Ce fut alors que monseigneur arriva; la princesse Amélie venait de recevoir les derniers sacrements, une lueur de connaissance lui restait encore; dans une de ses mains, croisées sur son sein, elle tenait les débris de son petit rosier…
Monseigneur tomba agenouillé à son chevet; il sanglotait.
– Ma fille!… mon enfant chérie!… s’écria-t-il d’une voix déchirante.
La princesse Amélie l’entendit, tourna légèrement la tête vers lui… ouvrit les yeux… tâcha de sourire, et dit d’une voix défaillante:
– Mon bon père… pardon… aussi à Henri… à ma bonne mère… pardon…
Ce furent ses derniers mots…
Après une heure d’une agonie pour ainsi dire paisible… elle rendit son âme à Dieu…
Lorsque sa fille eut rendu le dernier soupir, monseigneur ne dit pas un mot… son calme et son silence étaient effrayants… il ferma les paupières de la princesse, la baisa plusieurs fois au front, prit pieusement les débris du petit rosier et sortit de la cellule.
Je le suivis; il revint dans la maison extérieure du cloître, et, me montrant la lettre qu’il avait commencé d’écrire à Votre Altesse Royale, et à laquelle il voulut en vain ajouter quelques mots, car sa main tremblait convulsivement, il me dit:
– Il m’est impossible d’écrire… Je suis anéanti… ma tête se perd! Écris à la grande-duchesse que je n’ai plus de fille!…
J’ai exécuté les ordres de monseigneur.
Qu’il me soit permis, comme à son plus vieux serviteur, de supplier Votre Altesse Royale de hâter son retour… autant que la santé de M. le comte d’Orbigny le permettra. La présence seule de Votre Altesse Royale pourrait calmer le désespoir de monseigneur… Il veut chaque nuit veiller sur sa fille jusqu’au jour où elle sera ensevelie dans la chapelle grand-ducale.
J’ai accompli ma triste tâche, madame; veuillez excuser l’incohérence de cette lettre, et recevoir l’expression du respectueux dévouement avec lequel j’ai l’honneur d’être de Votre Altesse Royale,
Le très-obéissant serviteur,
WALTER MURPH.
La veille du service funèbre de la princesse Amélie, Clémence arriva à Gerolstein avec son père.
Rodolphe ne fut pas seul le jour des funérailles de Fleur-de-Marie.
FIN DE L’ÉPILOGUE.
À MONSIEUR LE RÉDACTEUR EN CHEF DU JOURNAL DES DÉBATS
Monsieur,
Les Mystères de Paris sont terminés; permettez-moi de venir publiquement vous remercier d’avoir bien voulu prêter à cette œuvre, malheureusement aussi imparfaite qu’incomplète, la grande et puissante publicité du Journal des débats; ma reconnaissance est d’autant plus vive, monsieur, que plusieurs des idées, émises dans cet ouvrage différaient essentiellement de celles que vous soutenez avec autant d’énergie que de talent, et qu’il est rare de rencontrer la courageuse et loyale impartialité dont vous avez fait preuve à mon égard.
J’invoquerai encore une fois cette impartialité, monsieur, pour vous dire quelques mots en faveur d’une modeste publication, fondée et exclusivement rédigée par des ouvriers, sous le titre de La Ruchepopulaire. Quelques artisans honnêtes et éclairés ont élevé cette tribune populaire, où ils exposent leurs réclamations avec autant de convenance que de modération. (Je citerai entre autres une lettre aussi touchante que respectueuse, adressée au roi par M. Duquesne, ouvrier imprimeur.) L’organisation du travail, la limitation de la concurrence, le tarif des salaires y sont traités par les ouvriers eux-mêmes, et, à cet égard, leur voix mérite, ce me semble, d’être attentivement écoutée par tous ceux qui s’occupent des affaires publiques.
Mais malheureusement il se passera peut-être bien des années encore avant que ces grandes questions d’un intérêt si vital pour les masses soient résolues. En attendant, chaque jour amène et dévoile de nouvelles misères, de nouvelles souffrances individuelles: les fondateurs de La Ruche ont espéré qu’en faisant chaque mois un appel en faveur des plus malheureux de leurs frères, ils seraient peut-être écoutés des heureux du monde.
Permettez-moi, monsieur, de vous citer la première page de La Ruchepopulaire:
LA RUCHE POPULAIRE.
«Secourir d’honorables infortunes qui se plaignent, c’est bien. S’enquérir de ceux qui luttent avec honneur, avec énergie, et leur venir en aide, quelquefois à leur insu… prévenir à temps la misère ou les tentations qui mènent au crime… c’est mieux.» (RODOLPHE, dans Les Mystères de Paris.)
«Si, dans notre conviction, le peuple ne peut être délivré ou secouru avec efficacité que par des mesures législativement prévoyantes, ce n’est pas pour nous une raison de méconnaître ou de repousser aveuglément les dons offerts avec délicatesse.
«Le rôle que M. Eugène Sue fait remplir à Rodolphe dans Les Mystères de Paris nous ayant inspiré l’idée de nous enquérir de familles honnêtes et malheureuses, et qui, à ces titres, sont dignes de l’évangélique fraternité, nous faisons à l’humanité des personnes riches un pieux appeclass="underline" car un bienfait suffit quelquefois à détourner le malheur, à sauver de la misère, du désespoir, du crime peut-être, une famille dépourvue de tout… Et puis les aumônes dégradent… Ce que nous conseillerons principalement sera de procurer du travail ou quelques places rétribuées suffisamment, enfin, tout ce qui peut mettre au-dessus de la terrible nécessité!
«Nous avons à soulager plusieurs familles intéressantes et dans la détresse: les bienfaiteurs peuvent s’adresser au bureau de ce journal, où on leur confiera les adresses, pour qu’ils puissent aller eux-mêmes administrer leurs dons.
«Nous citerons entre autres une famille composée du père, de la mère et de quatre enfants, dont le plus âgé a six ans; ils ont vainement sollicité des emplois qui leur permissent de vivre, mais qu’ils n’ont pas obtenus pour le même motif qui devrait exciter le plus touchant intérêt parce qu’ils avaient une nombreuse famille…
«Une autre de ces familles vient de perdre son chef, honnête ouvrier peintre, qui, en travaillant, est tombé d’un quatrième étage. Il laisse une femme enceinte et plusieurs enfants en bas âge dans la plus profonde douleur et le plus grand dénuement.»
C’est avec bonheur, je vous l’avoue, monsieur, que j’ai cité cette page, où mon nom est inscrit d’une manière si flatteuse; car je me regarderai toujours comme récompensé au delà de toute espérance chaque fois que je croirai avoir inspiré, par mes écrits, quelque action généreuse ou quelque pensée charitable, et l’idée mise en pratique par les fondateurs de La Ruchepopulaire me semble de ce nombre.
Ainsi les personnes riches qui voudraient s’abonner à ce journal mensuel (six francs par an, au bureau de La Ruche, rue des Quatre-Fils, n° 17, au Marais) seraient chaque mois instruites de quelque infortune respectable qu’il leur serait peut-être doux de soulager; car, disons-le hautement, il y a généralement en France beaucoup de commisération pour ceux qui souffrent; mais bien souvent l’occasion manque pour exercer la charité d’une façon profitable au cœur, et, si cela peut se dire, intéressante. Sous ce rapport, La Ruchepopulaire offrirait de précieux renseignements aux âmes d’élite qui recherchent les pures et nobles jouissances.