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Durant cette triste et imposante cérémonie, aucune parole ne fut échangée entre les assistants. Lorsqu’elle fut accomplie, les témoins de Sarah, M. le duc de Lucenay et lord Douglas, vinrent en silence saluer profondément le prince, puis sortirent.

Sur un signe de Rodolphe, Murph et M. de Graün les suivirent.

– Mon frère, dit tout bas Sarah, priez le ministre de vous accompagner dans la pièce voisine, et d’avoir la bonté d’y attendre un moment.

– Comment vous trouvez-vous, ma sœur? Vous êtes bien pâle…

– Je suis sûre de vivre, maintenant, ne suis-je pas grande-duchesse de Gerolstein? ajouta-t-elle avec un sourire amer.

Restée seule avec Rodolphe, Sarah murmura d’une voix épuisée, pendant que ses traits se décomposaient d’une manière effrayante:

– Mes forces sont à bout… je me sens mourir… je ne la verrai pas!

– Si… si… rassurez-vous, Sarah… vous la verrez.

– Je ne l’espère plus… cette contrainte… Oh! il fallait une force surhumaine… Ma vue se trouble déjà!

– Sarah! dit le prince en s’approchant vivement de la comtesse et prenant ses mains dans les siennes, elle va venir… maintenant, elle ne peut tarder…

– Dieu ne voudra pas m’accorder… cette dernière consolation.

– Sarah! écoutez, écoutez… Il me semble entendre une voiture… Oui, c’est elle… voilà votre fille!

– Rodolphe, vous ne lui direz pas… que j’étais une mauvaise mère! articula lentement la comtesse qui déjà n’entendait plus.

Le bruit d’une voiture retentit sur les pavés sonores de la cour.

La comtesse ne s’en aperçut pas. Ses paroles devinrent de plus en plus incohérentes; Rodolphe était penché vers elle avec anxiété; il vit ses yeux se voiler.

– Pardon! ma fille… voir ma fille! Pardon!… au moins… après ma mort, les honneurs de mon rang! murmura-t-elle enfin.

Ce furent les derniers mots intelligibles de Sarah. L’idée fixe, dominante de toute sa vie revenait encore malgré son repentir sincère.

Tout à coup Murph entra.

– Monseigneur… la princesse Marie…

– Non! s’écria vivement Rodolphe, qu’elle n’entre pas! Dis à Seyton d’amener le ministre. Puis, montrant Sarah qui s’éteignait dans une lente agonie, Rodolphe ajouta:

– Dieu lui refuse la consolation suprême d’embrasser son enfant.

Une demi-heure après, la comtesse Sarah Mac-Gregor avait cessé de vivre.

XIV Bicêtre

Quinze jours s’étaient passés depuis que Rodolphe, en épousant Sarah in extremis, avait légitimé la naissance de Fleur-de-Marie.

C’était le jour de la mi-carême. Cette date établie, nous conduirons le lecteur à Bicêtre. Cet immense établissement, destiné, ainsi que chacun sait, au traitement des aliénés, sert aussi de lieu de refuge à sept ou huit cents vieillards pauvres, qui sont admis à cette espèce de maison d’invalides civils [15] lorsqu’ils sont âgés de soixante-dix ans ou atteints d’infirmités très-graves.

En arrivant à Bicêtre, on entre d’abord dans une vaste cour plantée de grands arbres, coupée de pelouses vertes ornées en été de plates-bandes de fleurs. Rien de plus riant, de plus calme, de plus salubre que ce promenoir spécialement destiné aux vieillards indigents dont nous avons parlé; il entoure les bâtiments où se trouvent, au premier étage, de spacieux dortoirs bien aérés, garnis de bons lits, et au rez-de-chaussée des réfectoires d’une admirable propreté, où les pensionnaires de Bicêtre prennent en commun une nourriture saine, abondante, agréable et préparée avec un soin extrême, grâce à la paternelle sollicitude des administrateurs de ce bel établissement.

Un tel asile serait le rêve de l’artisan veuf ou célibataire qui, après une longue vie de privations, de travail et de probité, trouverait là le repos, le bien-être qu’il n’a jamais connus.

Malheureusement le favoritisme qui de nos jours s’étend à tout, envahit tout, s’est emparé des bourses de Bicêtre, et ce sont en grande partie d’anciens domestiques qui jouissent de ces retraites, grâce à l’influence de leurs derniers maîtres.

Ceci nous semble un abus révoltant.

Rien de plus méritoire que les longs et honnêtes services domestiques, rien de plus digne de récompense que ces serviteurs qui, éprouvés par des années de dévouement, finissaient autrefois par faire presque partie de la famille; mais, si louables que soient de pareils antécédents, c’est le maître qui en a profité, et non l’État, qui doit les rémunérer.

Ne serait-il donc pas juste, moral, humain, que les places de Bicêtre et celles d’autres établissements semblables appartinssent de droit à des artisans choisis parmi ceux qui justifieraient de la meilleure conduite et de la plus grande infortune?

Pour eux, si limité que fût leur nombre, ces retraites seraient au moins une lointaine espérance qui allégerait un peu leurs misères de chaque jour. Salutaire espoir qui les encouragerait au bien, en leur montrant dans un avenir éloigné sans doute, mais enfin certain, un peu de calme, de bonheur pour récompense. Et, comme ils ne pourraient prétendre à ces retraites que par une conduite irréprochable, leur moralisation deviendrait pour ainsi dire forcée.

Est-ce donc trop de demander que le petit nombre de travailleurs qui atteignent un âge très-avancé à travers des privations de toutes sortes aient au moins la chance d’obtenir un jour à Bicêtre du pain, du repos, un abri pour leur vieillesse épuisée?

Il est vrai qu’une telle mesure exclurait à l’avenir de cet établissement les gens de lettres, les savants, les artistes d’un grand âge, qui n’ont pas d’autre refuge.

Oui, de nos jours, des hommes dont les talents, dont la science, dont l’intelligence ont été estimés de leur temps, obtiennent à grand-peine une place parmi ces vieux serviteurs que le crédit de leur maître envoie à Bicêtre.

Au nom de ceux-là qui ont concouru au renom, aux plaisirs de la France, de ceux-là dont la réputation a été consacrée par la voix populaire, est-ce trop demander que de vouloir pour leur extrême vieillesse une retraite modeste mais digne?

Sans doute c’est trop; et pourtant citons un exemple entre mille: on a dépensé huit ou dix millions pour le monument de la Madeleine, qui n’est ni un temple ni une église: avec cette somme énorme que de bien à faire! Fonder, je suppose, une maison d’asile où deux cent cinquante ou trois cents personnes jadis remarquables comme savants, poëtes, musiciens, administrateurs, médecins, avocats, etc., etc. (car presque toutes ces professions ont successivement leurs représentants parmi les pensionnaires de Bicêtre), auraient trouvé une retraite honorable.

Sans doute c’était là une question d’humanité, de pudeur, de dignité nationale pour un pays qui prétend marcher à la tête des arts, de l’intelligence et de la civilisation; mais l’on n’y a pas songé…

Car Hégésippe Moreau et tant d’autres rares génies sont morts à l’hospice ou dans l’indigence…