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– Hélas! j’ignorais ce malheur!

– En vain j’avais cru jusqu’ici expier mon crime… le coup qui me frappe aujourd’hui est ma punition.

– Mais moi, n’ai-je pas aussi bien souffert de la dureté de votre père, qui a rompu notre mariage? Pourquoi m’accuser de ne pas vous avoir aimé… lorsque…

– Pourquoi?… s’écria Rodolphe, en interrompant Sarah et jetant sur elle un regard de mépris écrasant. Sachez-le donc, et ne vous étonnez plus de l’horreur que vous m’inspirez. Après cette scène funeste dans laquelle j’avais menacé mon père, je rendis mon épée. Je fus mis au secret le plus absolu. Polidori, par les soins de qui notre mariage avait été conclu, fut arrêté; il prouva que cette union était nulle, que le ministre qui l’avait bénie était un ministre supposé, et que vous, votre frère et moi, nous avions été trompés. Pour désarmer la colère de mon père à son égard, Polidori fit plus: il lui remit une de vos lettres à votre frère, interceptée lors d’un voyage que fit Seyton.

– Ciel!… il serait possible?

– Vous expliquez-vous mes mépris maintenant?

– Oh! assez… assez.

– Dans cette lettre, vous dévoiliez vos projets ambitieux avec un cynisme révoltant. Vous me traitiez avec un dédain glacial; vous me sacrifiiez à votre orgueil infernal; je n’étais que l’instrument de la fortune souveraine qu’on vous avait prédite… vous trouviez enfin que mon père vivait bien longtemps.

– Malheureuse que je suis! À cette heure je comprends tout.

– Et pour vous défendre j’avais menacé la vie de mon père. Lorsque le lendemain, sans m’adresser un seul reproche, il me montra cette lettre… cette lettre qui à chaque ligne révélait la noirceur de votre âme, je ne pus que tomber à genoux et demander grâce. Depuis ce jour j’ai été poursuivi par un remords inexorable. Bientôt, je quittai l’Allemagne pour de longs voyages; alors commença l’expiation que je me suis imposée… Elle ne finira qu’avec ma vie… Récompenser le bien, poursuivre le mal, soulager ceux qui souffrent, sonder toutes les plaies de l’humanité pour tâcher d’arracher quelques âmes à la perdition, telle est la tâche que je me suis donnée.

– Elle est noble et sainte, elle est digne de vous.

– Si je vous parle de ce vœu, reprit Rodolphe avec autant de dédain que d’amertume, de ce vœu que j’ai accompli selon mon pouvoir partout où je me suis trouvé, ce n’est pas pour être loué par vous. Écoutez-moi donc. Dernièrement j’arrive en France; mon séjour dans ce pays ne devait pas être perdu pour l’expiation. Tout en voulant secourir d’honnêtes infortunes, je voulus aussi connaître ces classes que la misère écrase, abrutit et déprave, sachant qu’un secours donné à propos, que quelques généreuses paroles, suffisent souvent à sauver un malheureux de l’abîme. Afin de juger par moi-même, je pris l’extérieur et le langage des gens que je désirais observer. Ce fut lors d’une de ces explorations… que… pour la première fois… je… je… rencontrai… Puis, comme s’il eût reculé devant cette révélation terrible, Rodolphe ajouta après un moment d’hésitation: – Non… non; je n’en ai pas le courage.

– Qu’avez-vous donc à m’apprendre encore, mon Dieu?

– Vous ne le saurez que trop tôt… mais, reprit-il avec une sanglante ironie, vous portez au passé un si vif intérêt que je dois vous parler des événements qui ont précédé mon retour en France. Après de longs voyages je revins en Allemagne; je m’empressai d’obéir aux volontés de mon père; j’épousai une princesse de Prusse. Pendant mon absence vous aviez été chassée du grand-duché. Apprenant plus tard que vous étiez mariée au comte Mac-Gregor, je vous redemandai ma fille avec instance: vous ne me répondîtes pas; malgré toutes mes informations je ne pus jamais savoir où vous aviez envoyé cette malheureuse enfant, au sort de laquelle mon père avait libéralement pourvu. Il y a dix ans seulement, une lettre de vous m’apprit que notre fille était morte. Hélas! plût à Dieu qu’elle fût morte, alors… j’aurais ignoré l’incurable douleur qui va désormais désespérer ma vie.

– Maintenant, dit Sarah d’une voix faible, je ne m’étonne plus de l’aversion que je vous ai inspirée depuis que vous avez lu cette lettre… Je le sens, je ne survivrai pas à ce dernier coup. Eh bien! oui… l’orgueil et l’ambition m’ont perdue! Sous une apparence passionnée je cachais un cœur glacé, j’affectais le dévouement, la franchise; je n’étais que dissimulation et égoïsme. Ne sachant pas combien vous avez le droit de me mépriser, de me haïr, mes folles espérances étaient revenues plus ardentes que jamais. Depuis qu’un double veuvage nous rendait libres tous deux, j’avais repris une nouvelle créance à cette prédiction qui me promettait une couronne, et lorsque le hasard m’a fait retrouver ma fille, il m’a semblé voir dans cette fortune inespérée une volonté providentielle!… Oui, j’allai jusqu’à croire que votre aversion pour moi céderait à votre amour pour votre enfant… et que vous me donneriez votre main afin de lui rendre le rang qui lui était dû…

– Eh bien! que votre exécrable ambition soit donc satisfaite et punie! Oui, malgré l’horreur que vous m’inspirez; oui, par attachement, que dis-je? par respect pour les affreux malheurs de mon enfant, j’aurais… quoique décidé à vivre ensuite séparé de vous… j’aurais, par un mariage qui eût légitimé la naissance de notre fille, rendu sa position aussi éclatante, aussi haute qu’elle avait été misérable!

– Je ne m’étais donc pas trompée!… Malheur!… Malheur!… il est trop tard!…

– Oh! je le sais! ce n’est pas la mort de votre fille que vous pleurez, c’est la perte de ce rang que vous avez poursuivi avec une inflexible opiniâtreté!… Eh bien! que ces regrets infâmes soient votre dernier châtiment!…

– Le dernier… car je n’y survivrai pas…

– Mais avant de mourir vous saurez… quelle a été l’existence de votre fille depuis que vous l’avez abandonnée.

– Pauvre enfant! bien misérable, peut-être…

– Vous souvenez-vous, reprit Rodolphe avec un calme effrayant, vous souvenez-vous de cette nuit où vous et votre frère vous m’avez suivi dans un repaire de la Cité?

– Je m’en souviens; mais pourquoi cette question?… votre regard me glace.

– En venant dans ce repaire, vous avez vu, n’est-ce pas, au coin de ces rues ignobles, de… malheureuses créatures… qui… mais non… non… Je n’ose pas, dit Rodolphe en cachant son visage dans ses mains, je n’ose pas… mes paroles m’épouvantent.