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Aussi, à la vue des criminels qui encombrent les prisons, on est d’abord saisi d’un frisson d’épouvante et d’horreur.

La réflexion seule vous ramène à des pensées plus pitoyables, mais d’une grande amertume.

Oui, d’une grande amertume… car on réfléchit que les sinistres populations des geôles et des bagnes… que la sanglante moisson du bourreau… germent toujours dans la fange de l’ignorance, de la misère et de l’abrutissement.

Pour comprendre cette première impression d’horreur et d’épouvante dont nous parlons, que le lecteur nous suive dans la Fosse-aux -lions.

L’une des cours de la Force s’appelle ainsi.

Là sont ordinairement réunis les détenus les plus dangereux par leurs antécédents, par leur férocité ou par la gravité des accusations qui pèsent sur eux.

Néanmoins, on avait été obligé de leur adjoindre temporairement, par suite de travaux d’urgence entrepris dans un des bâtiments de la Force, plusieurs autres prisonniers.

Ceux-ci, quoique également justiciables de la cour d’assises, étaient presque des gens de bien, comparés aux hôtes habituels de la Fosse-aux -lions.

Le ciel, sombre, gris et pluvieux, jetait un jour morne sur la scène que nous allons dépeindre. Elle se passait au milieu d’une cour, assez vaste quadrilatère formé par de hautes murailles blanches, percées çà et là de quelques fenêtres grillées.

À l’un des bouts de cette cour, on voyait une étroite porte guichetée; à l’autre bout, l’entrée du chauffoir, grande salle dallée au milieu de laquelle était un calorifère de fonte entouré de bancs de bois, où se tenaient paresseusement étendus plusieurs prisonniers devisant entre eux.

D’autres, préférant l’exercice au repos, se promenaient dans le préau, marchant en rangs pressés, par quatre ou cinq de front, se tenant par le bras.

Il faudrait posséder l’énergique et sombre pinceau de Salvator ou de Goya pour esquisser ces divers spécimens de laideur physique et morale, pour rendre dans sa hideuse fantaisie la variété de costumes de ces malheureux, couverts pour la plupart de vêtements misérables; car n’étant que prévenus, c’est-à-dire supposés innocents, ils ne revêtaient pas l’habit uniforme des maisons centrales: quelques-uns pourtant le portaient; car, à leur entrée en prison, leurs haillons avaient paru si sordides, si infects, qu’après le bain d’usage [18], on leur avait donné la casaque et le pantalon de gros drap gris des condamnés.

Un phrénologiste aurait attentivement observé ces figures hâves et tannées, aux fronts aplatis ou écrasés, aux regards cruels ou insidieux, à la bouche méchante ou stupide, à la nuque énorme; presque toutes offraient d’effrayantes ressemblances bestiales.

Sur les traits rusés de celui-là, on retrouvait la perfide subtilité du renard; chez celui-ci, la rapacité sanguinaire de l’oiseau de proie; chez cet autre, la férocité du tigre; ailleurs enfin, l’animale stupidité de la brute.

La marche circulaire de cette bande d’êtres silencieux, aux regards hardis et haineux, au rire insolent et cynique, se pressant les uns contre les autres, au fond de cette cour, espèce de puits carré, avait quelque chose d’étrangement sinistre…

On frémissait en songeant que cette horde féroce serait, dans un temps donné, de nouveau lâchée parmi ce monde auquel elle avait déclaré une guerre implacable.

Que de vengeances sanguinaires, que de projets meurtriers couvent toujours sous ces apparences de perversité railleuse et effrontée!!!

Esquissons quelques-unes des physionomies saillantes de la Fosse-aux -lions; laissons les autres sur le second plan.

Pendant qu’un gardien surveillait les promeneurs, une sorte de conciliabule se tenait dans le chauffoir.

Parmi les détenus qui y assistaient, nous retrouverons Barbillon et Nicolas Martial, dont nous parlerons seulement pour mémoire.

Celui qui paraissait, ainsi que cela se dit, présider et conduire la discussion, était un détenu surnommé le Squelette [19] dont on a plusieurs fois entendu prononcer le nom chez les Martial, à l’île du Ravageur.

Le Squelette était prévôt ou capitaine du chauffoir.

Cet homme, d’assez haute taille, de quarante ans environ, justifiait son lugubre surnom par une maigreur dont il est impossible de se faire une idée, et que nous appellerions presque ostéologique…

Si la physionomie des compagnons du Squelette offrait plus ou moins d’analogie avec celle du tigre, du vautour ou du renard, la forme de son front, fuyant en arrière, et de ses mâchoires osseuses, plates et allongées, supportées par un cou démesurément long, rappelait entièrement la conformation de la tête du serpent.

Une calvitie absolue augmentait encore cette hideuse ressemblance; car, sous la peau rugueuse de son front presque plan comme celui d’un reptile, on distinguait les moindres protubérances, les moindres sutures de son crâne; quant à son visage imberbe, qu’on s’imagine du vieux parchemin, immédiatement collé sur les os de la face, et seulement quelque peu tendu depuis la saillie de la pommette jusqu’à l’angle de la mâchoire inférieure, dont on voyait distinctement l’attache.

Les yeux, petits et louches, étaient si profondément encaissés, l’arcade sourcilière ainsi que la pommette étaient si proéminentes, qu’au-dessous du front jaunâtre où se jouait la lumière, on voyait deux orbites littéralement remplies d’ombre, et qu’à peu de distance les yeux semblaient disparaître au fond de ces deux cavités sombres, de ces deux trous noirs qui donnent un aspect si funèbre à une tête de squelette. Ses longues dents, dont les saillies alvéolaires se dessinaient parfaitement sous la peau tannée des mâchoires osseuses et aplaties, se découvraient presque incessamment par un rictus habituel.

Quoique les muscles corrodés de cet homme fussent presque réduits à l’état de tendons, il était d’une force extraordinaire. Les plus robustes résistaient difficilement à l’étreinte de ses longs bras, de ses longs doigts décharnés.

On eût dit la formidable étreinte d’un squelette de fer.

Il portait un bourgeron bleu beaucoup trop court, qui laissait voir, et il en tirait vanité, ses mains noueuses et la moitié de son avant-bras, ou plutôt deux os (le radius et le cubitus, qu’on nous pardonne cette anatomie), deux os enveloppés d’une peau rude et noirâtre, séparés entre eux par une profonde rainure où serpentaient quelques veines dures et sèches comme des cordes.

Lorsqu’il posait ses mains sur une table, il semblait, selon une assez juste métaphore de Pique-Vinaigre, y étaler un jeu d’osselets.

Le Squelette, après avoir passé quinze années de sa vie au bagne pour vol et tentative de meurtre, avait rompu son ban, et avait été pris en flagrant délit de vol et de meurtre.

Ce dernier assassinat avait été commis avec des circonstances d’une telle férocité que, vu la récidive, ce bandit se regardait d’avance et avec raison comme condamné à mort.