Mis en liberté par la Louve, le frère et la sœur sortirent précipitamment du caveau.
– Ô la Louve! Sauvez mon frère Martial, ils veulent le faire mourir! s’écria François; depuis deux jours ils l’ont muré dans sa chambre.
– Ils ne lui ont pas fait de blessures?
– Non, non, je ne crois pas.
– J’arrive à temps! s’écria la Louve en courant à l’escalier; puis, s’arrêtant après avoir gravi quelques marches: Et la Goualeuse que j’oublie! dit-elle. Amandine, du feu tout de suite; toi et ton frère, apportez ici près de la cheminée une pauvre fille qui se noyait; je l’ai sauvée. Elle est sous la tonnelle. François, un merlin, une hache, une barre de fer, que j’enfonce la porte de mon homme!
– Il y a là le merlin à fendre le bois, mais c’est trop lourd pour vous, dit le jeune garçon en traînant avec peine un énorme marteau.
– Trop lourd! s’écria la Louve; et elle enleva sans peine cette masse de fer qu’en toute autre circonstance elle eût peut-être difficilement soulevée.
Puis, montant l’escalier quatre à quatre, elle répéta aux deux enfants:
– Courez chercher la jeune fille et approchez-la du feu.
En deux bonds la Louve fut au fond du corridor, à la porte de Martial.
– Courage, mon homme, voilà ta Louve! s’écria-t-elle; et levant le marteau à deux mains, d’un coup furieux elle ébranla la porte.
– Elle est clouée en dehors. Arrache les clous, s’écria Martial d’une voix faible.
Se jetant aussitôt à genoux dans le corridor, à l’aide du bec du merlin et de ses ongles qu’elle meurtrit, de ses doigts qu’elle déchira, la Louve parvint à arracher du plancher et du chambranle plusieurs clous énormes qui condamnaient la porte.
Enfin cette porte s’ouvrit.
Martial, pâle, les mains ensanglantées, tomba presque sans mouvement dans les bras de la Louve.
II La Louve et Martial
– Enfin je te vois, je te tiens, je t’ai…, s’écria la Louve en recevant et en serrant Martial dans ses bras, avec un accent de possession et de joie d’une énergie sauvage; puis, le soutenant, le portant presque, elle l’aida à s’asseoir sur un banc placé dans le corridor.
Pendant quelques minutes Martial resta faible, hagard, cherchant à se remettre de cette violente secousse qui avait épuisé ses forces défaillantes.
La Louve sauvait son amant au moment où, anéanti, désespéré, il se sentait mourir, moins encore par le manque d’aliments que par la privation d’air, impossible à renouveler dans une petite chambre sans cheminée, sans issue, et hermétiquement fermée, grâce à l’atroce prévoyance de Calebasse, qui avait bouché avec de vieux linges jusqu’aux moindres fissures de la porte et de la croisée.
Palpitante de bonheur et d’angoisse, les yeux mouillés de pleurs, la Louve, à genoux, épiait les moindres mouvements de la physionomie de Martial.
Celui-ci semblait peu à peu renaître en aspirant à longs traits un air pur et salubre.
Après quelques tressaillements, il releva sa tête appesantie, poussa un long soupir et ouvrit les yeux.
– Martial, c’est moi, c’est ta Louve! Comment vas-tu?
– Mieux, répondit-il d’une voix faible.
– Mon Dieu! qu’est-ce que tu veux? De l’eau, du vinaigre?
– Non, non, reprit Martial de moins en moins oppressé. De l’air! Oh! de l’air, rien que de l’air!
La Louve, au risque de se couper les poings, brisa les quatre carreaux d’une fenêtre qu’elle n’aurait pu ouvrir sans déranger une lourde table.
– Je respire maintenant, je respire; ma tête se dégage, dit Martial en revenant tout à fait à lui.
Puis, comme s’il se fût alors seulement rappelé le service que sa maîtresse lui avait rendu, il s’écria avec une explosion de reconnaissance ineffable:
– Sans toi, j’étais mort, ma brave Louve.
– Bien, bien… comment te trouves-tu à cette heure?
– De mieux en mieux.
– Tu as faim?
– Non, je me sens trop faible. Ce qui m’a fait le plus souffrir, c’était le manque d’air. À la fin, j’étouffais, j’étouffais… c’était affreux.
– Et maintenant?
– Je revis, je sors du tombeau, et j’en sors grâce à toi!
– Mais tes mains, tes pauvres mains! Ces coupures!… Qu’est-ce qu’ils t’ont donc fait, mon Dieu?
– Nicolas et Calebasse, n’osant pas m’attaquer en face une seconde fois, m’avaient muré dans ma chambre pour m’y laisser mourir de faim. J’ai voulu les empêcher de clouer mes volets, ma sœur m’a coupé les mains à coups de hachette!!!
– Les monstres! ils voulaient faire croire que tu étais mort de maladie; ta mère avait déjà répandu le bruit que tu te trouvais dans un état désespéré. Ta mère, mon homme, ta mère!…
– Tiens, ne me parle pas d’elle, dit Martial avec amertume; puis, remarquant pour la première fois les vêtements mouillés et l’étrange accoutrement de la Louve, il s’écria: Que t’est-il arrivé? Tes cheveux ruissellent, tu es en jupon… il est trempé d’eau!
– Qu’importe! Enfin te voilà sauvé, sauvé!
– Mais explique-moi pourquoi tu es ainsi mouillée.
– Je te savais en danger… je n’ai pas trouvé de bateau…
– Et tu es venue à la nage?
– Oui. Mais tes mains, donne que je les baise. Tu souffres… Les monstres!… Et je n’étais pas là!
– Oh! ma brave Louve! s’écria Martial avec enthousiasme, brave entre toutes les créatures braves!
– N’as-tu pas écrit là: «Mort aux lâches!»
Et la Louve montra son bras tatoué où étaient écrits ces mots en caractères indélébiles.
– Intrépide, va! Mais le froid t’a saisie, tu trembles.
– Ça n’est pas de froid.
– C’est égal… Entre là, tu prendras le manteau de Calebasse, tu t’envelopperas dedans.
– Mais…
– Je le veux.
En une seconde, la Louve fut enveloppée d’un manteau de tartan et revint.
– Pour moi… risquer de te noyer! répéta Martial en la regardant avec exaltation.
– Au contraire… une pauvre fille se noyait, je l’ai sauvée en abordant à l’île.
– Tu l’as sauvée aussi? Où est-elle?
– En bas, avec les enfants; ils la soignent.
– Et qui est cette jeune fille?
– Mon Dieu! si tu savais quel hasard, quel heureux hasard! C’est une de mes compagnes de Saint-Lazare, une fille bien extraordinaire, va…
– Comment cela?
– Figure-toi que je l’aimais et que je la haïssais, parce qu’elle m’avait mis à la fois la mort et le bonheur dans l’âme.