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– Allons, monseigneur, notre partie est gagnée.

– Je l’espère; une cupidité féroce, une luxure sauvage ont conduit le bourreau de Louise Morel aux forfaits les plus odieux… C’est dans sa luxure, c’est dans sa cupidité qu’il trouvera la punition terrible de ses crimes… punition qui surtout ne sera pas stérile pour ses victimes… car tu sais à quel but doivent tendre tous les efforts de la créole.

– Cecily!… Cecily!… Jamais méchanceté plus grande, jamais corruption plus dangereuse, jamais âme plus noire n’auront servi à l’accomplissement d’un projet d’une moralité plus haute et d’une fin plus équitable… Et David, monseigneur?

– Il approuve tout; au point de mépris et d’horreur où il est arrivé envers cette créature, il ne voit en elle que l’instrument d’une juste vengeance. «Si cette maudite pouvait jamais mériter quelque commisération après tout le mal qu’elle m’a fait, m’a-t-il dit, ce serait en se vouant à l’impitoyable punition de ce scélérat, dont il faut qu’elle soit le démon exterminateur.»

Un huissier ayant légèrement frappé à la porte, Murph sortit, et revint bientôt apportant deux lettres, dont l’une seulement était destinée à Rodolphe.

– C’est un mot de Mme Georges, s’écria ce dernier en lisant rapidement.

– Eh bien! monseigneur… la Goualeuse?…

– Plus de doute, s’écria Rodolphe après avoir lu, il s’agit encore de quelque complot ténébreux. Le soir du jour où cette pauvre enfant a disparu de la ferme, et au moment où Mme Georges allait m’instruire de cet événement, un homme qu’elle ne connaît pas, envoyé en exprès et à cheval, est venu de ma part la rassurer, lui disant que je savais la brusque disparition de Fleur-de-Marie, et que dans quelques jours je la ramènerais à la ferme. Malgré cet avis, Mme Georges, inquiète de mon silence au sujet de sa protégée, ne peut, me dit-elle, résister au désir de savoir des nouvelles de sa fille chérie, ainsi qu’elle appelle cette pauvre enfant.

– Cela est étrange, monseigneur.

– Dans quel but enlever Fleur-de-Marie?

– Monseigneur, dit tout à coup Murph, la comtesse Sarah n’est pas étrangère à cet enlèvement.

– Sarah? Et qui te fait croire?…

– Rapprochez ces événements de ses dénonciations contre Mme d’Harville.

– Tu as raison, s’écria Rodolphe frappé d’une clarté subite, c’est évident… je comprends maintenant… oui, toujours le même calcul. La comtesse s’opiniâtre à croire qu’en parvenant à briser toutes les affections qu’elle me suppose, elle me fera sentir le besoin de me rapprocher d’elle. Cela est aussi odieux qu’insensé. Il faut pourtant qu’une si indigne persécution ait un terme. Ce n’est pas seulement à moi, mais à tout ce qui mérite respect, intérêt, pitié, que cette femme s’attaque. Tu enverras sur l’heure M. de Graün officiellement chez la comtesse; il lui déclarera que j’ai la certitude de la part qu’elle a prise à l’enlèvement de Fleur-de-Marie, et que si elle ne donne pas les renseignements nécessaires pour retrouver cette malheureuse enfant, je serai sans pitié, et alors c’est à la justice que M. de Graün s’adressera.

– D’après la lettre de Mme d’Harville, la Goualeuse serait conduite à Saint-Lazare.

– Oui, mais Rigolette affirme l’avoir vue libre et sortie de prison. Il y a là un mystère qu’il faut éclaircir.

– Je vais à l’instant donner vos ordres au baron de Graün, monseigneur; mais permettez-moi d’ouvrir cette lettre; elle est de mon correspondant de Marseille, à qui j’avais recommandé le Chourineur; il devait faciliter le passage de ce pauvre diable en Algérie.

– Eh bien! est-il parti?

– Monseigneur, voici qui est singulier!

– Qu’y a-t-il?

– Après avoir longtemps attendu à Marseille un bâtiment en partance pour l’Algérie, le Chourineur, qui semblait de plus en plus triste et soucieux, a subitement déclaré, le jour même fixé pour son embarquement, qu’il préférait retourner à Paris.

– Quelle bizarrerie!

– Bien que mon correspondant eût, ainsi qu’il était convenu, mis une assez forte somme à la disposition du Chourineur, celui-ci n’a pris que ce qui lui était rigoureusement nécessaire pour revenir à Paris, où il ne peut tarder à arriver, me dit-on.

– Alors il nous expliquera lui-même son changement de résolution; mais envoie à l’instant de Graün chez la comtesse Mac-Gregor, et va toi-même à Saint-Lazare t’informer de Fleur-de-Marie.

Au bout d’une heure, le baron de Graün revint de chez la comtesse Sarah Mac-Gregor.

Malgré son sang-froid habituel et officiel, le diplomate semblait bouleversé; à peine l’huissier l’eut-il introduit, que Rodolphe remarqua sa pâleur.

– Eh bien!… de Graün… qu’avez-vous?… Avez-vous vu la comtesse?…

– Ah! monseigneur!…

– Qu’y a-t-il?

– Que Votre Altesse Royale se prépare à apprendre quelque chose de bien pénible.

– Mais encore?…

– Mme la comtesse Mac-Gregor…

– Eh bien!…

– Que Votre Altesse Royale me pardonne de lui apprendre si brusquement un événement si funeste, si imprévu, si…

– La comtesse est donc morte?

– Non, monseigneur… mais on désespère de ses jours… elle a été frappée d’un coup de poignard.

– Ah! c’est affreux! s’écria Rodolphe ému de pitié malgré son aversion pour Sarah. Et qui a commis ce crime?

– On l’ignore, monseigneur; ce meurtre a été accompagné de vol, on s’est introduit dans l’appartement de Mme la comtesse et l’on a enlevé une grande quantité de pierreries.

– À cette heure, comment va-t-elle?

– Son état est presque désespéré, monseigneur… elle n’a pas encore repris connaissance… son frère est dans la consternation.

– Il faudra aller chaque jour vous informer de la santé de la comtesse, mon cher de Graün…

À ce moment, Murph revenait de Saint-Lazare.

– Apprends une triste nouvelle, lui dit Rodolphe, la comtesse Sarah vient d’être assassinée… ses jours sont dans le plus grand danger.

– Ah! monseigneur, quoiqu’elle soit bien coupable, on ne peut s’empêcher de la plaindre.

– Oui, une telle fin serait épouvantable!… Et la Goualeuse?

– Mise en liberté depuis hier, monseigneur, on le suppose, par la protection de Mme d’Harville.

– Mais c’est impossible! Mme d’Harville me prie, au contraire, de faire les démarches nécessaires pour faire sortir de prison cette malheureuse enfant.

– Sans doute, monseigneur… et pourtant une femme âgée, d’une figure respectable, est venue à Saint-Lazare, apportant l’ordre de remettre Fleur-de-Marie en liberté. Toutes deux ont quitté la prison.