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– Minute! M. Rodolphe m’a dit que j’avais du cœur et de l’honneur; ces mots-là… sont ma loi, à moi, voyez-vous, et il pourrait encore me les dire; car si je ne suis pas meilleur qu’autrefois, du moins je ne suis pas pire.

– Mais ce vol?… Si vous ne l’avez pas commis, comment êtes-vous ici?…

– Attendez donc… Voilà la farce: avec mes mille francs je m’en vas acheter une perruque noire; je rase mes favoris, je mets des lunettes bleues, je me fourre un oreiller dans le dos, et roule ta bosse; je me mets à chercher une ou deux chambres à louer tout de suite, au rez-de-chaussée, dans un quartier bien vivant. Je trouve mon affaire rue de Provence, je paie un terme d’avance sous le nom de M. Grégoire. Le lendemain je vas acheter au Temple de quoi meubler les deux chambres, toujours avec ma perruque noire, ma bosse et mes lunettes bleues, afin qu’on me reconnaisse bien; j’envoie les effets rue de Provence, et de plus six couverts d’argent que j’achète boulevard Saint-Denis, toujours avec mon déguisement de bossu.

«Je reviens mettre tout en ordre dans mon domicile. Je dis au portier que je ne coucherai chez moi que le surlendemain, et j’emporte ma clef. Les fenêtres des deux chambres étaient fermées par de forts volets. Avant de m’en aller, j’en avais exprès laissé un sans y mettre le crochet du dedans. La nuit venue, je me débarrasse de ma perruque, de mes lunettes, de ma bosse et des habits avec lesquels j’avais été faire mes achats et louer ma chambre; je mets cette défroque dans une malle que j’envoie à l’adresse de Murph, l’ami de M. Rodolphe, en le priant de garder ces nippes; j’achète la blouse que voilà, le bonnet bleu que voilà, une barre de fer de deux pieds de long, et à une heure du matin je viens rôder dans la rue de Provence, devant mon logement, attendant le moment où une patrouille passerait pour me dépêcher de me voler, de m’escalader et de m’effractionner moi-même, afin de me faire emprisonner.

Et le Chourineur ne put s’empêcher de rire encore aux éclats.

– Ah! je comprends…, s’écria Germain.

– Mais vous allez voir si je n’ai pas du guignon: il ne passait pas de patrouille!… J’aurais pu vingt fois me dévaliser tout à mon aise. Enfin, sur les deux heures du matin, j’entends piétiner les tourlourous au bout de la rue; je finis d’ouvrir mon volet, je casse deux ou trois carreaux pour faire un tapage d’enfer, j’enfonce la fenêtre, je saute dans la chambre, j’empoigne la boîte d’argenterie… quelques nippes… Heureusement la patrouille avait entendu le drelin-dindin des carreaux, car, juste comme je ressortais par la fenêtre, je suis pincé par la garde, qui, au bruit des carreaux cassés, avait pris le pas de course.

«On frappe, le portier ouvre; on va chercher le commissaire; il arrive; le portier dit que les deux chambres dévalisées ont été louées la veille par un monsieur bossu, à cheveux noirs et portant des lunettes bleues, et qui s’appelait Grégoire. J’avais la crinière de filasse que vous me voyez, j’ouvrais l’œil comme un lièvre au gîte, j’étais droit comme un Russe au port d’armes, on ne pouvait donc pas me prendre pour le bossu à lunettes bleues et à crins noirs. J’avoue tout, on m’arrête, on me conduit au dépôt, du dépôt ici, et j’arrive au bon moment, juste pour arracher des pattes du Squelette le jeune homme dont M. Rodolphe m’avait dit: «Je m’y intéresse comme à mon fils.»

– Ah! que ne vous dois-je pas… pour tant de dévouement! s’écria Germain.

– Ce n’est pas à moi… c’est à M. Rodolphe que vous devez…

– Mais la cause de son intérêt pour moi?

– Il vous la dira, à moins qu’il ne vous la dise pas; car souvent il se contente de vous faire du bien, et si vous avez le toupet de lui demander pourquoi, il ne se gêne pas pour vous répondre: «Mêlez-vous de ce qui vous regarde.»

– Et M. Rodolphe sait-il que vous êtes ici?

– Pas si bête de lui avoir dit mon idée, il ne m’aurait peut-être pas permis… cette farce… et sans me vanter, hein! elle est fameuse?

– Mais que de risques vous avez courus… vous courez encore!

– Qu’est-ce que je risquais? De n’être pas conduit à la Force, où vous étiez, c’est vrai… Mais je comptais sur la protection de M. Rodolphe pour me faire changer de prison et vous rejoindre; un seigneur comme lui, ça peut tout. Et une fois que j’aurais été coffré, il aurait autant aimé que ça vous serve à quelque chose.

– Mais au jour de votre jugement?

– Eh bien! je prierai M. Murph de m’envoyer la malle; je reprendrai devant le juge ma perruque noire, mes lunettes bleues, ma bosse, et je redeviendrai M. Grégoire pour le portier qui m’a loué la chambre, pour les marchands qui m’ont vendu, voilà pour le volé… Si on veut revoir le voleur, je quitterai ma défroque, et il sera clair comme le jour que le voleur et le volé ça fait, au total, le Chourineur, ni plus ni moins. Alors que diable voulez-vous qu’on me fasse, quand il sera prouvé que je me volais moi-même?

– En effet, dit Germain plus rassuré. Mais puisque vous me portiez tant d’intérêt, pourquoi ne m’avez-vous rien dit en entrant dans la prison?

– J’ai tout de suite su le complot qu’on avait fait contre vous, j’aurais pu le dénoncer avant que Pique-Vinaigre eût commencé ou fini son histoire; mais dénoncer même des bandits pareils, ça ne m’allait pas… j’ai mieux aimé ne m’en fier qu’à ma poigne… pour vous arracher des pattes du Squelette. Et puis quand je l’ai vu, ce brigand-là, je me suis dit: «Voilà une fameuse occasion de me rappeler la grêle de coups de poing de M. Rodolphe, auxquels j’ai dû l’honneur de sa connaissance.»

– Mais si tous les détenus avaient pris parti contre vous seul, qu’auriez-vous pu faire?

– Alors j’aurais crié comme un aigle et appelé au secours! Mais ça m’allait mieux de faire ma petite cuisine moi-même, pour pouvoir dire à M. Rodolphe: «Il n’y a que moi qui me suis mêlé de la chose… j’ai défendu et je défendrai votre jeune homme, soyez tranquille.»

À ce moment le gardien rentra brusquement dans la chambre.

– Monsieur Germain, venez vite, vite chez M. le directeur… il veut vous parler à l’instant même. Et vous, Chourineur, mon garçon, descendez à la Fosse-aux -lions… Vous serez prévôt, si cela vous convient; car vous avez tout ce qu’il faut pour remplir ces fonctions… et les détenus ne badineront pas avec un gaillard de votre espèce.

– Ça me va tout de même… autant être capitaine que soldat pendant qu’on y est.

– Refuserez-vous encore ma main? dit cordialement Germain au Chourineur.

– Ma foi non… monsieur Germain, ma foi non; je crois que maintenant je peux me permettre ce plaisir-là, et je vous la serre de bon cœur.

– Nous nous reverrons… car me voici sous votre protection… je n’aurai plus rien à craindre, et de ma cellule je descendrai chaque jour au préau.