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– Sérieusement, j’aime autant croire à cela qu’à un miracle… Ce n’est pas plus difficile.

– M. Ferrand, généreux!… Lui… qui tondrait sur un œuf!

– Pourtant, messieurs, les quarante sous de notre déjeuner?

– Belle preuve! C’est comme lorsqu’on a par hasard un bouton sur le nez… C’est un accident.

– Oui; mais d’un autre côté, le maître clerc m’a dit que depuis trois jours le patron a réalisé une énorme somme en bons du Trésor, et que…

– Eh bien?

– Parle donc…

– C’est que c’est un secret…

– Raison de plus… Ce secret?

– Votre parole d’honneur que vous n’en direz rien?…

– Sur la tête de nos enfants, nous la donnons.

– Que ma tante Messidor fasse des folies de son corps si je bavarde!

– Et puis, messieurs, rapportons-nous à ce que disait majestueusement le grand roi Louis XIV au doge de Venise, devant sa cour assemblée:

Lorsqu’un secret est possédé par un clerc,

Ce secret, il doit le dire, c’est clair.

– Allons, bon! voilà Chalamel avec ses proverbes!

– Je demande la tête de Chalamel!

– Les proverbes sont la sagesse des nations; c’est à ce titre que j’exige ton secret.

– Voyons, pas de bêtises… Je vous dis que le maître clerc m’a fait promettre de ne dire à personne…

– Oui, mais il ne t’a pas défendu de le dire à tout le monde?

– Enfin ça ne sortira pas d’ici. Va donc!…

– Il meurt d’envie de nous le dire, son secret.

– Eh bien! le patron vend sa charge; à l’heure qu’il est, c’est peut-être fait!…

– Ah! bah!

– Voilà une drôle de nouvelle!…

– C’est renversant!

– Éblouissant!

– Voyons, sans charge, qui se charge de la charge dont il se décharge?

– Dieu! que ce Chalamel est insupportable avec ses rébus!

– Est-ce que je sais à qui il la vend?

– S’il la vend, c’est qu’il veut peut-être se lancer, donner des fêtes… des routes, comme dit le beau monde.

– Après tout, il a de quoi.

– Et pas la queue d’une famille.

– Je crois bien qu’il a de quoi! Le maître clerc parle de plus d’un million y compris la valeur de la charge.

– Plus d’un million, c’est caressant.

– On dit qu’il a joué à la Bourse en catimini, avec le commandant Robert, et qu’il a gagné beaucoup d’argent.

– Sans compter qu’il vivait comme un ladre.

– Oui; mais ces ladrichons-là, une fois qu’ils se mettent à dépenser, deviennent plus prodigues que les autres.

– Aussi, je suis comme Chalamel; je croirais assez que maintenant le patron veut la passer douce.

– Et il aurait joliment tort de ne pas s’abîmer de volupté et de ne pas se plonger dans les délices de Golconde… s’il en a le moyen… car, comme dit le vaporeux Ossian dans la grotte de Fingaclass="underline"

Tout notaire qui bambochera,

S’il a du quibus raison aura.

– Je demande la tête de Chalamel!

– C’est absurde!

– Avec ça que le patron a joliment l’air de penser à s’amuser.

– Il a une figure à porter le diable en terre!

– Et puis M. le curé qui vante sa charité!

– Eh bien! charité bien ordonnée commence par soi-même… Tu ne connais donc seulement pas tes commandements de Dieu, sauvage? Si le patron se demande à lui-même l’aumône des plus grands plaisirs… il est de son devoir de se les accorder… ou il se regarderait comme bien peu…

– Moi, ce qui m’étonne, c’est cet ami intime qui lui est comme tombé des nues, et qui ne le quitte pas plus que son ombre…

– Sans compter qu’il a une mauvaise figure…

– Il est roux comme une carotte…

– Je serais assez porté à induire que cet intrus est le fruit d’un faux pas qu’aurait fait M. Ferrand à son aurore; car, comme le disait l’aigle de Meaux à propos de la prise de voile de la tendre La Vallière:

Qu’on aime jeune homme ou vieux bibard,

Souvent la fin est un moutard.

– Je demande la tête de Chalamel!

– C’est vrai… avec lui il est impossible de causer un moment.

– Quelle bêtise! Dire que cet inconnu est le fils du patron! il est plus âgé que lui, on le voit bien.

– Eh bien! à la grande rigueur, qu’est-ce que ça ferait?

– Comment! qu’est-ce que ça ferait: que le fils soit plus âgé que le père?

– Messieurs, j’ai dit à la grande, à la grandissime rigueur.

– Et comment expliques-tu ça?

– C’est tout simple: dans ce cas-là, l’intrus aurait fait le faux pas et serait le père de maître Ferrand au lieu d’être son fils.

– Je demande la tête de Chalamel!

– Ne l’écoutez donc pas: vous savez qu’une fois qu’il est en train de dire des bêtises il en a pour une heure!

– Ce qui est certain, c’est que cet intrus a une mauvaise figure et ne quitte pas maître Ferrand d’un moment.

– Il est toujours avec lui dans son cabinet; ils mangent ensemble, ils ne peuvent faire un pas l’un sans l’autre.

– Moi, il me semble que je l’ai déjà vu ici, l’intrus.

– Moi, pas…

– Dites donc, messieurs, est-ce que vous n’avez pas aussi remarqué que depuis quelques jours, il vient régulièrement presque toutes les deux heures un homme à grandes moustaches blondes, tournure militaire, faire demander l’intrus par le portier? L’intrus descend, cause une minute avec l’homme à moustaches; après quoi, celui-là fait demi-tour comme un automate, pour revenir deux heures après?

– C’est vrai, je l’ai remarqué… Il m’a semblé aussi rencontrer dans la rue, en m’en allant, des hommes qui avaient l’air de surveiller la maison…

– Sérieusement, il se passe ici quelque chose d’extraordinaire.

– Qui vivra verra.

– À ce sujet, le maître clerc en sait peut-être plus que nous, mais il fait le diplomate.

– Tiens, au fait, où est-il donc, depuis tantôt?

– Il est chez cette comtesse qui a été assassinée; il paraît qu’elle est maintenant hors d’affaire.

– La comtesse Mac-Gregor?

– Oui; ce matin elle avait fait demander le patron dare-dare, mais il lui a envoyé le maître clerc à sa place.

– C’est peut-être pour un testament?

– Non, puisqu’elle va mieux.

– En a-t-il, de la besogne, le maître clerc, en a-t-il, maintenant qu’il remplace Germain comme caissier!

– À propos de Germain, en voilà encore une drôle de chose!

– Laquelle?

– Le patron, pour le faire remettre en liberté, a déclaré que c’était lui, M. Ferrand, qui avait fait erreur de compte et qu’il avait retrouvé l’argent qu’il réclamait de Germain.