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– Erreur, monsieur; car je suis aussi heureuse que vous des visites que je vous fais. Ce serait donc à moi de vous dire merci à mon tour… Ah! ah! c’est là où je vous prends, monsieur l’injuste… Aussi, j’aurais bien envie de vous punir de vos vilaines idées en ne vous donnant pas ce que je vous apporte.

– Encore une attention… Comme vous me gâtez!… Oh! merci!… Pardon si je répète si souvent ce mot qui vous fâche… mais vous ne me laissez que cela à dire.

– D’abord, vous ne savez pas ce que je vous apporte…

– Qu’est-ce que cela me fait?…

– Eh bien! vous êtes gentil…

– Quoi que ce soit, cela ne vient-il pas de vous? Votre bonté touchante ne me remplit-elle pas de reconnaissance… et d’…

Germain n’acheva pas et baissa les yeux.

– Et de quoi?… reprit Rigolette en rougissant.

– Et de… de dévouement, balbutia Germain.

– Pourquoi pas de respect tout de suite, comme à la fin d’une lettre? dit Rigolette avec impatience. Vous me trompez, ce n’est pas cela que vous vouliez dire… Vous vous êtes arrêté brusquement…

– Je vous assure…

– Vous m’assurez… vous m’assurez… je vous vois bien rougir à travers la grille… Est-ce que je ne suis pas votre petite amie, votre bonne camarade? Pourquoi me cacher quelque chose?… Soyez donc franc avec moi, dites-moi tout, ajouta timidement la grisette: car elle n’attendait qu’un aveu de Germain pour lui dire naïvement, loyalement qu’elle l’aimait.

Honnête et généreux amour, que le malheur de Germain avait fait naître.

– Je vous assure, reprit le prisonnier avec un soupir, que je n’ai voulu rien dire de plus… que je ne vous cache rien!

– Fi! le menteur! s’écria Rigolette en frappant du pied. Eh bien! vous voyez cette grande cravate de laine blanche que je vous apportais – elle la tira de son cabas, pour vous punir d’être si dissimulé, vous ne l’aurez pas… Je l’avais tricotée pour vous… je m’étais dit: «Il doit faire si froid, si humide dans ces grandes cours de la prison, qu’au moins il sera bien chaudement garanti avec cela… Il est si frileux!»

– Comment, vous…?

– Oui, monsieur, vous êtes frileux…, dit Rigolette en l’interrompant, je me le rappelle bien, peut-être! ce qui ne vous empêchait pas de vouloir toujours, par délicatesse, m’empêcher de mettre du bois dans mon poêle, quand vous passiez la soirée avec moi… Oh! j’ai bonne mémoire!

– Et moi aussi… que trop bonne!… dit Germain d’une voix émue.

Et il passa sa main sur ses yeux.

– Allons! vous voilà encore à vous attrister, quoique je vous le défende.

– Comment voulez-vous que je ne sois pas touché aux larmes, quand je songe à tout ce que vous avez fait pour moi depuis mon séjour en prison?… Et cette nouvelle attention n’est-elle pas charmante? Ne sais-je pas enfin que vous prenez sur vos nuits pour avoir le temps de venir me voir? À cause de moi, vous vous imposez un travail exagéré.

– C’est ça! plaignez-moi bien vite de faire tous les deux ou trois jours une jolie promenade pour venir visiter mes amis, moi qui adore marcher… C’est si amusant de regarder les boutiques tout le long du chemin!

– Et aujourd’hui, sortir par ce vent, par cette pluie!

– Raison de plus, vous n’avez pas idée des drôles de figures qu’on rencontre! Les uns retiennent leur chapeau à deux mains pour que l’ouragan ne l’emporte pas; les autres, pendant que leur parapluie fait la tulipe, font des grimaces incroyables en fermant les yeux pendant que la pluie leur fouette le visage… Tenez, ce matin, pendant toute ma route, c’était une vraie comédie… Je me promettais de vous faire rire en vous la racontant… Mais vous ne voulez pas seulement vous dérider un peu…

– Ce n’est pas ma faute… pardonnez-moi; mais les bonnes impressions que je vous dois tournent en attendrissement profond… Vous le savez, je n’ai pas le bonheur gai… c’est plus fort que moi…

Rigolette ne voulut pas laisser pénétrer que, malgré son gentil babil, elle était bien près de partager l’émotion de Germain; elle se hâta de changer de conversation et reprit:

– Vous dites toujours que c’est plus fort que vous; mais il y a encore bien des choses plus fortes que vous… que vous ne faites pas, quoique je vous en aie prié, supplié, ajouta Rigolette.

– De quoi voulez-vous parler?

– De votre opiniâtreté à vous isoler toujours des autres prisonniers… à ne jamais leur parler… Leur gardien vient encore de me dire que, dans votre intérêt, vous devriez prendre cela sur vous… Je suis sûre que vous n’en faites rien… Vous vous taisez?… Vous voyez bien, c’est toujours la même chose!… Vous ne serez content que lorsque ces affreux hommes vous auront fait du mal!…

– C’est que vous ne savez pas l’horreur qu’ils m’inspirent… vous ne savez pas toutes les raisons personnelles que j’ai de fuir et d’exécrer eux et leurs pareils!

– Hélas! si, je crois les savoir, ces raisons… j’ai lu ces papiers que vous aviez écrits pour moi, et que j’ai été chercher chez vous après votre emprisonnement… Là j’ai appris les dangers que vous aviez courus à votre arrivée à Paris, parce que vous vous êtes refusé à vous associer, en province, aux crimes du scélérat qui vous avait élevé… C’est même à la suite du dernier guet-apens qu’il vous a tendu que, pour le dérouter, vous avez quitté la rue du Temple… ne disant qu’à moi où vous alliez demeurer… Dans ces papiers-là… j’ai aussi lu autre chose, ajouta Rigolette en rougissant de nouveau et en baissant les yeux; j’ai lu des choses… que…

– Oh! que vous auriez toujours ignorées, je vous le jure, s’écria vivement Germain, sans le malheur qui me frappe… Mais, je vous en supplie, soyez tout à fait généreuse: pardonnez-moi ces folies, oubliez-les; autrefois seulement il m’était permis de me complaire dans ces rêves, quoique bien insensés.

Rigolette venait une seconde fois de tâcher d’amener un aveu sur les lèvres de Germain, en faisant allusion aux pensées remplies de tendresse, de passion, que celui-ci avait écrites jadis et dédiées au souvenir de la grisette; car, nous l’avons dit, il avait toujours ressenti pour elle un vif et sincère amour; mais, pour jouir de l’intimité cordiale de sa gentille voisine, il avait caché cet amour sous les dehors de l’amitié.

Rendu par le malheur encore plus défiant et plus timide, il ne pouvait s’imaginer que Rigolette l’aimât d’amour, lui prisonnier, lui flétri d’une accusation terrible, tandis qu’avant les malheurs qui le frappaient elle ne lui témoignait qu’un attachement tout fraternel.

La grisette, se voyant si peu comprise, étouffa un soupir, attendant, espérant une occasion meilleure de dévoiler à Germain le fond de son cœur.

Elle reprit donc avec embarras:

– Mon Dieu! je comprends bien que la société de ces vilaines gens vous fasse horreur, mais ce n’est pas une raison pourtant pour braver des dangers inutiles.