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– Alors… contez vite, mon garçon, dit le gardien en revenant auprès du poêle.

Le Squelette frémissait de rage…

Il désespérait presque d’accomplir son crime.

Une fois l’heure du coucher arrivée, Germain était sauvé; car il n’habitait pas le même dortoir que son implacable ennemi, et le lendemain, nous l’avons dit, il devait occuper l’une des cellules vacantes à la pistole.

Puis enfin le Squelette reconnaissait, aux interruptions de plusieurs détenus, qu’ils se trouvaient, grâce au récit de Pique-Vinaigre, transportés dans un milieu d’idées presque pitoyables; peut-être alors n’assisteraient-ils pas avec une féroce indifférence au meurtre affreux dont leur impassibilité devait les rendre complices.

Le Squelette pouvait empêcher le conteur de terminer son histoire; mais alors s’évanouissait sa dernière espérance de voir le gardien s’éloigner avant l’heure où Germain serait en sûreté.

– Ah! c’est bête comme tout! reprit Pique-Vinaigre. Eh bien! l’honorable société va juger de la chose…

«Il n’y avait donc pas d’animal plus méchant que le grand singe Gargousse, qui était surtout aussi acharné que son maître après les enfants… Qu’est-ce que fait Coupe-en-Deux pour punir Gringalet d’avoir voulu se sauver?… Ça… vous le saurez, tout à l’heure. En attendant, il rattrape donc l’enfant, le refourre dans le grenier pour la nuit en lui disant: «Demain matin, quand tous les camarades seront partis, je t’empoignerai et tu verras ce que je fais à ceux qui veulent s’ensauver d’ici…»

«Je vous laisse à penser la terrible nuit que passa Gringalet. Il ne ferma presque pas l’œil; il se demandait ce que Coupe-en-Deux voulait lui faire… À force de se demander ça, il finit par s’endormir… Mais quel sommeil!… Par là-dessus il eut un rêve… un rêve affreux… c’est-à-dire le commencement… Vous allez voir…

«Il rêva qu’il était une de ces pauvres mouches comme il en avait tant fait sauver des toiles d’araignées, et qu’à son tour il tombait dans une grande et forte toile où il se débattait, se débattait de toutes ses forces sans pouvoir s’en dépêtrer; alors il voyait venir vers lui, doucement, traîtreusement, une espèce de monstre qui avait la figure de Coupe-en-Deux sur un corps d’araignée…

«Mon pauvre Gringalet recommençait à se débattre, comme vous pensez… mais, plus il faisait d’efforts, plus il s’enchevêtrait dans la toile, ainsi que font les pauvres mouches… Enfin l’araignée s’approche… le touche… et il sent les grandes pattes froides et velues de l’horrible bête l’attirer, l’enlacer… pour le dévorer… Il se croit mort… Mais voilà que tout à coup il entend une espèce de petit bourdonnement clair, sonore, aigu, et il voit un joli moucheron d’or, qui avait une espèce de dard fin et brillant comme une aiguille de diamant, voltiger autour de l’araignée d’un air furieux, et une voix (quand je dis une voix, figurez-vous la voix d’un moucheron!)… une voix qui lui disait: «Pauvre petite mouche… tu as sauvé des mouches… L’araignée ne…»

«Malheureusement Gringalet s’éveilla en sursaut… et il ne vit pas la fin du rêve; malgré ça, il fut d’abord un peu rassuré en se disant: «Peut-être que le moucheron d’or au dard de diamant aurait tué l’araignée si j’avais vu la fin du songe.»

«Mais Gringalet avait beau se bercer de cela pour se rassurer et se consoler, à mesure que la nuit finissait, sa peur revenait si forte qu’à la fin il oublia le rêve, ou plutôt il n’en retint que ce qui était effrayant, la grande toile où il avait été enlacé et l’araignée à figure de Coupe-en-Deux… Vous jugez quels frissons de peur il devait avoir… Dame! jugez donc, seul… tout seul… sans personne qui voulût le défendre!

«Sur le matin, quand il vit le jour petit à petit paraître par la lucarne du grenier, sa frayeur redoubla; le moment approchait où il allait se trouver seul avec Coupe-en-Deux. Alors il se jeta à genoux au milieu du grenier et, pleurant à chaudes larmes, il supplia ses camarades de demander grâce pour lui à Coupe-en-Deux, ou bien de l’aider à se sauver s’il y avait moyen. Ah! bien oui! les uns par peur du maître, les autres par insouciance, les autres par méchanceté refusèrent au pauvre Gringalet le service qu’il leur demandait.

– Mauvais galopins! dit le prisonnier au bonnet bleu; ils n’avaient donc ni cœur ni ventre!

– C’est vrai, reprit un autre; c’est tannant de voir ce petit abandonné de la nature entière.

– Et seul et sans défense encore, reprit le prisonnier au bonnet bleu; car quelqu’un qui ne peut que tendre le cou sans se regimber, ça fait toujours pitié. Quand on a des dents pour mordre, alors c’est différent… Ma foi… tu as des crocs? eh bien! montre-les et défends ta queue, mon cadet!

– C’est vrai! dirent plusieurs détenus.

– Ah çà! s’écria le Squelette, ne pouvant plus dissimuler sa rage et s’adressant au bonnet bleu, est-ce que tu ne te tairas pas, toi? Est-ce que je n’ai pas dit: «Silence dans la pègre…» Suis-je ou non le prévôt ici?…

Pour toute réponse, le bonnet bleu regarda le Squelette en face, puis il fit ce geste gouailleur parfaitement connu des gamins, qui consiste à appuyer sur le bout du nez le pouce de la main droite ouverte en éventail, et à appuyer son petit doigt sur le pouce de la main gauche, étendue de la même manière.

Le bonnet bleu accompagna cette réponse muette d’une mine si grotesque que plusieurs détenus rirent aux éclats, tandis que d’autres, au contraire, restèrent stupéfaits de l’audace du nouveau prisonnier, tant le Squelette était redouté.

Ce dernier montra le poing au bonnet bleu et lui dit en grinçant des dents:

– Nous compterons demain.

– Et je ferai l’addition sur ta frimousse… je poserai dix-sept calottes, et je ne retiendrai rien.

De crainte que le gardien n’eût une nouvelle raison de rester afin de prévenir une rixe possible, le Squelette répondit avec calme:

– Il ne s’agit pas de ça: j’ai la police du chauffoir, et l’on doit m’écouter, n’est-ce pas, gardien?

– C’est vrai, dit le surveillant. N’interrompez pas. Et toi, continue, Pique-Vinaigre; mais dépêche-toi, mon garçon.

X Le triomphe de Gringalet et de Gargousse

– Pour lors donc, reprit Pique-Vinaigre, continuant son récit, Gringalet, se voyant abandonné de tout le monde, se résigne à son malheureux sort. Le grand jour vient, et tous les enfants s’apprêtent à décaniller avec leurs bêtes. Coupe-en-Deux ouvre la trappe et fait l’appel pour donner à chacun son morceau de pain. Tous descendent par l’échelle, et Gringalet, plus mort que vif, rencogné, dans un coin du grenier avec sa tortue, ne bougeait pas plus qu’elle; il regardait ses compagnons s’en aller les uns après les autres: il aurait donné bien des choses pour pouvoir faire comme eux… Enfin le dernier quitte le grenier. Le cœur battait bien fort au pauvre enfant; il espérait que peut-être son maître l’oublierait. Ah bien! oui… Voilà qu’il entend Coupe-en-Deux, qui était resté au pied de l’échelle, crier d’une grosse voix: