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Germain interrompit Rigolette avec une ivresse passionnée.

– Eh bien! j’accepte… j’accepte; oui, je le sens, il est quelquefois lâche de refuser certains sacrifices, c’est reconnaître qu’on en est indigne… J’accepte, noble et courageuse fille.

– Bien vrai? Bien vrai, cette fois?…

– Je vous le jure… et puis, vous m’avez dit d’ailleurs quelque chose qui m’a frappé, qui m’a donné le courage qui me manquait.

– Quel bonheur! Et qu’ai-je dit?

– Que pour vous je devrai désormais rester honnête homme… Oui, dans cette pensée je trouverai la force de résister aux détestables influences qui m’entourent… Je braverai la contagion, et je saurai conserver digne de votre amour ce cœur qui vous appartient!

– Ah! Germain, que je suis heureuse! Si j’ai fait quelque chose pour vous, comme vous me récompensez!!!

– Et puis, voyez-vous, quoique vous excusiez ma faute, je n’oublierai pas sa gravité… Ma tâche à l’avenir sera double: expier le passé et mériter le bonheur que je vous dois… Pour cela, je ferai le bien… car, si pauvre que l’on soit, l’occasion ne manque jamais.

– Hélas! mon Dieu! c’est vrai, on trouve toujours plus malheureux que soi.

– À défaut d’argent…

– On donne des larmes, ce que je faisais pour ces pauvres Morel…

– Et c’est une sainte aumône: la charité de l’âme vaut bien celle qui donne du pain.

– Enfin vous acceptez… vous ne vous dédirez pas?…

– Oh! jamais, jamais, mon amie, ma femme; oui, le courage me revient, il me semble sortir d’un songe, je ne doute plus de moi-même, je m’abusais, heureusement je m’abusais. Mon cœur ne battrait pas comme il bat, s’il avait perdu de sa noble énergie.

– Oh! Germain, que vous êtes beau en parlant ainsi! Combien vous me rassurez, non pour moi, mais pour vous-même! Ainsi, vous me le promettez, n’est-ce pas, maintenant que vous avez mon amour pour vous défendre, vous ne craindrez plus de parler à ces méchants hommes, afin de ne pas exciter leur colère contre vous?

– Rassurez-vous. En me voyant triste et accablé, ils m’accuseraient sans doute d’être en proie à mes remords; et en me voyant fier et joyeux, ils croiront que leur cynisme m’a gagné.

– C’est vrai; ils ne vous soupçonneront plus, et je serai tranquille. Ainsi, pas d’imprudence… maintenant vous m’appartenez… je suis votre petite femme?

À ce moment le gardien fit un mouvement: il s’éveillait.

– Vite! dit tout bas Rigolette avec un sourire plein de grâce et de pudique tendresse. Vite, mon mari, donnez-moi un beau baiser sur le front, à travers la grille… ce seront nos fiançailles.

Et la jeune fille, rougissant, appuya son front sur le treillis de fer.

Germain, profondément ému, effleura de ses lèvres, à travers le grillage, ce front pur et blanc.

Une larme du prisonnier y roula comme une perle humide.

Touchant baptême de cet amour chaste, mélancolique et charmant!

– Oh! oh! déjà trois heures! dit le gardien en se levant, et les visiteurs doivent être partis à deux. Allons, ma chère demoiselle, ajouta-t-il en s’adressant à la grisette, c’est dommage, mais il faut partir.

– Oh! merci, merci, monsieur, de nous avoir ainsi laissés causer seuls. J’ai donné bon courage à Germain; il prendra sur lui pour n’avoir plus l’air si chagrin, et il n’aura plus rien à craindre de ses méchants compagnons. N’est-ce pas, mon ami?

– Soyez tranquille, dit Germain en souriant, je serai à l’avenir le plus gai de la prison.

– À la bonne heure, alors ils ne feront plus attention à vous, dit le gardien.

– Voilà une cravate que j’ai apportée à Germain, monsieur, reprit Rigolette; faut-il la déposer au greffe?

– C’est l’usage; mais, après tout, pendant que je suis en dehors du règlement, une petite chose de plus ou de moins… Allons, faites la journée complète, donnez-lui votre cadeau vous-même.

Et le gardien ouvrit la porte du couloir.

– Ce brave homme a raison, la journée sera complète, dit Germain en recevant la cravate des mains de Rigolette qu’il serra tendrement. Adieu, et à bientôt. Maintenant je n’ai plus peur de vous demander de venir me voir le plus tôt possible.

– Ni moi de vous le promettre. Adieu, bon Germain.

– Adieu, ma bonne petite amie.

– Et servez-vous bien de ma cravate, craignez d’avoir froid, il fait si humide!

– Quelle jolie cravate! Quand je pense que vous l’avez faite pour moi! Oh! je ne la quitterai pas, dit Germain en la portant à ses lèvres.

– Ah çà! maintenant vous allez avoir de l’appétit, j’espère? Voulez-vous que je vous fasse mon petit régal?

– Certainement, et cette fois j’y ferai honneur.

– Soyez tranquille alors, monsieur le gourmand, vous m’en direz des nouvelles. Allons, encore adieu. Merci, monsieur le gardien, aujourd’hui je m’en vais bien heureuse et bien rassurée. Adieu, Germain.

– Adieu, ma petite femme… à bientôt!…

– À toujours!…

Quelques minutes après, Rigolette, ayant bravement repris ses socques et son parapluie, sortait de la prison plus allègrement qu’elle n’y était entrée.

Pendant l’entretien de Germain et de la grisette, d’autres scènes s’étaient passées dans une des cours de la prison, où nous conduirons le lecteur.

VI La Fosse-aux-lions

Si l’aspect matériel d’une vaste maison de détention, construite dans toutes les conditions de bien-être et de salubrité que réclame l’humanité, n’offre au regard, nous l’avons dit, rien de sinistre, la vue des prisonniers cause une impression contraire.

L’on est ordinairement saisi de tristesse et de pitié, lorsqu’on se trouve au milieu d’un rassemblement de femmes prisonnières, en songeant que ces infortunées sont presque toujours poussées au mal moins par leur propre volonté que par la pernicieuse influence du premier homme qui les a séduites.

Et puis encore les femmes les plus criminelles conservent au fond de l’âme deux cordes saintes que les violents ébranlements des passions les plus détestables, les plus fougueuses, ne brisent jamais entièrement… l’amour et la maternité!

Parler d’amour et de maternité, c’est dire que, chez ces misérables créatures, de pures et douces lueurs peuvent encore éclairer çà et là les noires ténèbres d’une corruption profonde.

Mais chez les hommes tels que la prison les fait et les rejette dans le monde… rien de semblable.

C’est le crime d’un seul jet, c’est un bloc d’airain qui ne rougit plus qu’au feu des passions infernales.