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Je n’aurais pas, monsieur, de nouveau soulevé ces questions sans les réclamations que je viens de signaler; l’extrême bienveillance dont elles étaient empreintes, l’autorité morale que leur donnaient le caractère et la position des personnes qui ont bien voulu me les adresser, motivaient cette réponse, ou plutôt cette preuve de déférence, toujours et seulement due à une critique loyale, intelligente et sérieuse… C’est pour cela qu’il ne me convient pas de répondre aux attaques dont les Mystères de Paris ont été hier l’objet à la tribune de la chambre des députés.

Permettez-moi, monsieur, de le répéter encore en terminant cette lettre: Oui, il est d’utiles, de grandes, d’importantes réformes à introduire dans certaines parties de la législation; et pour revenir au sujet précédent:

Le jugement de police correctionnelle qui condamnerait un homme accusé de violences graves envers sa femme ne pourrait-il pas, À LA DEMANDE DE LA FEMME DONT LA PAUVRETÉ SERAIT CONSTATÉE, ENTRAÎNER VIRTUELLEMENT ET SANS FRAIS LA SÉPARATION DE CORPS?

Je livre cette proposition à l’examen des gens spéciaux.

Veuillez agréer, monsieur, l’assurance, etc.

EUGÈNE SUE.

Paris, le 13 juin.

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AU MÊME.

Monsieur,

Je reçois d’un haut fonctionnaire diplomatique français en Piémont la note suivante, qu’il me fait l’honneur de m’adresser au sujet de l’institution de l’AVOCAT DES PAUVRES. Cette belle institution, fondée en Piémont depuis plusieurs siècles, permet aux indigents d’intenter SANS FRAIS OU DROITS RÉGALIENS TOUTE ESPÈCE D’ACTION JUDICIAIRE TANT AU CIVIL QU’AU CRIMINEL.

Ainsi que je l’ai fait remarquer dans la première de ces notes, cette même législation si charitable et si réellement libérale et démocratique existe en Hollande, dans le duché de Modène et dans la plupart des légations.

Est-il permis d’espérer qu’un jour la chambre des députés, à qui toute initiative appartient, comprendra qu’il est au moins étrange qu’en France les classes pauvres et ouvrières soient incomparablement moins bien traitées que dans les États si souvent appelés DESPOTIQUES?

Il est du moins consolant de constater que des souverains en qui réside la toute-puissance veillent si paternellement, si pieusement aux intérêts des malheureux. En raison même du pouvoir presque absolu dont ils jouissent, ce sont ces princes que l’on doit personnellement glorifier, au nom de l’humanité, d’avoir maintenu ou fondé des institutions si généreuses.

Voici la note sur l’INSTITUTION DE L’AVOCAT DES PAUVRES, qui vous semblera, je l’espère, monsieur, digne d’un vif intérêt:

«L’institution d’un magistrat chargé, aux frais du gouvernement, de la défense des pauvres, tant au civil qu’au criminel, est très-ancienne dans les États de Piémont et de Savoie. On a, à ce sujet, une constitution du duc Amédée VIII, qui remonte au quatorzième siècle.

«Voici comment ce service est maintenant organisé:

«Il y a auprès de chaque sénat du royaume (Turin, Chambéry, Nice, Gênes et Casale) un bureau des pauvres qui se compose:

«1° D’un AVOCAT DES PAUVRES qui très-souvent a le grade de sénateur, avec un nombre proportionné de substituts, selon l’étendue de la juridiction du sénat: ces substituts sont tous avocats, ils font partie de la magistrature et passent ensuite à des places plus éminentes;

«2° D’un AVOUÉ DES PAUVRES assisté d’un certain nombre de substituts;

«3° De quelques secrétaires occupés de la tenue des registres.

«Le bureau des pauvres est d’abord chargé de la défense de tous les criminels; il a le privilège d’intervenir dans les procès qui se jugent par défaut; cependant il ne se sert que rarement de ce droit, et dans des cas extraordinaires: car autrement il y aurait lésion de la justice, et ce serait autoriser tous les prévenus à se soustraire aux mesures générales d’arrestation provisoire.

«L’avocat des pauvres intervient aux visites des prisons, qui sont prescrites deux fois par an au sénat.

«Le sénat se réunit dans une salle des prisons, assisté de l’avocat général, du greffier, etc., et là il entend toutes les réclamations des détenus; l’AVOCAT DES PAUVRES est autorisé à les appuyer et à les soutenir, s’il les juge raisonnables.

«Les prévenus ne peuvent pas refuser le patronage de l’avocat des pauvres. Le gouvernement a dicté cette mesure dans l’intérêt des prévenus, voulant qu’ils soient défendus et bien défendus. Maintenant ils sont libres d’associer à leur défense un autre jurisconsulte.

«Dans les affaires civiles, la partie qui veut être admise au BÉNÉFICE DES PAUVRES présente une requête au président du tribunal dans le ressort duquel elle veut intenter son action? cette requête est communiquée à l’avocat des pauvres, qui rend ses conclusions pour l’admission ou pour le rejet.

«Les conditions d’admissibilité sont: 1° L’INDIGENCE; elle est attestée par un certificat du maire ou de deux conseillers de la commune, légalisé par le juge de paix, qui est obligé de prendre des informations particulières, et d’attester qu’elle résulte de la vérité de ce qui est exprimé dans le certificat; 2° que l’action que veulent intenter les pauvres soit fondée en droit. Sur ce point, la plus grande circonspection est recommandée aux avocats des pauvres, afin que ce qui est un bénéfice pour les uns ne devienne pas un moyen de vexation pour les autres.

«Une fois qu’on est admis au bénéfice des pauvres, il n’y a plus aucuns frais à faire; l’administration de l’enregistrement délivre du papier timbré à débit (A DEBITO). Tous les fonctionnaires publics, compris les notaires, sont obligés de délivrer à l’avocat des pauvres tous les actes qu’il requiert, sauf répétition en cas de succès.

«Si l’affaire doit se plaider dans la ville de la résidence du sénat, par-devant quelque tribunal que ce soit, l’avocat des pauvres instruit et discute lui-même l’affaire; si c’est dans la province, le président du tribunal délègue un avocat et un procureur pour faire les fonctions du bureau des pauvres.

«Dans les procès qui concernent les pauvres, les tribunaux sont autorisés à abréger les délais.

«L’avocat des pauvres, outre son traitement fixe (5,000 francs), perçoit en répétition ses honoraires comme tout autre avocat, en cas de condamnation de la partie adverse aux dépens.

«Quelques clients de mauvaise foi s’étaient permis de transiger sur les frais, et de donner quittance moyennant la moitié ou un quart. La jurisprudence des tribunaux a paré à cet abus indigne, en déclarant que le montant des frais était une créance particulière du bureau des pauvres, qui seul peut libérer le débiteur. Cette jurisprudence, désormais établie, était nécessaire dans l’intérêt du fisc, qui fait l’avance de tous les frais, et nécessaire aussi dans l’intérêt de tous les fonctionnaires publics, qui délivrent copie de leurs actes.

«Pour assister le bureau des pauvres, tous les stagiaires y sont attachés pendant un an. Ceux qui aspirent à entrer dans la magistrature y restent ordinairement pendant plusieurs années, et ils y trouvent l’avantage de voir passer sous leurs yeux grand nombre d’affaires dont autrement ils ignoreraient.