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– C’est dommage, il va moisir, dit Tortillard.

On entendit un nouveau bruit de chaîne.

– Eh! eh! Fourline qui sautille comme un hanneton attaché par la patte, dit la vieille. Il me semble le voir…

– Hanneton! vole! vole! vole!… Ton mari est le Maître d’école!… chantonna Tortillard.

Cette variante augmenta l’hilarité de la Chouette.

Ayant placé son cabas dans un trou formé par la dégradation de la muraille de l’escalier, elle dit en se relevant:

– Vois-tu, Fourline?…

– Il ne voit pas, dit Tortillard…

– Il a raison, cet enfant! Eh bien! entends-tu, Fourline, il ne fallait pas, en revenant de la ferme, être assez colas pour faire le bon chien… en m’empêchant de dévisager la Pégriotte avec mon vitriol. Par là-dessus, tu m’as parlé de ta muette[2] qui devenait bégueule. J’ai vu que ta pâte de franc gueux s’aigrissait, qu’elle tournait à l’honnête… comme qui dirait au mouchard… que d’un jour à l’autre tu pourrais manger sur nous[3], vieux sans yeux… et alors…

– Alors le vieux sans yeux va manger sur toi, la Chouette, car il a faim! s’écria Tortillard en poussant brusquement et de toutes ses forces la vieille par le dos.

La Chouette tomba en avant, en poussant une imprécation terrible.

On l’entendit rouler au bas de l’escalier de pierre.

– Kis… kis… kis… à toi la Chouette, à toi… saute dessus… vieux, ajouta Tortillard.

Puis, saisissant le cabas sous la pierre où il avait vu la vieille le placer, il gravit précipitamment l’escalier en criant avec un éclat de rire féroce:

– Voilà une poussée qui vaut mieux que celle de tout à l’heure, hein, la Chouette? Cette fois tu ne me mordras pas jusqu’au sang. Ah! tu croyais que je n’avais pas de rancune… merci… je saigne encore.

– Je la tiens… oh!… je la tiens…, cria le Maître d’école du fond du caveau.

– Si tu la tiens, vieux, part à deux, dit Tortillard en ricanant.

Et il s’arrêta sur la dernière marche de l’escalier.

– Au secours! cria la Chouette d’une voix strangulée.

– Merci… Tortillard, reprit le Maître d’école, merci! Et on l’entendit pousser une aspiration de joie effrayante. Oh! je te pardonne le mal que tu m’as fait… et pour ta récompense… tu vas l’entendre chanter, la Chouette!!! écoute-la bien… l’oiseau de mort.

– Bravo!… me voilà aux premières loges, dit Tortillard en s’asseyant au haut de l’escalier.

VII Le caveau

Tortillard, assis sur la première marche de l’escalier, éleva sa lumière pour tâcher d’éclairer l’épouvantable scène qui allait se passer dans les profondeurs du caveau; mais les ténèbres étaient trop épaisses… une si faible clarté ne put les dissiper.

Le fils de Bras-Rouge ne distingua rien.

La lutte du Maître d’école et de la Chouette était sourde, acharnée, sans un mot, sans un cri.

Seulement de temps à autre on entendait l’aspiration bruyante ou le souffle étouffé qui accompagne toujours des efforts violents et contenus.

Tortillard, assis sur le degré de pierre, se mit alors à frapper des pieds avec cette cadence particulière aux spectateurs impatients de voir commencer le spectacle; puis il poussa ce cri familier aux habitués du paradis des théâtres du boulevard:

– Eh! la toile… la pièce… la musique!

– Oh! je te tiendrai comme je veux, murmura le Maître d’école au fond du caveau, et tu vas…

Un mouvement désespéré de la Chouette l’interrompit. Elle se débattait avec l’énergie que donne la crainte de la mort.

– Plus haut… on n’entend pas, cria Tortillard.

– Tu as beau me dévorer la main, je te tiendrai comme je le veux, reprit le Maître d’école.

Puis, ayant sans doute réussi à contenir la Chouette, il ajouta: – C’est cela… Maintenant, écoute…

– Tortillard, appelle ton père! cria la Chouette d’une voix haletante, épuisée. Au secours!… Au secours!…

– À la porte… la vieille! Elle empêche d’entendre, dit le petit boiteux en éclatant de rire; à bas la cabale!

Les cris de la Chouette ne pouvaient percer ces deux étages souterrains.

La misérable, voyant qu’elle n’avait aucune aide à attendre du fils de Bras-Rouge, voulut tenter un dernier effort.

– Tortillard, va chercher du secours, et je te donne mon cabas; il est plein de bijoux… il est là sous une pierre.

– Que ça de générosité! Merci, madame… Est-ce que je ne l’ai pas, ton cabas? Tiens, entends-tu comme ça clique dedans…, dit Tortillard en le secouant. Mais, par exemple, donne-moi tout de suite pour deux sous de galette chaude, et je vas chercher papa!

– Aie pitié de moi, et je…

La Chouette ne put continuer.

Il se fit un nouveau silence.

Le petit boiteux recommença de frapper en mesure sur la pierre de l’escalier où il était accroupi, accompagnant le bruit de ses pieds de ce cri répété:

– Ça ne commence donc pas? Ohé! la toile, ou j’en fais des faux cols! la pièce!… la musique!

– De cette façon, la Chouette, tu ne pourras plus m’étourdir de tes cris, reprit le Maître d’école, après quelques minutes, pendant lesquelles il parvint sans doute à bâillonner la vieille. Tu sens bien, reprit-il d’une voix lente et creuse, que je ne veux pas en finir tout de suite. Torture pour torture! Tu m’as assez fait souffrir. Il faut que je te parle longuement avant de te tuer… oui… longuement… ça va être affreux pour toi… quelle agonie, hein?

– Ah! çà, pas de bêtises, eh! vieux! s’écria Tortillard en se levant à demi; corrige-la, mais ne lui fais pas trop de mal. Tu parles de la tuer… c’est une frime, n’est-ce pas? Je tiens à ma Chouette. Je te l’ai prêtée, mais tu me la rendras… ne me l’abîme pas… je ne veux pas qu’on me détruise ma Chouette, ou sans ça je vais chercher papa.

– Sois tranquille, elle n’aura que ce qu’elle mérite… une leçon profitable… dit le Maître d’école pour rassurer Tortillard, craignant que le petit boiteux n’allât chercher du secours.

– À la bonne heure, bravo! Voilà la pièce qui va commencer, dit le fils de Bras-Rouge, qui ne croyait pas que le Maître d’école menaçât sérieusement les jours de l’horrible vieille.

– Causons donc, la Chouette, reprit le Maître d’école d’une voix calme. D’abord, vois-tu… depuis ce rêve de la ferme de Bouqueval, qui m’a remis sous les yeux tous nos crimes, depuis ce rêve qui a manqué de me rendre fou… qui me rendra fou… car dans la solitude, dans l’isolement profond où je vis, toutes mes pensées viennent malgré moi aboutir à ce rêve… il s’est passé en moi un changement étrange…