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Confessions de saint Augustin, livre II, chapitre II et III

Il fait nuit.

Le profond silence qui règne dans le pavillon habité par Jacques Ferrand est interrompu de temps en temps par les gémissements du vent et par les rafales de la pluie qui tombe à torrents.

Ces bruits mélancoliques semblent rendre plus complète encore la solitude de cette demeure.

Dans une chambre à coucher du premier étage, très-confortablement meublée à neuf et garnie d’un épais tapis, une jeune femme se tient debout devant une cheminée où flambe un excellent feu.

Chose assez étrange! au milieu de la porte soigneusement verrouillée qui fait face au lit, on remarque un petit guichet de cinq ou six pouces carrés qui peut s’ouvrir du dehors.

Une lampe à réflecteur jette une demi-clarté dans cette chambre tendue d’un papier grenat; les rideaux du lit, de la croisée, ainsi que la couverture d’un vaste sofa, sont de damas soie et laine de même couleur.

Nous insistons minutieusement sur ces détails du demi-luxe si récemment importé dans l’habitation du notaire, parce que ce demi-luxe annonce une révolution complète dans les habitudes de Jacques Ferrand, jusqu’alors d’une avarice sordide et d’une insouciance de Spartiate (surtout à l’endroit d’autrui) pour tout ce qui touchait au bien-être.

C’est donc sur cette tenture grenat, fond vigoureux et chaud de ton, que se dessine la figure de Cecily, que nous allons tâcher de peindre.

D’une stature haute et svelte, la créole est dans la fleur et dans l’épanouissement de l’âge. Le développement de ses belles épaules et de ses larges hanches fait paraître sa taille ronde si merveilleusement mince que l’on croirait que Cecily peut se servir de son collier pour ceinture.

Aussi simple que coquet, son costume alsacien est d’un goût bizarre, un peu théâtral, et ainsi d’autant plus approprié à l’effet qu’elle a voulu produire.

Son spencer de casimir noir, à demi ouvert sur sa poitrine saillante, très-long de corsage, à manches justes, à dos plat, est légèrement bordé de laine pourpre sur les coutures et rehaussé d’une rangée de petits boutons d’argent ciselés. Une courte jupe de mérinos orange, qui semble d’une ampleur exagérée quoiqu’elle colle sur des contours d’une richesse sculpturale, laisse voir à demi le genou charmant de la créole, chaussée de bas écarlates à coins bleus, ainsi que cela se rencontre chez les vieux peintres flamands, qui montrent si complaisamment les jarretières de leurs robustes héroïnes.

Jamais artiste n’a rêvé un galbe aussi pur que celui des jambes de Cecily; nerveuses et fines au-dessous de leur mollet rebondi, elles se terminent par un pied mignon, bien à l’aise et bien cambré dans son tout petit soulier de maroquin noir à boucle d’argent.

Cecily, un peu hanchée sur le côté gauche, est debout en face de la glace qui surmonte la cheminée… L’échancrure de son spencer permet de voir son cou élégant et potelé, d’une blancheur éblouissante, mais sans transparence.

Otant son béguin de velours cerise pour le remplacer par un madras, la créole découvrit ses épais et magnifiques cheveux d’un noir bleu, qui, séparés au milieu du front et naturellement frisés, ne descendaient pas plus bas que le collier de Vénus qui joignait le col aux épaules.

Il faut connaître le goût inimitable avec lequel les créoles tortillent autour de leur tête ces mouchoirs aux couleurs tranchantes, pour avoir une idée de la gracieuse coiffure de nuit de Cecily et du contraste piquant de ce tissu bariolé de pourpre, d’azur et d’orange, avec ses cheveux noirs qui, s’échappant du pli serré du madras, encadrent de leurs mille boucles soyeuses ses joues pâles, mais rondes et fermes…

Les deux bras, élevés et arrondis au-dessus de sa tête, elle finissait, du bout de ses doigts déliés comme des fuseaux d’ivoire, de chiffonner une large rosette placée très-bas du côté gauche, presque sur l’oreille.

Les traits de Cecily sont de ceux qu’il est impossible d’oublier jamais.

Un front hardi, un peu saillant, surmonte son visage d’un ovale parfait; son teint a la blancheur mate, la fraîcheur satinée d’une feuille de camélia imperceptiblement dorée par un rayon de soleil; ses yeux, d’une grandeur presque démesurée, ont une expression singulière, car leur prunelle, extrêmement large, noire et brillante, laisse à peine apercevoir, aux deux coins des paupières frangées de longs cils la transparence bleuâtre du globe de l’œil; son menton est nettement accusé; son nez droit et fin se termine par deux narines mobiles qui se dilatent à la moindre émotion; sa bouche, insolente et amoureuse, est d’un pourpre vif.

Qu’on s’imagine donc cette figure incolore, avec son regard tout noir qui étincelle, et ses deux lèvres rouges, lisses, humides, qui luisent comme du corail mouillé.

Disons-le, cette grande créole, à la fois svelte et charnue, vigoureuse et souple comme une panthère, était le type incarné de la sensualité brutale qui ne s’allume qu’aux feux des tropiques.

Tout le monde a entendu parler de ces filles de couleur pour ainsi dire mortelles aux Européens, de ces vampires enchanteurs qui, enivrant leur victime de séductions terribles, pompent jusqu’à sa dernière goutte d’or et de sang, et ne lui laissent, selon l’énergique expression du pays, que ses larmes à boire, que son cœur à ronger.

Telle est Cecily.

Seulement ses détestables instincts, quelque temps contenus par son véritable attachement pour David, ne s’étant développés qu’en Europe, la civilisation et l’influence des climats du Nord en avaient tempéré la violence, modifié l’expression.

Au lieu de se jeter violemment sur sa proie, et de ne songer, comme ses pareilles, qu’à anéantir au plus tôt une vie et une fortune de plus, Cecily, attachant sur ses victimes son regard magnétique, commençait par les attirer peu à peu dans le tourbillon embrasé qui semblait émaner d’elle; puis, les voyant alors pantelantes, éperdues, souffrant les tortures d’un désir inassouvi, elle se plaisait, par un raffinement de coquetterie féroce, à prolonger leur délire ardent; puis, en revenant à son premier instinct, elle les dévorait dans ses embrassements homicides.

Cela était plus horrible encore.

Le tigre affamé, qui bondit et emporte la proie qu’il déchire en rugissant, inspire moins d’horreur que le serpent qui la fascine silencieusement, l’aspire peu à peu, l’enlace de ses replis inextricables, l’y broie longuement, la sent palpiter sous ses lentes morsures et semble se repaître autant de ses douleurs que de son sang.

Cecily, nous l’avons dit, à peine arrivée en Allemagne, ayant d’abord été débauchée par un homme affreusement dépravé, put, à l’insu de David, qui l’aimait avec autant d’idolâtrie que d’aveuglement, déployer et exercer pendant quelque temps ses dangereuses séductions; mais bientôt le funeste scandale de ses aventures fut dévoilé; on fit d’horribles découvertes, et cette femme dut être condamnée à une prison perpétuelle.