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«Pour rendre le singe furieux contre l’enfant, qui tout essoufflé était déjà plus mort que vif, il prend Gringalet par les cheveux, fait semblant de l’accabler de coups et de le mordre, et il le rend à Gargousse en lui criant: «Pille, pille…» et ensuite il lui montre un morceau de cœur de mouton, comme pour lui dire: «Ça sera ta récompense…»

«Oh! alors, mes amis, vraiment c’était un spectacle terrible…

«Figurez-vous un grand singe roux à museau noir, grinçant des dents comme un possédé, et se jetant furieux, quasi enragé, sur ce pauvre petit malheureux, qui, ne pouvant pas se défendre, avait été renversé du premier coup et s’était jeté à plat ventre, la face contre terre, pour ne pas être dévisagé. Voyant ça, Gargousse, que son maître aguichait toujours contre l’enfant, monte sur son dos, le prend par le cou et commence à lui mordre au sang le derrière de la tête.

«- Oh! l’araignée de mon rêve!… l’araignée!» criait Gringalet d’une voix étouffée, se croyant bien mort cette fois.

«Tout à coup on entend frapper à la porte. Pan!… Pan!… Pan!…»

– Ah! le doyen! s’écrièrent les prisonniers avec joie.

– Oui, cette fois, c’était lui, mes amis; il criait à travers la porte: «Ouvriras-tu, Coupe-en-Deux? Ouvriras-tu? Ne fais pas le sourd; car je te vois par le trou de la serrure!»

«Le montreur de bêtes, forcé de répondre, s’en va tout grognant ouvrir au doyen, qui était un gaillard solide comme un pont, malgré ses cinquante ans, et avec lequel il ne fallait pas badiner quand il se fâchait.

«- Qu’est-ce que vous me voulez? lui dit Coupe-en-Deux en entrebâillant la porte.

«- Je veux te parler, dit le doyen, qui entra presque de force dans la petite cour; puis, voyant le singe toujours acharné après Gringalet, il court, vous empoigne Gargousse par la peau du cou, veut l’arracher de dessus l’enfant et le jeter à dix pas; mais il s’aperçoit seulement alors que l’enfant était enchaîné au singe. Voyant ça, le doyen regarde Coupe-en-Deux d’un air terrible et lui crie: «Viens tout de suite désenchaîner ce petit malheureux!»

«Vous jugez de la joie, de la surprise de Gringalet, qui, à demi-mort de frayeur, se voit sauvé si à propos, et comme par miracle. Aussi il ne put s’empêcher de se souvenir du moucheron d’or de son rêve, quoique le doyen n’eût pas l’air d’un moucheron, le gaillard, tant s’en faut…

– Allons, dit le gardien en faisant un pas vers la porte, voilà Gringalet sauvé, je vais manger ma soupe.

– Sauvé! s’écria Pique-Vinaigre, ah bien! oui, sauvé! il n’est pas au bout de ses peines, allez, le pauvre Gringalet.

– Vraiment? dirent quelques détenus avec intérêt.

– Mais qu’est-ce donc qui va lui arriver? reprit le gardien en se rapprochant.

– Restez, gardien, vous le saurez, reprit le conteur.

– Diable de Pique-Vinaigre, il vous fait faire tout ce qu’il veut, dit le gardien; ma foi, je reste encore un peu.

Le Squelette, muet, écumait de rage.

Pique-Vinaigre continua:

– Coupe-en-Deux, qui craignait le doyen comme le feu, avait, tout en grognant, détaché l’enfant de la chaîne; quand c’est fait, le doyen jette Gargousse en l’air, le reçoit au bout d’un grandissime coup de pied dans les reins et l’envoie rouler à dix pas… Le singe crie comme un brûlé, grince des dents, mais il se sauve lestement et va se réfugier au faîte d’un petit hangar d’où il montre le poing au doyen.

«- Pourquoi battez-vous mon singe? dit Coupe-en-Deux au doyen.

«- Tu devrais me demander plutôt pourquoi je ne te bats pas toi-même. Faire ainsi souffrir cet enfant! Tu t’es donc soûlé de bien bonne heure ce matin?

«- Je ne suis pas plus soûl que vous: j’apprenais un tour à mon singe; je veux donner une représentation où lui et Gringalet paraîtront ensemble; je fais mon état, de quoi vous mêlez-vous?

«- Je me mêle de ce qui me regarde. Ce matin, en ne voyant pas Gringalet passer devant ma porte avec les autres enfants, je leur ai demandé où il était; ils ne m’ont pas répondu, ils avaient l’air embarrassé; je te connais; j’ai deviné que tu ferais quelques mauvais coups sur lui, et je ne me suis pas trompé. Écoute-moi bien! toutes les fois que je ne verrai pas Gringalet passer devant ma porte avec les autres le matin, j’arriverai ici dare-dare, et il faudra que tu me le montres, ou sinon, je t’assomme…

«- Je ferai ce que je voudrai, je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous, lui répondit Coupe-en-Deux, irrité de cette menace de surveillance. Vous n’assommerez rien du tout, et si vous ne vous en allez d’ici, ou si vous revenez, je vous…

«- Vli-vlan, fit le doyen en interrompant Coupe-en-Deux par un duo de calottes à assommer un rhinocéros, voilà ce que tu mérites pour répondre ainsi au doyen de la Petite-Pologne.

– Deux calottes, c’était bien maigre, dit le bonnet bleu; à la place du doyen, je lui aurais trempé une drôle de soupe grasse.

– Et il ne l’aurait pas volée, ajouta un détenu.

«- Le doyen, reprit Pique-Vinaigre, en aurait mangé dix comme Coupe-en-Deux. Le montreur de bêtes fut donc obligé de mettre les calottes dans son sac; mais il n’en était pas moins furieux d’être battu, et surtout d’être battu devant Gringalet. Aussi, à ce moment même, il se promit de s’en venger, et il lui vint une idée qui ne pouvait venir qu’à un démon de méchanceté comme lui. Pendant qu’il remuait cette idée diabolique en se frottant les oreilles, le doyen lui dit:

«- Rappelle-toi que si tu t’avises de faire encore souffrir cet enfant je te forcerai à filer de la Petite-Pologne, toi et tes bêtes, sans quoi j’ameuterai tout le monde contre toi; tu sais qu’on te déteste déjà: aussi on te fera une conduite dont ton dos se souviendra, je t’en réponds.

«En traître qu’il était et pour pouvoir exécuter son idée scélérate, au lieu de se fâcher contre le doyen, Coupe-en-Deux fait le bon chien et dit d’un air câlin:

«- Foi d’homme, doyen, vous avez tort de m’avoir battu, et de croire que je veux du mal à Gringalet; au contraire, je vous répète que j’apprenais un nouveau tour à mon singe; il n’est pas commode quand il se rebiffe, et, dans la bagarre, le petit a été mordu, j’en suis fâché.

«- Hum!… fit le doyen en le regardant de travers, est-ce bien vrai, ce que tu me dis là? D’ailleurs, si tu veux apprendre un tour à ton singe, pourquoi l’attaches-tu à Gringalet!

«- Parce que Gringalet doit être aussi du tour. Voilà ce que je veux faire: j’habillerai Gargousse avec un habit rouge et un chapeau à plumes comme un marchand de vulnéraire suisse; j’assoirai Gringalet dans une petite chaise d’enfant; puis je lui mettrai une serviette au cou, et le singe, avec un grand rasoir de bois, aura l’air de lui faire la barbe.»