Выбрать главу

En entendant ce langage, Germain comprenait de moins en moins que le Chourineur eût commis le vol dont il s’accusait.

XII Délivrance

«Non, pensait Germain, c’est impossible, cet homme, qui s’exalte ainsi aux seuls mots d’honneur et de cœur, ne peut avoir commis ce vol dont il parle avec tant de cynisme.»

Le Chourineur continua sans remarquer l’étonnement de Germain.

– Finalement, ce qui fait que je suis à M. Rodolphe comme un chien est à son maître, c’est qu’il m’a relevé à mes propres yeux. Avant de le connaître, je n’avais rien ressenti qu’à la peau; mais lui, il m’a remué en dedans, et bien à fond, allez. Une fois loin de lui et de l’endroit qu’il habitait, je me suis trouvé comme un corps sans âme. À mesure que je m’éloignais, je me disais: «Il mène une si drôle de vie! Il se mêle à de si grandes canailles (j’en sais quelque chose), qu’il risque vingt fois sa peau par jour, et c’est dans une de ces circonstances-là que je pourrai faire le chien pour lui et défendre mon maître, car j’ai bonne gueule.» Mais, d’un autre côté, il m’avait dit: «Il faut, mon garçon, vous rendre utile aux autres, aller là où vous pouvez servir à quelque chose.» Moi, j’avais bien envie de lui répondre: «Pour moi il n’y a pas d’autres à servir que vous, monsieur Rodolphe.» Mais je n’osais pas. Il me disait: «Allez.» J’allais, et j’ai été tant que j’ai pu. Mais, tonnerre! quand il a fallu monter dans le sabot, quitter la France, et mettre la mer entre moi et M. Rodolphe, sans espoir de le revoir jamais… vrai, je n’en ai pas eu le courage. Il avait fait dire à son correspondant de me donner de l’argent gros comme moi quand je m’embarquerais. J’ai été trouver le monsieur. Je lui ai dit: «Impossible pour le quart d’heure, j’aime mieux le plancher des vaches. Donnez-moi de quoi faire ma route à pied, j’ai de bonnes jambes, je retourne à Paris, je ne peux pas y tenir. M. Rodolphe dira ce qu’il voudra, il se fâchera, il ne voudra plus me voir, possible. Mais je le verrai, moi; mais je saurai où il est, et s’il continue la vie qu’il mène, tôt ou tard, j’arriverai peut-être à temps pour me mettre entre un couteau et lui. Et puis enfin je ne peux pas m’en aller si loin de lui, moi! Je sens je ne sais quoi diable qui me tire du côté où il est.» Enfin on me donne de quoi faire ma route, j’arrive à Paris. Je ne boude devant guère de choses, mais une fois de retour, voilà la peur qui me galope. Qu’est-ce que je pourrai dire à M. Rodolphe pour m’excuser d’être revenu sans sa permission? Bah! après tout, il ne me mangera pas, il en sera ce qu’il en sera. Je m’en vas trouver son ami, un gros grand chauve, encore une crème, celui-là. Tonnerre! quand M. Murph est entré, j’ai dit: «Mon sort va se décider.» Je me suis senti le gosier sec, mon cœur battait la breloque. Je m’attendais à être bousculé drôlement. Ah bien! oui… le digne homme me reçoit, comme s’il m’avait quitté la veille; il me dit que M. Rodolphe, loin d’être fâché, veut me voir tout de suite. En effet, il me fait entrer chez mon protecteur. Tonnerre! quand je me suis retrouvé face à face avec lui, lui qui a une si bonne poigne, et un si bon cœur, lui qui est terrible comme un lion et doux comme un enfant, lui qui est un prince, et qui a mis une blouse comme moi, pour avoir la circonstance (que je bénis) de m’allonger une grêle de coups de poing où je n’ai vu que du feu, tenez, monsieur Germain, en pensant à tous ces agréments qu’il possède, je me suis senti bouleversé, j’ai pleuré comme une biche. Eh bien! au lieu d’en rire, car figurez-vous ma balle quand je pleurniche, M. Rodolphe me dit sérieusement:

«- Vous voilà donc de retour, mon garçon?

«- Oui, monsieur Rodolphe; pardon si j’ai eu tort, mais je n’y tenais pas. Faites-moi faire une niche dans un coin de votre cour, donnez-moi la pâtée ou laissez-moi la gagner ici, voilà tout ce que je vous demande, et surtout ne m’en voulez pas d’être revenu.

«- Je vous en veux d’autant moins, mon garçon, que vous revenez à temps pour me rendre service.

«- Moi, monsieur Rodolphe, il serait possible! Eh bien! voyez-vous qu’il faut, comme vous me le disiez, qu’il y ait quelque chose là-haut; sans ça, comment expliquer que j’arrive ici, juste au moment où vous avez besoin de moi? Et qu’est-ce que je pourrais donc faire pour vous, monsieur Rodolphe? Piquer une tête du haut des tours de Notre-Dame?

«- Moins que cela, mon garçon. Un honnête et excellent jeune homme, auquel je m’intéresse comme à un fils, est injustement accusé de vol et détenu à la Force; il se nomme Germain, il est d’un caractère doux et timide; les scélérats avec lesquels il est emprisonné l’ont pris en aversion, il peut courir de grands dangers; vous qui avez malheureusement connu la vie de prison et un grand nombre de prisonniers, ne pourriez-vous pas, dans le cas où quelques-uns de vos anciens camarades seraient à la Force (on trouverait moyen de le savoir), ne pourriez-vous pas les aller voir, et, par des promesses d’argent qui seraient tenues, les engager à protéger ce malheureux jeune homme?»

– Mais quel est donc l’homme généreux et inconnu qui prend tant d’intérêt à mon sort? dit Germain de plus en plus surpris.

– Vous le saurez peut-être; quant à moi j’en ignore. Pour revenir à ma conversation avec M. Rodolphe, pendant qu’il me parlait, il m’était venu une idée, mais une idée si farce, si farce, que je n’ai pas pu m’empêcher de rire devant lui.

«- Qu’avez-vous donc, mon garçon? me dit-il.

«- Dame, monsieur Rodolphe, je ris parce que je suis content, et je suis content parce que j’ai le moyen de mettre votre M. Germain à l’abri d’un mauvais coup de prisonniers, de lui donner un protecteur qui le défendra crânement; car, une fois le jeune homme sous l’aile du cadet dont je vous parle, il n’y en aura pas un qui osera venir lui regarder sous le nez.

«- Très-bien, mon garçon, et c’est sans doute un de vos anciens compagnons?

«- Juste, monsieur Rodolphe; il est entré à la Force il y a quelques jours, j’ai su ça en arrivant; mais il faudra de l’argent.

«- Combien faut-il?

«- Un billet de mille francs.

«- Le voilà.

«- Merci, monsieur Rodolphe; dans deux jours vous aurez de mes nouvelles; serviteur, la compagnie!» Tonnerre! le roi n’était pas mon maître, je pouvais rendre service à M. Rodolphe en passant par vous, c’est ça qui était fameux!

– Je commence à comprendre, ou plutôt, mon Dieu, je tremble de comprendre, s’écria Germain; un tel dévouement serait-il possible? Pour venir me protéger, me défendre dans cette prison, vous avez peut-être commis un vol? Oh! ce serait le remords de toute ma vie.