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«Le doyen ne put s’empêcher de rire à cette idée.

«- N’est-ce pas que c’est farce? reprit Coupe-en-Deux d’un air sournois.

«- Le fait est que c’est farce, dit le doyen, d’autant plus qu’on dit ton gueux de singe assez adroit et assez malin pour jouer une parade pareille.

«- Je le crois bien; quand il m’aura vu cinq ou six fois faire semblant de raser Gringalet, il m’imitera avec son grand rasoir de bois; mais pour ça il faut qu’il s’habitue à l’enfant; aussi je les avais attachés ensemble.

«- Mais pourquoi as-tu choisi Gringalet plutôt qu’un autre?

«- Parce qu’il est le plus petit de tous, et qu’étant assis, Gargousse sera plus grand que lui; d’ailleurs, je voulais donner la moitié de la recette à Gringalet.

«- Si c’est comme cela, dit le doyen rassuré par l’hypocrisie du montreur de bêtes, je regrette la tournée que je t’ai donnée; alors mets que c’est une avance…»

«Pendant le temps que son maître parlait avec le doyen, Gringalet, lui, n’osait pas souffler; il tremblait comme la feuille, et mourait d’envie de se jeter aux pieds du doyen pour le supplier de l’emmener de chez le montreur de bêtes; mais le courage lui manquait, et il recommençait à se désespérer tout bas en disant: «Je serai comme la pauvre mouche de mon rêve, l’araignée me dévorera, j’avais tort de croire que le moucheron d’or me sauverait.»

«- Allons, mon garçon, puisque le père Coupe-en-Deux te donne la moitié de la recette, ça doit t’encourager à t’habituer au singe… Bah! bah! tu t’y feras, et si la recette est bonne, tu n’auras pas à te plaindre.

«- Lui! se plaindre! Est-ce que tu as à te plaindre? lui demanda son maître en le regardant à la dérobée d’un air si terrible que l’enfant aurait voulu être à cent pieds sous terre.

«- Non… non… mon maître, répondit-il en balbutiant.

«- Vous voyez bien, doyen, dit Coupe-en-Deux, il n’a jamais eu à se plaindre; je ne veux que son bien, après tout. Si Gargousse l’a égratigné une première fois, cela n’arrivera plus, je vous le promets, j’y veillerai.

«- À la bonne heure! Ainsi, tout le monde sera content.

«- Gringalet tout le premier, dit Coupe-en-Deux, n’est-ce pas que tu seras content?

«- Oui… oui… mon maître, dit l’enfant tout en pleurant.

«- Et pour te consoler de tes égratignures je te donnerai ta part d’un bon déjeuner, car le doyen va m’envoyer un plat de côtelettes aux cornichons, quatre bouteilles de vin et un demi-setier d’eau-de-vie.

«- À ton service, Coupe-en-Deux, ma cave et ma cuisine luisent pour tout le monde.»

«Au fond le doyen était brave homme, mais il n’était pas malin et il aimait à vendre son vin et son fricot aussi. Le gueux de Coupe-en-Deux le savait bien, vous voyez qu’il le renvoyait content de lui vendre à boire et à manger, et rassuré sur le sort de Gringalet.

«Voilà donc ce pauvre petit retombé au pouvoir de son maître. Dès que le doyen a les talons tournés, Coupe-en-Deux montre l’escalier à son pâtiras et lui ordonne de remonter vite dans son grenier; l’enfant ne se le fait pas dire deux fois, il s’en va tout effrayé.

«- Mon bon Dieu, je suis perdu», s’écrie-t-il en se jetant sur la paille à côté de sa tortue, et en pleurant à chaudes larmes. Il était là depuis une bonne heure à sangloter, lorsqu’il entend la grosse voix de Coupe-en-Deux qui l’appelait… Ce qui augmentait encore la peur de Gringalet, c’est qu’il lui semblait que la voix de son maître n’était pas comme à l’ordinaire.

«- Descendras-tu bientôt?» reprend le montreur de bêtes avec un tonnerre de jurements.

«L’enfant se dépêche vite de descendre par l’échelle; à peine a-t-il mis le pied par terre, que son maître le prend et l’emporte dans sa chambre, en trébuchant à chaque pas, car Coupe-en-Deux avait tant bu, tant bu, qu’il était soûl comme une grive et qu’il se tenait à peine sur ses jambes: son corps se penchait tantôt en avant et tantôt en arrière, et il regardait Gringalet en roulant des yeux d’un air féroce, mais sans parler; il avait, comme on dit, la bouche trop épaisse: jamais l’enfant n’en avait eu plus peur.

«Gargousse était enchaîné au pied du lit.

«Au milieu de la chambre il y avait une chaise avec une corde pendante au dossier…

«- Ass… assis-toi… là», continua Pique-Vinaigre en imitant, jusqu’à la fin de ce récit, le bégaiement empâté d’un homme ivre, lorsqu’il faisait parler Coupe-en-Deux.

«Gringalet s’assied tout tremblant; alors Coupe-en-Deux, toujours sans parler, l’entortille de la grande corde et l’attache sur la chaise, et cela pas facilement, car, quoique le montreur de bêtes eût encore un peu de vue et de connaissance, vous pensez qu’il faisait les nœuds doubles. Enfin voilà Gringalet solidement amarré sur sa chaise. «Mon bon Dieu! Mon bon Dieu! murmura-t-il, cette fois personne ne viendra me délivrer.»

«Pauvre petit, il avait raison, personne ne pouvait, ne devait venir comme vous allez le voir: le doyen était parti rassuré, Coupe-en-Deux avait fermé la porte de sa cour en dedans à double tour, mis le verrou; personne ne pouvait donc venir au secours de Gringalet.

– Oh! pour cette fois, se dirent les prisonniers impressionnés par ce récit, Gringalet, tu es perdu…

– Pauvre petit…

– Quel dommage!

– S’il ne fallait que donner vingt sous pour le sauver, je les donnerais.

– Moi aussi.

– Gueux de Coupe-en-Deux!

– Qu’est-ce qu’il va lui faire?

Pique-Vinaigre continua:

– Quand Gringalet fut bien attaché sur sa chaise, son maître lui dit, et le conteur imita de nouveau l’accent d’un homme ivre: «Ah!… gredin… c’est toi… qui as été cause que… que j’ai été battu par le doyen… tu… vas mou… mourir…»

«Et il tire de sa poche un grand rasoir tout fraîchement repassé, l’ouvre et prend d’une main Gringalet par les cheveux…

Un murmure d’indignation et d’horreur circula parmi les détenus et interrompit un moment Pique-Vinaigre, qui reprit:

– À la vue du rasoir, l’enfant se mit à crier:

«- Grâce! mon maître… grâce!… Ne me tuez pas!

«- Va, crie… crie… môme… tu ne crieras pas longtemps, répondit Coupe-en-Deux.

«- Moucheron d’or! Moucheron d’or! À mon secours! cria le pauvre Gringalet presque en délire, et se rappelant son rêve qui l’avait tant frappé; voilà l’araignée qui va me tuer!

«- Ah! tu m’app… tu m’appelles… araignée, toi…, dit Coupe-en-Deux… À cause de ça… et d’autres… d’autres choses, tu vas mourir… entends-tu… mais… pas de ma main… parce que… la… chose… et puis qu’on me guillotinerait… je dirai… et prou… prouverai que c’est… le singe… J’ai tantôt… préparé la chose… a… a… enfin n’importe, dit Coupe-en-Deux en se soutenant à peine; puis, appelant son singe, qui, au bout de sa chaîne, la tendait de toutes ses forces en grinçant des dents et en regardant tour à tour son maître et l’enfant: