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– Quel singulier rapprochement! se dit Clémence de plus en plus émue, car chacun de ces deux noms, la Goualeuse et Rigolette, lui rappelait une noble action de Rodolphe. Et vous, mon enfant, que puis-je pour vous? dit-elle à la Lorraine. Je voudrais que les noms que vous venez de prononcer avec tant de reconnaissance vous portassent bonheur.

– Merci, madame, dit la Lorraine avec un sourire de résignation amère; j’avais un enfant… il est mort… Je suis poitrinaire condamnée, je n’ai plus besoin de rien.

– Quelle idée sinistre! À votre âge… si jeune, il y a toujours de la ressource!

– Oh! non, madame, je sais mon sort… je ne me plains pas! J’ai vu encore cette nuit mourir une poitrinaire dans la salle… on meurt bien doucement, allez! Je vous remercie toujours de vos bontés.

– Vous vous exagérez votre état…

– Je ne me trompe pas, madame, je le sens bien; mais, puisque vous êtes si bonne… une grande dame comme vous est toute-puissante…

– Parlez… dites… que voulez-vous?

– J’avais demandé un service à Jeanne; mais puisque, grâce à Dieu et à vous, elle s’en va…

– Eh bien! ce service, ne puis-je vous le rendre?

– Certainement, madame… un mot de vous aux sœurs ou au médecin arrangerait tout.

– Ce mot, je le dirai, soyez-en sûre… De quoi s’agit-il?

– Depuis que j’ai vu l’actrice qui est morte si tourmentée de la crainte d’être coupée en morceaux après sa mort, j’ai la même peur… Jeanne m’avait promis de réclamer mon corps et de me faire enterrer.

– Ah! c’est horrible dit Clémence en frissonnant d’épouvante; il faut venir ici pour savoir qu’il est encore pour les pauvres des misères et des terreurs même au delà de la tombe!…

– Pardon, madame, dit timidement la Lorraine; pour une grande dame riche et heureuse comme vous méritez de l’être, cette demande est bien triste… je n’aurais pas dû la faire!

– Je vous en remercie, au contraire, mon enfant; elle m’apprend une misère que j’ignorais, et cette science ne sera pas stérile… Soyez tranquille, quoique ce moment fatal soit bien éloigné d’ici, quand il arrivera, vous serez sûre de reposer en terre sainte!

– Oh! merci, madame! s’écria la Lorraine: si j’osais vous demander la permission de baiser votre main…

Clémence présenta sa main aux lèvres desséchées de la Lorraine.

– Oh! merci, madame! J’aurai quelqu’un à aimer et à bénir jusqu’à la fin… avec la Goualeuse… et je ne serai plus attristée pour après ma mort!

Ce détachement de la vie et ces craintes d’outre-tombe avaient péniblement affecté Mme d’Harville; se penchant à l’oreille de la sœur qui venait l’avertir que Mlle de Fermont avait complètement repris connaissance, elle lui dit:

– Est-ce que réellement l’état de cette jeune femme est désespéré?

Et, d’un signe, elle lui indiqua le lit de la Lorraine.

– Hélas! oui, madame; la Lorraine est condamnée… elle n’a peut-être pas huit jours à vivre!

Une demi-heure après, Mme d’Harville, accompagnée de M. de Saint-Remy, emmenait chez elle la jeune orpheline, à qui elle avait caché la mort de sa mère.

Le jour même un homme de confiance de Mme d’Harville, après avoir été visiter, rue de la Barillerie, la misérable demeure de Jeanne Duport, et avoir recueilli sur cette digne femme les meilleurs renseignements, loua aussitôt, sur le quai de l’École, deux grandes chambres et un cabinet bien aéré, meubla en deux heures ce modeste mais salubre logis, et, grâce aux ressources instantanées du Temple, le soir même, Jeanne Duport fut transportée dans cette demeure, où elle trouva ses enfants et une excellente garde-malade.

Le même homme de confiance fut chargé de réclamer et de faire enterrer le corps de la Lorraine lorsqu’elle succomberait à sa maladie.

Après avoir conduit et installé chez elle Mlle de Fermont, Mme d’Harville partit aussitôt pour Asnières, accompagnée de M. de Saint-Remy, afin d’aller chercher Fleur-de-Marie et de la conduire chez Rodolphe.

X Espérance

Les premiers jours du printemps approchaient, le soleil commençait à prendre un peu de force, le ciel était pur, l’air tiède… Fleur-de-Marie, appuyée sur le bras de la Louve, essayait ses forces en se promenant dans le jardin de la petite maison du docteur Griffon.

La chaleur vivifiante du soleil et le mouvement de la promenade coloraient d’une teinte rosée les traits pâles et amaigris de la Goualeuse; ses vêtements de paysanne ayant été déchirés dans la précipitation des premiers secours qu’on lui avait donnés, elle portait une robe de mérinos d’un bleu foncé, faite en blouse, et seulement serrée autour de sa taille délicate et fine par une cordelière de laine.

– Quel bon soleil! dit-elle à la Louve en s’arrêtant au pied d’une charmille d’arbres verts exposés au midi et qui s’arrondissaient autour d’un banc de pierre. Voulez-vous que nous nous asseyions un moment ici, la Louve?

– Est-ce que vous avez besoin de me demander si je veux? répondit brusquement la femme de Martial en haussant les épaules.

Puis, ôtant de son cou un châle de bourre de soie, elle le ploya en quatre, s’agenouilla, le posa sur le sable un peu humide de l’allée et dit à la Goualeuse:

– Mettez vos pieds là-dessus.

– Mais, la Louve, dit Fleur-de-Marie, qui s’était aperçue trop tard du dessein de sa compagne pour l’empêcher de l’exécuter; mais, la Louve, vous allez abîmer votre châle.

– Pas tant de raisons!… la terre est fraîche, dit la Louve.

Et, prenant d’autorité les petits pieds de Fleur-de-Marie, elle les posa sur le châle.

– Comme vous me gâtez, la Louve…

– Hum!… vous ne le méritez guère: toujours à vous débattre contre ce que je veux faire pour votre bien… Vous n’êtes pas fatiguée? Voilà une bonne demi-heure que nous marchons… Midi vient de sonner à Asnières.

– Je suis un peu lasse… mais je sens que cette promenade m’a fait du bien.

– Vous voyez… vous étiez lasse. Vous ne pouviez pas me demander plus tôt de vous asseoir?

– Ne me grondez pas; je ne m’apercevais pas de ma lassitude. C’est si bon de marcher quand on a été longtemps alitée… de voir le soleil, les arbres, la campagne, quand on a cru ne les revoir jamais!

– Le fait est que vous avez été dans un état désespéré durant deux jours. Pauvre Goualeuse… oui, on peut vous dire cela maintenant… on désespérait de vous.

– Et puis figurez-vous, la Louve, que me voyant sous l’eau… malgré moi je me suis rappelé qu’une méchante femme qui m’avait tourmentée quand j’étais petite me menaçait toujours de me jeter aux poissons. Plus tard elle avait encore voulu me noyer [14]. Alors je me suis dit: «Je n’ai pas de bonheur… c’est une fatalité, je n’y échapperai pas…»