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– Mon mari…, répondit la Louve en regardant Martial avec une expression de bonheur et de noble fierté impossible à rendre.

– Vous avez une bonne et intrépide femme, monsieur, lui dit le comte; je l’ai vue sauver cette malheureuse enfant avec un rare courage.

– Oh! oui, monsieur, elle est bonne et intrépide, ma femme, répondit Martial en appuyant sur ces derniers mots et en contemplant à son tour la Louve d’un air à la fois attendri et passionné. Oui, intrépide!… car elle vient de me sauver aussi la vie…

– À vous? dit le comte étonné.

– Voyez ses mains… ses pauvres mains! dit la Louve en essuyant les larmes qui adoucissaient l’éclat sauvage de ses yeux.

– Ah! c’est horrible! s’écria le comte, ce malheureux a les mains hachées… Voyez donc, docteur…

Détournant légèrement la tête et regardant par-dessus son épaule les plaies nombreuses que Calebasse avait faites aux mains de Martial, le docteur Griffon dit à ce dernier:

– Ouvrez et fermez la main.

Martial exécuta ce mouvement avec assez de peine. Le docteur haussa les épaules, continua de s’occuper de Fleur-de-Marie et dit dédaigneusement, comme à regret:

– Ces blessures n’ont absolument rien de grave… il n’y a aucun tendon de lésé; dans huit jours, le sujet pourra se servir de ses mains.

– Vrai, monsieur! Mon mari ne sera pas estropié? s’écria la Louve avec reconnaissance.

Le docteur secoua la tête négativement.

– Et la Goualeuse, monsieur? elle vivra, n’est-ce pas? demanda la Louve. Oh! il faut qu’elle vive, moi et mon mari nous lui devons tant!… Puis se retournant vers Martiaclass="underline" Pauvre petite… la voilà, celle dont je te parlais… c’est elle pourtant qui sera peut-être la cause de notre bonheur; c’est elle qui m’a donné l’idée de venir à toi te dire tout ce que je t’ai dit… Vois donc le hasard qui fait que je la sauve… et ici encore!…

– C’est notre Providence…, dit Martial, frappé de la beauté de la Goualeuse. Quelle figure d’ange! Oh! elle vivra, n’est-ce pas, monsieur le docteur?

– Je n’en sais rien, dit le docteur; mais d’abord peut-elle rester ici? Aura-t-elle les soins nécessaires?

– Ici! s’écria la Louve, mais on assassine ici!

– Tais-toi! Tais-toi! dit Martial.

Le comte et le docteur regardèrent la Louve avec surprise.

– La maison de l’île est malfamée dans le pays… cela ne m’étonne guère, dit à demi-voix le médecin à M. de Saint-Remy.

– Vous avez donc été victime de violences? demanda le comte à Martial. Ces blessures, qui vous les a faites?

– Ce n’est rien, monsieur… j’ai eu ici une dispute… une batterie s’en est suivie… et j’ai été blessé… Mais cette jeune paysanne ne peut pas rester dans la maison, ajouta-t-il d’un air sombre, je n’y reste pas moi-même… ni ma femme ni mon frère, ni ma sœur que voilà… nous allons quitter l’île pour n’y plus jamais revenir.

– Oh! quel bonheur! s’écrièrent les deux enfants.

– Alors, comment faire? dit le docteur en regardant Fleur-de-Marie. Il est impossible de songer à transporter le sujet à Paris, dans l’état de prostration où il se trouve. Mais au fait, ma maison est à deux pas, ma jardinière et sa fille seront d’excellentes gardes-malades… Puisque cette asphyxiée par submersion vous intéresse, vous surveillerez les soins qu’on lui donnera, mon cher Saint-Remy, et je viendrai la voir chaque jour.

– Et vous jouez l’homme dur, impitoyable! s’écria le comte, lorsque vous avez le cœur le plus généreux, ainsi que le prouve cette proposition…

– Si le sujet succombe, comme cela est possible, il y aura lieu à une autopsie intéressante qui me permettra de confirmer encore une fois les assertions de Goodwin.

– Ce que vous dites est affreux! s’écria le comte.

– Pour qui sait lire, le cadavre est un livre où l’on apprend à sauver la vie des malades, dit stoïquement le docteur Griffon.

– Enfin vous faites le bien, dit amèrement M. de Saint-Remy, c’est l’important. Qu’importe la cause, pourvu que le bienfait subsiste! Pauvre enfant, plus je la regarde, plus elle m’intéresse.

– Et elle le mérite, allez, monsieur, reprit la Louve avec exaltation en se rapprochant.

– Vous la connaissez? s’écria le comte.

– Si je la connais, monsieur! C’est à elle que je devrai le bonheur de ma vie; en la sauvant, je n’ai pas fait autant pour elle qu’elle a fait pour moi.

Et la Louve regarda passionnément son mari; elle ne disait plus «son homme».

– Et qui est-elle? demanda le comte.

– Un ange, monsieur, tout ce qu’il y a de meilleur au monde. Oui, et quoiqu’elle soit mise en paysanne, il n’y a pas une bourgeoise, pas une grande dame pour parler aussi bien qu’elle, avec sa petite voix douce comme de la musique. C’est une fière fille, allez, et courageuse, et bonne!

– Par quel accident est-elle donc tombée à l’eau?

– Je ne sais, monsieur.

– Ce n’est donc pas une paysanne? demanda le comte.

– Une paysanne! Regardez donc ces petites mains blanches, monsieur.

– C’est vrai, dit M. de Saint-Remy; quel singulier mystère!… Mais son nom, sa famille?

– Allons, reprit le docteur en interrompant l’entretien, il faut transporter le sujet dans le bateau.

Une demi-heure après, Fleur-de-Marie, qui n’avait pas encore repris ses sens, était amenée dans la maison du médecin, couchée dans un bon lit et maternellement surveillée par la jardinière de M. Griffon, à laquelle s’adjoignit la Louve.

Le docteur promit à M. de Saint-Remy, de plus en plus intéressé à la Goualeuse, de revenir le soir même la visiter.

Martial partit pour Paris avec François et Amandine, la Louve n’ayant pas voulu quitter Fleur-de-Marie avant de la voir hors de danger.

L’île du Ravageur resta déserte.

Nous retrouverons bientôt ses sinistres habitants chez Bras-Rouge, où ils doivent se réunir à la Chouette pour le meurtre de la courtière en diamants.

En attendant, nous conduirons le lecteur au rendez-vous que Tom, le frère de Sarah, avait donné à l’horrible mégère complice du Maître d’école.

IV Le portrait

Moitié serpent et moitié chat…

WOLFGANG, livre II

Thomas Seyton, frère de la comtesse Sarah Mac-Gregor, se promenait impatiemment sur l’un des boulevards voisins de l’Observatoire, lorsqu’il vit arriver la Chouette.

L’horrible vieille était coiffée d’un bonnet blanc et enveloppée de son grand tartan rouge; la pointe d’un stylet rond comme une grosse plume et très-acéré ayant traversé le fond du large cabas de paille qu’elle portait au bras, on pouvait voir saillir l’extrémité de cette arme homicide qui avait appartenu au Maître d’école.