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– Et M. Ferrand?

– Le portier me dit d’abord qu’il ne croyait pas que je pourrais voir son maître, et me prie d’attendre dans sa loge; mais au bout d’un moment il revient me chercher; nous traversons la cour et nous entrons dans une chambre au rez-de-chaussée.

«Il n’y avait qu’une mauvaise chandelle pour éclairer. Le notaire était assis au coin d’un feu où fumaillait un restant de tison… Quelle baraque! Je n’avais jamais vu M. Ferrand… Dieu de Dieu, est-il vilain! En voilà encore un qui aurait beau m’offrir le trône de l’Arabie pour faire des traits à Alfred…

– Et le notaire a-t-il paru frappé de la beauté de Cecily?

– Est-ce qu’on peut le savoir avec ses lunettes vertes?… Un vieux sacristain pareil, ça ne doit pas se connaître en femmes. Pourtant, quand nous sommes entrées toutes les deux, il a fait comme un soubresaut sur sa chaise; c’était sans doute l’étonnement de voir le costume alsacien de Cecily; car elle avait (en cent milliards de fois mieux) la tournure d’une de ces marchandes de petits balais, avec ses cotillons courts et ses jolies jambes chaussées de bas bleus à coins rouges: sapristi… quel mollet!… et la cheville si mince!… et le pied si mignon!… Finalement le notaire a eu l’air ahuri en la voyant.

– C’était sans doute la bizarrerie du costume de Cecily qui le frappait?

– Faut croire; mais le moment croustilleux approchait. Heureusement je me suis rappelé la maxime que vous m’avez dite, monsieur Rodolphe; ça a été mon salut.

– Quelle maxime?

– Vous savez: «C’est assez que l’un veuille pour que l’autre ne veuille pas, ou que l’un ne veuille pas pour que l’autre veuille.» Alors je me dis à moi-même: «Il faut que je débarrasse mon roi des locataires de son Allemande, en la colloquant au maître de Louise; hardi! je vas faire une frime»; et voilà que je dis au notaire, sans lui donner le temps de respirer:

«Pardon, monsieur, si ma nièce vient habillée à la mode de son pays; mais elle arrive, elle n’a que ces vêtements-là, et je n’ai pas de quoi lui en faire faire d’autres, d’autant plus que ça ne sera pas la peine; car nous venons seulement pour vous remercier d’avoir dit à Mme Séraphin que vous consentiez à voir Cecily, d’après les bons renseignements que j’avais donnés sur elle; mais je ne crois pas qu’elle puisse convenir à monsieur.»

– Très-bien, madame Pipelet.

«- Pourquoi votre nièce ne me conviendrait-elle pas? dit le notaire, qui s’était remis au coin de son feu, et avait l’air de nous regarder par-dessus ses lunettes.

«- Parce que Cecily commence à avoir le mal du pays, monsieur. Il n’y a pas trois jours qu’elle est ici, et elle veut déjà s’en retourner, quand elle devrait mendier sur la route en vendant de petits balais comme ses payses.

«- Et vous qui êtes sa parente, me dit M. Ferrand, vous souffririez cela?

«- Dame, monsieur, je suis sa parente, c’est vrai; mais elle est orpheline, elle a vingt ans, et elle est maîtresse de ses actions.

«- Bah! bah! maîtresse de ses actions, à cet âge-là on doit obéir à ses parents», reprit-il brusquement.

«Là-dessus voilà Cecily qui se met à pleurnicher et à trembler en se serrant contre moi; c’était le notaire qui lui faisait peur, bien sûr…

– Et Jacques Ferrand?

– Il grommelait toujours en maronnant: «Abandonner une fille à cet âge-là, c’est vouloir la perdre! S’en retourner en Allemagne en mendiant, belle ressource! et vous, sa tante, vous souffrez une telle conduite?…»

«Bien, bien, que je me dis, tu vas tout seul, grigou, je te colloquerai Cecily ou j’y perdrai mon nom.»

«- Je suis sa tante, c’est vrai, que je réponds en grognant, et c’est une malheureuse parenté pour moi; j’ai bien assez de charges; j’aimerais autant que ma nièce s’en aille, que de l’avoir sur les bras. Que le diable emporte les parents qui vous envoient une grande fille comme ça sans seulement l’affranchir!» Pour le coup, voilà Cecily, qui avait l’air d’avoir le mot, qui se met à fondre en larmes… Là-dessus le notaire prend son creux comme un prédicateur et se met à me dire:

«- Vous devez compte à Dieu du dépôt que la Providence a remis entre vos mains; ce serait un crime que d’exposer cette jeune fille à la perdition. Je consens à vous aider dans une œuvre charitable; si votre nièce me promet d’être laborieuse, honnête et pieuse, et surtout de ne jamais, mais jamais sortir de chez moi, j’aurai pitié d’elle, et je la prendrai à mon service.

«- Non, non, j’aime mieux m’en retourner au pays», dit Cecily en pleurant encore.

«Sa dangereuse fausseté ne lui a pas fait défaut…, pensa Rodolphe; la diabolique créature a, je le vois, parfaitement compris les ordres du baron de Graün.» Puis le prince reprit tout haut:

– M. Ferrand paraissait-il contrarié de la résistance de Cecily?

– Oui, monsieur Rodolphe; il maronnait entre ses dents et il lui a dit brusquement:

«- Il ne s’agit pas de ce que vous aimeriez mieux, mademoiselle, mais de ce qui est convenable et décent; le ciel ne vous abandonnera pas si vous menez une bonne conduite et si vous accomplissez vos devoirs religieux. Vous serez ici dans une maison aussi sévère que sainte; si votre tante vous aime réellement, elle profitera de mon offre; vous aurez des gages faibles d’abord; mais, si par votre sagesse et votre zèle vous méritez mieux, plus tard peut-être je les augmenterai.»

«Bon! que je m’écrie à moi-même, enfoncé le notaire! Voilà Cecily colloquée chez toi, vieux fesse-mathieu, vieux sans-cœur! La Séraphin était à ton service depuis des années, et tu n’as pas seulement l’air de te souvenir qu’elle s’est noyée avant-hier…» Et je reprends tout haut:

«- Sans doute, monsieur, la place est avantageuse, mais si cette jeunesse a le mal du pays…

«- Ce mal passera, me répond le notaire; voyons, décidez-vous… est-ce oui ou non? Si vous y consentez, amenez-moi votre nièce demain soir à la même heure, et elle entrera tout de suite à mon service… mon portier la mettra au fait… Quant aux gages je donne, en commençant, vingt francs par mois et vous serez nourrie.

«- Ah! monsieur, vous mettrez bien cinq francs de plus?…

«- Non, plus tard… si je suis content, nous verrons… Mais je dois vous prévenir que votre nièce ne sortira jamais et que personne ne viendra la voir.

«- Eh! mon Dieu, monsieur, qui voulez-vous qui vienne la voir? Elle ne connaît que moi à Paris, et j’ai ma porte à garder; ça m’a assez dérangée d’être obligée de l’accompagner ici; vous ne me verrez plus, elle me sera aussi étrangère que si elle n’était jamais venue de son pays. Quant à ce qu’elle ne sorte pas, il y a un moyen bien simple: laissez-lui le costume de son pays, elle n’osera pas aller habillée comme cela dans les rues.

«- Vous avez raison, me dit le notaire; c’est d’ailleurs respectable de tenir aux vêtements de son pays… Elle restera donc vêtue en Alsacienne.