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– C’est ce que m’a dit Rigolette; mais cette femme âgée qui est venue chercher Fleur-de-Marie, qui est-elle? Où sont-elles allées toutes deux? Quel est ce nouveau mystère? La comtesse Sarah pourrait peut-être seule l’éclaircir; et elle se trouve hors d’état de donner aucun renseignement. Pourvu qu’elle n’emporte pas ce secret dans la tombe!

– Mais son frère, Thomas Seyton, fournirait certainement quelques lumières. De tout temps il a été le conseil de la comtesse.

– Sa sœur est mourante; s’il s’agit d’une nouvelle trame, il ne parlera pas; mais, dit Rodolphe en réfléchissant, il faut savoir le nom de la personne qui s’est intéressée à Fleur-de-Marie pour la faire sortir de Saint-Lazare; ainsi l’on apprendra nécessairement quelque chose.

– C’est juste, monseigneur.

– Tâchez donc de connaître et de voir cette personne le plus tôt possible, mon cher de Graün; si vous n’y réussissez pas, mettez votre M. Badinot en campagne, n’épargnez rien pour découvrir les traces de cette pauvre enfant.

– Votre Altesse Royale peut compter sur mon zèle.

– Ma foi, monseigneur, dit Murph, il est peut-être bon que le Chourineur nous revienne; ses services pourront vous être utiles… pour ces recherches.

– Tu as raison, et maintenant je suis impatient de voir arriver à Paris mon brave sauveur, car je n’oublierai jamais que je lui dois la vie.

XII L’étude

Plusieurs jours s’étaient passés depuis que Jacques Ferrand avait pris Cecily à son service.

Nous conduirons le lecteur (qui connaît déjà ce lieu) dans l’étude du notaire à l’heure du déjeuner des clercs.

Chose inouïe, exorbitante, merveilleuse! au lieu du maigre et peu attrayant ragoût apporté chaque matin à ces jeunes gens par feu Mme Séraphin, un énorme dindon froid, servi dans le fond d’un vieux carton à dossier, trônait au milieu d’une des tables de l’étude, accosté de deux pains tendres, d’un fromage de Hollande et de trois bouteilles de vin cacheté; une vieille écritoire de plomb, remplie d’un mélange de poivre et de sel, servait de salière; tel était le menu du repas.

Chaque clerc, armé de son couteau et d’un formidable appétit, attendait l’heure du festin avec une impatience affamée; quelques-uns même mâchaient à vide, en maudissant l’absence de M. le maître clerc, sans lequel on ne pouvait hiérarchiquement commencer à déjeuner.

Un progrès, ou plutôt un bouleversement si radical dans l’ordinaire des clercs de Jacques Ferrand, annonçait une énorme perturbation domestique.

L’entretien suivant, éminemment béotien (s’il nous est permis d’emprunter cette expression au très-spirituel écrivain qui l’a popularisée [8]) jettera quelques lumières sur cette importante question.

– Voilà un dindon qui ne s’attendait pas, quand il est entré dans la vie, à jamais paraître à déjeuner sur la table des clercs du patron.

– De même que le patron, quand il est entré dans la vie… de notaire, ne s’attendait pas à donner à ses clercs un dindon pour déjeuner.

– Car enfin ce dindon est à nous, s’écria le saute-ruisseau de l’étude avec une gourmande convoitise.

– Saute-ruisseau, mon ami, tu t’oublies; cette volaille doit être pour toi une étrangère.

– Et, comme Français, tu dois avoir la haine de l’étranger.

– Tout ce qu’on pourra faire sera de te donner les pattes.

– Emblème de la vélocité avec laquelle tu fais les courses de l’étude.

– Je croyais avoir au moins droit à la carcasse, dit le saute-ruisseau en murmurant.

– On pourra te l’octroyer… mais tu n’y a pas droit, ainsi qu’il en a été de la Charte de 1814, qui n’était qu’une autre carcasse de liberté, dit le Mirabeau de l’étude.

– À propos de carcasse, reprit un des jeunes gens avec une insensibilité brutale, Dieu veuille avoir l’âme de la mère Séraphin! car depuis qu’elle s’est noyée dans une partie de campagne, nous ne sommes plus condamnés à ses ratatouilles forcées à perpétuité.

– Et depuis une bonne semaine, le patron, au lieu de nous donner à déjeuner…

– Nous alloue à chacun quarante sous par jour.

– C’est ce qui me fait dire: «Dieu veuille avoir l’âme de la mère Séraphin!»

– Au fait, de son temps, jamais le patron ne nous aurait donné les quarante sous.

– C’est énorme!

– C’est fabuleux!

– Il n’y a pas une étude à Paris…

– En Europe…

– Dans l’univers, où l’on donne quarante sous… à un simple clerc pour son déjeuner.

– À propos de Mme Séraphin, qui de vous a vu la servante qui la remplace?

– Cette Alsacienne que la portière de la maison où habitait cette pauvre Louise a amenée un soir, nous a dit le portier?

– Oui.

– Je ne l’ai pas encore vue.

– Ni moi.

– Parbleu! c’est tout bonnement impossible de la voir, puisque le patron est plus féroce que jamais pour nous empêcher d’entrer dans le pavillon de la cour.

– Et puis c’est le portier qui range l’étude maintenant: comment la verrait-on, cette donzelle?

– Eh bien! moi, je l’ai vue.

– Toi?

– Où cela?

– Comment est-elle?

– Grande ou petite?

– Jeune ou vieille?

– D’avance, je suis sûr qu’elle n’a pas une figure aussi avenante que cette pauvre Louise… bonne fille!

– Voyons, puisque tu l’as aperçue, comment est-elle, cette nouvelle servante?

– Quand je dis que je l’ai vue… j’ai vu son bonnet, un drôle de bonnet.

– Ah bah! et comment?

– Il était de couleur cerise et en velours, je crois; une espèce de béguin comme en ont les vendeuses de petits balais.

– Comme les Alsaciennes? C’est tout simple, puisqu’elle est alsacienne.

– Tiens, tiens, tiens…

– Parbleu! qu’est-ce qui vous étonne là-dedans? Chat échaudé craint l’eau froide.

– Ah çà! Chalamel, quel rapport ton proverbe a-t-il avec ce bonnet d’Alsacienne?

– Il n’en a aucun.

– Pourquoi le dis-tu alors?

– Parce qu’un «bienfait n’est jamais perdu», et que «le lézard est l’ami de l’homme».

– Tiens, si Chalamel commence ses bêtises en proverbes, qui ne riment à rien, il en a pour une heure. Voyons, dis donc ce que tu sais de cette nouvelle servante.

– Je passais avant-hier dans la cour; elle était adossée à une des fenêtres du rez-de-chaussée.