«Mon client ne nie pas avoir crocheté un secrétaire pour y voler la somme dont il s’agit; mais que voulez-vous! il aime la bonne chère, il adore les femmes, il chérit le bien-être et le luxe; or, une fois qu’il est dévoré de cette soif de plaisirs, il ne fait plus aucune différence entre ce qui est à lui et ce qui est aux autres.»
Et nous maintenons la comparaison exacte entre le voleur et le spoliateur. Celui-ci n’agiote que dans l’espoir du gain, et il ne désire ce gain que pour augmenter sa fortune ou ses jouissances.
Résumons notre pensée…
Nous voudrions que, grâce à une réforme législative, l’abus de confiance, commis par un officier public, fût qualifié vol, et assimilé, pour le minimum de la peine, au vol domestique: et, pour le maximum, au vol avec effraction et récidive.
La compagnie à laquelle appartiendrait l’officier public serait responsable des sommes qu’il aurait volées en sa qualité de mandataire forcé et salarié.
Voici, du reste, un rapprochement qui servira de corollaire à cette digression… Après les faits que nous allons citer, tout commentaire devient inutile.
Seulement, on se demande si l’on vit dans une société civilisée ou dans un monde barbare.
On lit dans le Bulletin des tribunaux du 17 février 1843, à propos d’un appel interjeté par un huissier condamné pour abus de confiance:
«La cour, adoptant les motifs des premiers juges;
«Et attendu que les écrits produits pour la première fois devant la cour, par le prévenu, sont impuissants pour détruire et même pour affaiblir les faits qui ont été constatés devant les premiers juges;
«Attendu qu’il est prouvé que le prévenu, en sa qualité d’huissier, comme mandataire forcé et salarié, a reçu des sommes d’argent pour trois de ses clients; que, lorsque les demandes de la part de ceux-ci lui ont été adressées pour les obtenir, il a répondu à tous par des subterfuges et des mensonges;
«Qu’enfin il a détourné et dissipé des sommes d’argent au préjudice de ses trois clients; qu’il a abusé de leur confiance, et qu’il a commis le délit prévu et puni par les art. 408 et 406 du Code pénal, etc., etc.;
«Confirme la condamnation à deux mois de prison et vingt-cinq francs d’amende.»
Quelques lignes plus bas, dans le même journal, on lisait le même jour:
«Cinquante-trois ans de travaux forcés.
«Le 13 septembre dernier, un vol de nuit fut commis avec escalade et effraction dans une maison habitée par les époux Bresson, marchands de vin au village d’Ivry.
«Des traces récentes attestaient qu’une échelle avait été appliquée contre le mur de la maison, et l’un des volets de la chambre dévalisée, donnant sur la rue, avait cédé sous l’effort d’une effraction vigoureuse.
«Les objets enlevés étaient en eux-mêmes moins considérables par la valeur que par le nombre: c’étaient de mauvaises hardes, de vieux draps de lit, des chaussures éculées, deux casseroles trouées, et, pour tout énumérer, deux bouteilles d’absinthe blanche de Suisse.
«Ces faits, imputés au prévenu Tellier, ayant été pleinement justifiés aux débats, M. l’avocat général a requis toute la sévérité de la loi contre l’accusé, à cause surtout de son état particulier de récidive légale.
«Aussi, le jury ayant rendu un verdict de culpabilité sur toutes les questions, sans circonstances atténuantes, la cour a condamné Tellier à vingt années de travaux forcés et à l’exposition.»
Ainsi, pour l’officier public spoliateur: deux mois de prison… Pour le libéré récidiviste: vingt ans de travaux forcés et l’exposition.
Qu’ajouter à ces faits?… Ils parlent d’eux-mêmes…
Quelles tristes et sérieuses réflexions (nous l’espérons, du moins) ne soulèveront-ils pas?
Fidèle à sa promesse, le vieux gardien avait été chercher Germain.
Lorsque l’huissier Boulard fut rentré dans l’intérieur de la prison, la porte du couloir s’ouvrit, Germain y entra, et Rigolette ne fut plus séparée de son pauvre protégé que par un léger grillage de fil de fer.
IV François Germain
Les traits de Germain manquaient de régularité, mais on ne pouvait voir une figure plus intéressante; sa tournure était distinguée, sa taille svelte; ses vêtements simples, mais propres (un pantalon gris et une redingote noire boutonnée jusqu’au cou), ne se ressentaient en rien de l’incurie sordide où s’abandonnent généralement les prisonniers; ses mains blanches et nettes témoignaient d’un soin pour sa personne qui avait encore augmenté l’aversion des autres détenus à son égard; car la perversité morale se joint presque toujours à la saleté physique.
Ses cheveux châtains, naturellement bouclés, qu’il portait longs et séparés sur le côté du front, selon la mode du temps, encadraient sa figure pâle et abattue; ses yeux, d’un beau bleu, annonçaient la franchise et la bonté; son sourire, à la fois doux et triste, exprimait la bienveillance et une mélancolie habituelle; car, quoique bien jeune, ce malheureux avait été déjà cruellement éprouvé.
En un mot, rien de plus touchant que cette physionomie souffrante, affectueuse, résignée, comme aussi rien de plus honnête, de plus loyal que le cœur de ce jeune homme.
La cause même de son arrestation (en la dépouillant des aggravations calomnieuses dues à la haine de Jacques Ferrand) prouvait la bonté de Germain et n’accusait qu’un moment d’entraînement et d’imprudence coupable sans doute, mais pardonnable, si l’on songe que le fils de Mme Georges pouvait remplacer le lendemain matin la somme momentanément prise dans la caisse du notaire pour sauver Morel le lapidaire.
Germain rougit légèrement, lorsque à travers le grillage du parloir il aperçut le frais et charmant visage de Rigolette.
Celle-ci, selon sa coutume, voulait paraître joyeuse, pour encourager et égayer un peu son protégé; mais la pauvre enfant dissimulait mal le chagrin et l’émotion qu’elle ressentait toujours dès son entrée dans la prison.
Assise sur un banc, de l’autre côté de la grille, elle tenait sur ses genoux son cabas de paille.
Le vieux gardien, au lieu de rester dans le couloir, alla s’établir auprès d’un poêle à l’extrémité de la salle; au bout de quelques moments il s’endormit.
Germain et Rigolette purent donc causer en liberté.
– Voyons, monsieur Germain, dit la grisette en approchant le plus possible son gentil visage de la grille pour mieux examiner les traits de son ami, voyons si je serai contente de votre figure… Est-elle moins triste?… Hum!… hum!… comme cela… Prenez garde… je me fâcherai…
– Que vous êtes bonne!… Venir encore aujourd’hui!
– Encore! mais c’est un reproche, cela…
– Ne devrais-je pas, en effet, vous reprocher de tant faire pour moi, pour moi qui ne peux rien… que vous dire merci?