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– Un prince?

– Qu’est-ce que je dis, un prince… une altesse royale, un grand-duc régnant, un roi en petit… Germain m’a expliqué ça.

– M. Rodolphe!

– Hein! ma pauvre Louise! Et moi qui lui avais demandé de m’aider à cirer ma chambre!

– Un prince… presque un roi! C’est ça qu’il a tant de pouvoir pour faire le bien.

– Vous comprenez ma confusion, ma bonne Louise. Aussi, voyant que c’était presque un roi, je n’ai pas osé refuser la dot. Nous avons été mariés. Il y a huit jours, M. Rodolphe nous a fait dire, à nous deux Germain et à Mme Georges, qu’il serait très-content que nous lui fissions une visite de noce; nous y allons. Dame, vous comprenez, le cœur me battait fort; nous arrivons rue Plumet, nous entrons dans un palais: nous traversons des salons remplis de domestiques galonnés, de messieurs en noir avec des chaînes d’argent au cou et l’épée au côté, d’officiers en uniforme; que sais-je, moi? et puis des dorures, des dorures partout, qu’on en était ébloui. Enfin, nous trouvons le monsieur chauve dans un salon avec d’autres messieurs tout chamarrés de broderies; il nous introduit dans une grande pièce, où nous trouvons M. Rodolphe… c’est-à-dire le prince, vêtu très-simplement et l’air si bon, si franc, si peu fier… enfin l’air si M. Rodolphe d’autrefois, que je me suis sentie tout de suite à mon aise, en me rappelant que je lui avais fait m’attacher mon châle, me tailler des plumes et me donner le bras dans la rue.

– Vous n’avez plus eu peur? Oh! moi, comme j’aurais tremblé!

– Eh bien! moi, non. Après avoir reçu Mme Georges avec une bonté sans pareille et offert sa main à Germain, le prince m’a dit en souriant: «Eh bien! ma voisine, comment vont papa Crétu et Ramonette? (C’est le nom de mes oiseaux; faut-il qu’il soit aimable pour s’en être souvenu!) Je suis sûr, a-t-il ajouté, que maintenant vous et Germain vous luttez de chants joyeux avec vos jolis oiseaux? – Oui, monseigneur. (Mme Georges nous avait fait la leçon toute la route, à nous deux Germain, nous disant qu’il fallait appeler le prince monseigneur.) Oui, monseigneur, notre bonheur est grand, et il nous semble plus doux et plus grand encore parce que nous vous le devons. – Ce n’est pas à moi que vous le devez, mon enfant, mais à vos excellentes qualités et à celles de Germain.» Et cætera, et cætera, je passe le reste de ses compliments. Enfin nous avons quitté ce seigneur le cœur un peu gros, car nous ne le verrons plus. Il nous a dit qu’il retournait en Allemagne sous peu de jours, peut-être qu’il est déjà parti; mais, parti ou non, son souvenir sera toujours avec nous.

– Puisqu’il a des sujets, ils doivent être bien heureux!

– Jugez! il nous a fait tant de bien, à nous qui ne lui sommes rien. J’oubliais de vous dire que c’était à cette ferme-là qu’avait habité une de mes anciennes compagnes de prison, une bien bonne et bien honnête petite fille qui, pour son bonheur, avait aussi rencontré M. Rodolphe; mais Mme Georges m’avait bien recommandé de n’en pas parler au prince, je ne sais pas pourquoi… sans doute parce qu’il n’aime pas qu’on lui parle du bien qu’il fait. Ce qui est sûr, c’est qu’il paraît que cette chère Goualeuse a retrouvé ses parents, qui l’ont emmenée avec eux, bien loin, bien loin: tout ce que je regrette, c’est de ne pas l’avoir embrassée avant son départ.

– Allons, tant mieux, dit amèrement Louise; elle est heureuse aussi, elle…

– Ma bonne Louise, pardon… je suis égoïste; c’est vrai, je ne vous parle que de bonheur… à vous qui avez tant de raisons d’être encore chagrine.

– Si mon enfant m’était resté, dit tristement Louise en interrompant Rigolette, cela m’aurait consolée; car maintenant quel est l’honnête homme qui voudra de moi, quoique j’aie de l’argent?

– Au contraire, Louise, moi je dis qu’il n’y a qu’un honnête homme capable de comprendre votre position; oui, lorsqu’il saura tout, lorsqu’il vous connaîtra, il ne pourra que vous plaindre, vous estimer, et il sera bien sûr d’avoir en vous une bonne et digne femme.

– Vous me dites cela pour me consoler.

– Non, je dis cela parce que c’est vrai.

– Enfin, vrai ou non, ça me fait du bien, toujours, et je vous en remercie. Mais qui vient donc là? Tiens, c’est M. Pipelet et sa femme! Mon Dieu, comme il a l’air content! lui qui, dans les derniers temps, était toujours si malheureux des plaisanteries de M. Cabrion.

En effet, M. et Mme Pipelet s’avançaient allègrement, Alfred, toujours coiffé de son inamovible chapeau tromblon, portait un magnifique habit vert pré encore dans tout son lustre; sa cravate, à coins brodés, laissait dépasser un col de chemise formidable qui lui cachait la moitié des joues; un grand gilet à fond jaune vif, à larges bandes marron, un pantalon noir un peu court, des bas d’une éblouissante blancheur et des souliers cirés à l’œuf complétaient son accoutrement.

Anastasie se prélassait dans une robe de mérinos amarante sur laquelle tranchait vivement un châle d’un bleu foncé. Elle exposait orgueilleusement à tous les regards sa perruque fraîchement bouclée et tenait son bonnet suspendu à son bras par des brides de ruban vert en manière de ridicule.

La physionomie d’Alfred, ordinairement si grave, si recueillie et dernièrement si abattue, était rayonnante, jubilante, rutilante; du plus loin qu’il aperçut Louise et Rigolette, il accourut en s’écriant de sa voix de basse:

– Délivré!… parti!

– Ah! mon Dieu! monsieur Pipelet, dit Rigolette, comme vous avez l’air joyeux! qu’avez-vous donc?

– Parti… mademoiselle, ou plutôt madame, veux-je, puis-je, dois-je dire, car maintenant vous êtes exactement semblable à Anastasie, grâce au conjungo, de même que votre mari, M. Germain, est exactement semblable à moi.

– Vous êtes bien honnête, monsieur Pipelet, dit Rigolette en souriant; mais qui est donc parti?

– Cabrion! s’écria M. Pipelet en respirant et en aspirant l’air avec une indicible satisfaction, comme s’il eût été dégagé d’un poids énorme. Il quitte la France à jamais, à toujours… à perpétuité… enfin il est parti.

– Vous en êtes bien sûr?

– Je l’ai vu… de mes yeux vu monter hier en diligence… route de Strasbourg, lui, tous ses bagages… et tous ses effets, c’est-à-dire un étui à chapeau, un appuie-mains et une boîte à couleurs.

– Qu’est-ce qu’il vous chante là, ce vieux chéri? dit Anastasie en arrivant essoufflée, car elle avait difficilement suivi la course précipitée d’Alfred. Je parie qu’il vous parle du départ de Cabrion? Il n’a fait qu’en rabâcher toute la route.

– C’est-à-dire, Anastasie, que je ne tiens pas sur terre. Avant, il me semblait que mon chapeau était doublé de plomb; maintenant on dirait que l’air me soulève vers le firmament! Parti… enfin… parti! et il ne reviendra plus!