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– Pauvre Goualeuse… ç’a été votre dernière idée quand vous vous êtes crue perdue?

– Oh! non… dit Fleur-de-Marie avec exaltation. Quand je me suis sentie mourir… ma dernière pensée a été pour celui que je regarde comme mon Dieu; de même qu’en me sentant renaître, ma première pensée s’est élevée vers lui…

– C’est plaisir de vous faire du bien, à vous… vous n’oubliez pas.

– Oh! non!… c’est si bon de s’endormir avec sa reconnaissance et de s’éveiller avec elle!

– Aussi on se mettrait dans le feu pour vous.

– Bonne Louve… Tenez, je vous assure qu’une des causes qui me rendent heureuse de vivre… c’est l’espoir de vous porter bonheur, d’accomplir ma promesse… vous savez, nos châteaux en Espagne de Saint-Lazare?

– Quant à cela, il y a du temps de reste. Vous voilà sur pied, j’ai fait mes frais… comme dit mon homme.

– Pourvu que M. le comte de Saint-Remy me dise tantôt que le médecin me permet d’écrire à Mme Georges! Elle doit être si inquiète! et peut-être M. Rodolphe aussi! ajouta Fleur-de-Marie en baissant les yeux et en rougissant de nouveau à la pensée de son Dieu. Peut-être ils me croient morte!

– Comme le croient aussi ceux qui vous ont fait noyer, pauvre petite. Oh! les brigands!

– Vous supposez donc toujours que ce n’est pas un accident, la Louve?

– Un accident! Oui, les Martial appellent ça des accidents… Quand je dis les Martial… c’est sans compter mon homme… car il n’est pas de la famille, lui… pas plus que n’en seront jamais François et Amandine.

– Mais quel intérêt pouvait-on avoir à ma mort? Je n’ai jamais fait de mal à personne… personne ne me connaît.

– C’est égal… si les Martial sont assez scélérats pour noyer quelqu’un, ils ne sont pas assez bêtes pour le faire sans y avoir un intérêt. Quelques mots que la veuve a dits à mon homme dans la prison… me le prouvent bien.

– Il a donc été voir sa mère, cette femme terrible?

– Oui, il n’y a plus d’espoir pour elle, ni pour Calebasse, ni pour Nicolas. On avait découvert bien des choses, mais ce gueux de Nicolas, dans l’espoir d’avoir la vie sauve, a dénoncé sa mère et sa sœur pour un autre assassinat. Ça fait qu’ils y passeront tous. L’avocat n’espère plus rien; les gens de la justice disent qu’il faut un exemple.

– Ah! c’est affreux! presque toute une famille.

– Oui, à moins que Nicolas ne s’évade. Il est dans la même prison qu’un monstre de bandit appelé le Squelette, qui machine un complot pour se sauver, lui et d’autres. C’est Nicolas qui a fait dire cela à Martial par un prisonnier sortant; car mon homme a été encore assez faible pour aller voir son gueux de frère à la Force. Alors, encouragé par cette visite, ce misérable, que l’enfer confonde! a eu le front de faire dire à mon homme que d’un moment à l’autre il pourrait s’échapper, et que Martial lui tienne prêts chez le père Micou de l’argent et des habits pour se déguiser.

– Votre Martial a si bon cœur!

– Bon cœur tant que vous voudrez, la Goualeuse; mais que le diable me brûle si je laisse mon homme aider un assassin qui a voulu le tuer! Martial ne dénoncera pas le complot d’évasion, c’est déjà beaucoup… D’ailleurs, maintenant que vous voilà en santé, la Goualeuse, nous allons partir, moi, mon homme et les enfants, pour notre tour de France; nous ne remettrons jamais les pieds à Paris: c’était bien assez pénible à Martial d’être appelé fils du guillotiné. Qu’est-ce que cela serait donc lorsque mère, frère et sœur y auraient passé?

– Vous attendrez au moins que j’aie parlé de vous à M. Rodolphe, si je le revois. Vous êtes revenue au bien, j’ai dit que je vous en ferais récompenser, je veux tenir ma parole. Sans cela comment m’acquitterais-je envers vous? Vous m’avez sauvé la vie… et pendant ma maladie vous m’avez comblée de soins.

– Justement! maintenant j’aurais l’air intéressée, si je vous laissais demander quelque chose pour moi à vos protecteurs. Vous êtes sauvée… je vous répète que j’ai fait mes frais.

– Bonne Louve… rassurez-vous… ce n’est pas vous qui serez intéressée, c’est moi qui serai reconnaissante.

– Écoutez donc! dit tout d’un coup la Louve en se levant, on dirait le bruit d’une voiture. Oui… oui, elle approche; tenez, la voilà; l’avez-vous vu passer devant la grille? Il y a une femme dedans.

– Oh! mon Dieu! s’écria Fleur-de-Marie avec émotion, il m’a semblé reconnaître…

– Qui donc?

– Une jeune et jolie dame que j’ai vue à Saint-Lazare, et qui a été bien bonne pour moi.

– Elle sait donc que vous êtes ici?

– Je l’ignore; mais elle connaît la personne dont je vous parlais toujours, et qui, si elle le veut, et elle le voudra, je l’espère, pourra réaliser nos châteaux en Espagne de la prison.

– Une place de garde-chasse pour mon homme, avec une cabane pour nous au milieu des bois, dit la Louve en soupirant. Tout ça c’est des féeries… c’est trop beau, cela ne peut pas arriver.

Un bruit de pas précipités se fit entendre, derrière la charmille; François et Amandine qui, grâce aux bontés du comte de Saint-Remy, n’avaient pas quitté la Louve, arrivèrent essoufflés en criant:

– La Louve, voici une belle dame avec M. de Saint-Remy; ils demandent à voir tout de suite Fleur-de-Marie.

– Je ne m’étais pas trompée! dit la Goualeuse.

Presque au même instant parut M. de Saint-Remy, accompagné de Mme d’Harville. À peine celle-ci eut-elle aperçu Fleur-de-Marie qu’elle s’écria en courant à elle et en la serrant tendrement entre ses bras:

– Pauvre chère enfant… vous voilà… Ah!… sauvée!… sauvée miraculeusement d’une horrible mort… Avec quel bonheur je vous retrouve… moi qui, ainsi que vos amis, vous avais crue perdue… vous avais tant regrettée!

– Je suis aussi bien heureuse de vous revoir, madame; car je n’ai jamais oublié vos bontés pour moi, dit Fleur-de-Marie en répondant aux tendresses de Mme d’Harville avec une grâce et une modestie charmantes.

– Ah! vous ne savez pas quelle sera la surprise, la folle joie de vos amis qui à cette heure vous pleurent si amèrement…

Fleur-de-Marie, prenant par la main la Louve, qui s’était retirée à l’écart, dit à Mme d’Harville en la lui présentant:

– Puisque mon salut est si cher à mes bienfaiteurs, permettez-moi de vous demander leurs bontés pour ma compagne, qui m’a sauvée au risque de sa vie…

– Soyez tranquille, mon enfant… vos amis prouveront à la brave Louve qu’ils savent que c’est à elle qu’ils doivent le bonheur de vous revoir.

La Louve, rouge, confuse, n’osant ni répondre ni lever les yeux sur Mme d’Harville, tant la présence d’une femme de cette dignité lui imposait, n’avait pu cacher son étonnement en entendant Clémence prononcer son nom…

– Mais il n’y a pas un moment à perdre, reprit la marquise. Je meurs d’impatience de vous emmener, Fleur-de-Marie; j’ai apporté dans la voiture un châle, un manteau bien chaud; venez, venez, mon enfant… Puis, s’adressant au comte: Serez-vous assez bon pour donner mon adresse à cette courageuse femme, afin qu’elle puisse demain faire ses adieux à Fleur-de-Marie? De la sorte vous serez bien forcée de venir nous voir, ajouta Mme d’Harville en s’adressant à la Louve.