèrent frappés de surprise, sans prendre parti pour ou contre le Chourineur. Plusieurs d’entre eux, encore sous la salutaire impression du conte de Pique-Vinaigre, furent même satisfaits de cet incident qui pouvait sauver Germain.

Le Squelette, d’abord étourdi, chancelant comme un bœuf sous la masse de fer du boucher, étendit machinalement ses deux mains en avant pour parer les coups de son ennemi; Germain put se dégager de la mortelle étreinte du Squelette et se relever à demi.

– Mais qu’est-ce qu’il a? À qui en a-t-il donc, ce brigand-là? s’écria le Gros-Boiteux; et, s’élançant sur le Chourineur, il tâcha de lui saisir les bras par-derrière, pendant que celui-ci faisait de violents efforts pour maintenir le Squelette sur le banc.

Le défenseur de Germain répondit à l’attaque du Gros-Boiteux par une espèce de ruade si violente qu’il l’envoya rouler à l’extrémité du cercle formé par les détenus.

Germain, d’une pâleur livide et violacée, à demi suffoqué, à genoux auprès du banc, ne paraissait pas avoir la conscience de ce qui se passait autour de lui. La strangulation avait été si violente et si douloureuse qu’il respirait à peine.

Après son premier étourdissement, le Squelette, par un effort désespéré, parvint à se débarrasser du Chourineur et à se remettre sur ses pieds.

Haletant, ivre de rage et de haine, il était épouvantable…

Sa face cadavéreuse ruisselait de sang; sa lèvre supérieure, retroussée comme celle d’un loup furieux, laissait voir ses dents serrées les unes contre les autres.

Enfin il s’écria d’une voix palpitante de colère et de fatigue, car sa lutte contre le Chourineur avait été violente:

– Escarpez-le donc… ce brigand-là! tas de frileux!… qui me laissez prendre en traître… sinon le mangeur va vous échapper!