Выбрать главу

– Ah! mon Dieu! monsieur… est-ce qu’il y a davantage de danger pour lui? s’écria Rigolette.

– Pas précisément; mais ces bandits-là voient qu’il n’est pas des leurs, et ils le haïssent parce qu’il a l’air honnête et fier.

– Je lui avais pourtant recommandé de faire ce que vous me dites là, monsieur, de tâcher de parler aux moins méchants; mais c’est plus fort que lui, il ne peut surmonter sa répugnance.

– Il a tort… il a tort… une rixe est bien vite engagée.

– Mon Dieu! Mon Dieu! On ne peut donc pas le séparer d’avec les autres?

– Depuis deux ou trois jours que je me suis aperçu de leurs mauvaises intentions à son égard, je lui avais conseillé de se mettre à ce que nous appelons la pistole, c’est-à-dire en chambre.

– Eh bien?

– Je n’avais pas pensé à une chose… toute une rangée de cellules est comprise dans les travaux de réparation qu’on fait à la prison, et les autres sont occupées.

– Mais ces mauvais hommes sont capables de le tuer! s’écria Rigolette, dont les yeux se remplirent de larmes. Et si par hasard il avait des protecteurs, que pourraient-ils pour lui, monsieur?

– Rien autre chose que de lui faire obtenir ce qu’obtiennent les détenus qui peuvent la payer, une chambre à la pistole.

– Hélas!… alors il est perdu, s’il est pris en haine dans la prison…

– Rassurez-vous, on y veillera de près… Mais, je vous le répète, ma chère demoiselle… conseillez-lui de se familiariser un peu… il n’y a que le premier pas qui coûte!

– Je lui recommanderai cela de toutes mes forces, monsieur; mais pour un bon et honnête cœur, c’est dur, voyez-vous, de se familiariser avec des gens pareils.

– De deux maux il faut choisir le moindre. Allons, je vais demander M. Germain. Mais au fait, tenez, j’y pense, dit le gardien en se ravisant, il ne reste plus que deux visiteurs… attendez qu’ils soient partis… il n’en reviendra pas d’autres aujourd’hui… car voilà deux heures… je ferai prévenir M. Germain; vous causerez plus à l’aise… Je pourrai même, quand vous serez seuls, le faire entrer dans le couloir, de façon que vous ne soyez séparés que par une grille au lieu de deux: c’est toujours cela.

– Ah! monsieur, combien vous êtes bon… que je vous remercie!

– Chut! qu’on ne vous entende pas, ça ferait des jaloux. Asseyez-vous là-bas, au bout du banc; et dès que cet homme et cette femme seront partis, j’irai prévenir M. Germain.

Le gardien rentra à son poste dans l’intérieur du couloir; Rigolette alla tristement se placer à l’extrémité du banc où s’asseyaient les visiteurs.

Pendant que la grisette attend l’arrivée de Germain, nous ferons successivement assister le lecteur à l’entretien des prisonniers qui étaient restés dans le parloir après le départ de Nicolas Martial.

Fin de la septième partie

HUITIÈME PARTIE

I Pique-Vinaigre

Le détenu qui se trouvait à côté de Barbillon était un homme de quarante-cinq ans environ, grêle, chétif, et d’une physionomie fine, intelligente, joviale et railleuse; il avait une bouche énorme, presque entièrement édentée; dès qu’il parlait, il la contournait de droite à gauche, selon l’habitude assez générale des gens accoutumés à s’adresser à la populace des carrefours; son nez était camard; sa tête démesurément grosse, presque complètement chauve; il portait un vieux gilet de tricot gris, un pantalon d’une couleur inappréciable, lacéré, rapiécé en mille endroits: ses pieds nus, rougis par le froid, à demi enveloppés de vieux linges, étaient chaussés de sabots.

Cet homme, nommé Fortuné Gobert, dit Pique-Vinaigre, ancien joueur de gobelets, réclusionnaire libéré d’une condamnation pour crime d’émission de fausse monnaie, était prévenu de rupture de ban et de vol commis la nuit avec effraction et escalade.

Écroué depuis très-peu de jours à la Force, déjà Pique-Vinaigre remplissait, à la satisfaction générale de ses compagnons de prison, le métier de conteur.

Aujourd’hui les conteurs sont très-rares; mais autrefois chaque chambrée avait généralement, moyennant une légère contribution individuelle, son conteur d’office, qui par ses improvisations faisait paraître moins longues les interminables soirées d’hiver, les détenus se couchant à la tombée du jour.

S’il est assez curieux de signaler ce besoin de fictions, de récits émouvants, qui se retrouve chez ces misérables, il est une chose bien plus considérable aux yeux des penseurs: ces gens corrompus jusqu’à la moelle, ces voleurs, ces meurtriers, préfèrent surtout les histoires où sont exprimés des sentiments généreux, héroïques, les récits où la faiblesse et la bonté sont vengées d’une oppression farouche.

Il en est de même des filles perdues; elles affectionnent singulièrement la lecture des romans naïfs, touchants et élégiaques, et répugnent presque toujours aux lectures obscènes.

L’instinct naturel du bien, joint au besoin d’échapper par la pensée à tout ce qui leur rappelle la dégradation où elles vivent, ne cause-t-il pas chez ces malheureuses les sympathies et les répulsions intellectuelles dont nous venons de parler?

Pique-Vinaigre excellait donc dans ce genre de récits héroïques où la faiblesse, après mille traverses, finit par triompher de son persécuteur. Pique-Vinaigre possédait en outre un grand fonds d’ironie qui lui avait valu son sobriquet, ses reparties étant souvent sardoniques ou plaisantes.

Il venait d’entrer au parloir.

En face de lui, de l’autre côté de la grille, on voyait une femme de trente-cinq ans environ, d’une figure pâle, douce et intéressante, pauvrement, mais proprement vêtue; elle pleurait amèrement et tenait son mouchoir sur ses yeux.

Pique-Vinaigre la regardait avec un mélange d’impatience et d’affection.

– Voyons donc, Jeanne, lui dit-il, ne fais pas l’enfant; voilà seize ans que nous ne nous sommes vus: si tu gardes toujours ton mouchoir sur tes yeux, ça n’est pas le moyen de nous reconnaître.

– Mon frère, mon pauvre Fortuné… j’étouffe… je ne peux pas parler…

– Es-tu drôle, va! Mais qu’est-ce que tu as?

Sa sœur, car cette femme était sa sœur, contint ses sanglots, essuya ses larmes et, le regardant avec stupeur, reprit:

– Ce que j’ai? Comment, je te retrouve en prison, toi qui y es déjà resté quinze ans…

– C’est vrai; il y a aujourd’hui six mois que je suis sorti de la centrale de Melun… sans t’aller voir à Paris, parce que la capitale m’était défendue…

– Déjà repris! Qu’est-ce que tu as donc encore fait, mon Dieu? Pourquoi as-tu quitté Beaugency, où on t’avait envoyé en surveillance?

– Pourquoi! Faudrait me demander pourquoi j’y suis allé.