«Tous les règlements qui concernent le bureau des pauvres se trouvent dans les anciennes constitutions du Piémont. Probablement elles seront reproduites, à quelques modifications près, dans le nouveau code de procédure dont on s’occupe.»
Puisse, monsieur, ce nouvel exemple de justice et du charité, emprunté au code PIÉMONTAIS, non moins admirable en cela que le code HOLLANDAIS, inspirer enfin à quelqu’un de nos législateurs la pensée de soulever devant le pays cette grave question… cette question vitale pour les classes pauvres!
EUGÈNE SUE.
Paris, 30 juin.
La lettre suivante, d’un de MM. les magistrats du parquet de Toulouse, a été adressée à M. Eugène Sue, au sujet des Mystères de Paris.
Toulouse, le 7 août 1845.
«Monsieur,
«Dans le chapitre II de la 8e partie des Mystères de Paris, vous tracez le plan d’une banque destinée à prêter, sans intérêt, à des ouvriers sans travail. Je crois devoir vous faire connaître qu’une institution de ce genre existe déjà à Toulouse, sous le titre de Société de prêt charitable et gratuit, où elle a été autorisée par une ordonnance du roi du 27 août 1828. Fondée par des personnes bienfaisantes, qui ont contribué à son établissement par une souscription de 600 fr. au moins, elle prête sans intérêt et sur gage à des ouvriers d’une moralité reconnue, jusqu’à concurrence de la somme de 300 fr. L’administration municipale a contribué à cette bonne œuvre en affectant dans l’Hôtel-de-Ville un local pour le service de ses bureaux et lui allouant un secours annuel de 1,000 fr. pour ses frais d’administration. Quoique ses moyens d’action ne soient pas aussi étendus qu’on pourrait le désirer, elle contribue toutefois à arracher quelques victimes à la rapacité des usuriers.
«Mais si les ravages de l’usure sont diminués dans la ville de Toulouse par cette institution charitable, sa population pauvre n’en ressent pas moins les tristes conséquences de l’élévation des frais de justice, et de l’impossibilité où se trouve l’indigent d’avoir recours aux tribunaux. Ces inconvénients, que vous avez fait ressortir avec tant de force dans une autre partie de votre ouvrage, appellent hautement une réforme, et nul n’en sent plus l’indispensable nécessité que les magistrats du parquet, appelés trop souvent à être sur ce point les témoins de la douleur de l’indigent, à qui ils ne peuvent offrir que de stériles conseils. Attaché à ces fonctions depuis treize années, combien de fois j’ai appelé de mes vœux une loi qui permît aux pauvres l’accès gratuit des tribunaux! Cependant notre législation n’est pas complètement muette à cet égard: l’article 75 de la loi du 25 mars 1817 autorise le procureur du roi à poursuivre d’office, sans droits de timbre et d’enregistrement, les rectifications et réparations d’omissions, dans les registres de l’étal civil, d’actes qui intéressent les individus notoirement indigents, et cette disposition, que la mauvaise tenue de ces registres dans les campagnes rend d’une application fréquente, épargne à bien des pauvres gens, qui en usent le plus souvent au moment de contracter mariage, c’est-à-dire dans une époque où leurs faibles ressources doivent pourvoir à de nombreuses dépenses, leur épargne, dis-je, les frais d’une procédure qui ne coûterait pas moins de 50 à 60 fr.
«Sans doute on doit se féliciter d’une semblable disposition; mais ne serait-il pas juste qu’elle fût étendue à d’autres cas non moins urgents? Sur ce point on peut citer, indépendamment des exemples pris chez divers peuples d’Italie et que vous avez fait connaître dans le Journal des Débats, la législation des Pays-Bas: elle se trouve consignée pour ce pays dans divers lois et arrêtés de 1814,1815 et 1824, qu’on trouve rapportés dans le Répertoire de Jurisprudence de Merlin (v° Pauvres, tome XVII, 4e édit.). Il en résulte que les indigents qui justifient de leur position sont admis à plaider dans tous les tribunaux, soit en demandant, soit en défendant, avec exemption des droits de timbre, d’enregistrement, du greffe, d’expédition, et d’honoraires d’avoués et d’huissiers. Ces droits sont toutefois acquittés par la partie qui perd son procès, si elle n’est pas indigente; ainsi la perte pour le fisc n’est pas absolue dans tous les cas.
«Combien il serait à désirer que la France, dont la législation a servi de modèle à ses voisins sur tant de points, leur empruntât à son tour une si philanthropique institution. Par là se trouverait anéanti un des griefs que le peuple exprime avec le plus d’amertume contre l’ordre de choses existant: par là les magistrats ne se verraient pas trop souvent forcés de refuser à un justiciable la justice qu’il réclame et qui lui est due.
«Continuez, monsieur, à faire servir votre voix puissante à signaler d’aussi déplorables lacunes dans notre législation: il est impossible qu’elle ne soit pas enfin entendue de nos législateurs.
«Veuillez agréer, monsieur, l’assurance de ma haute considération.
Fin Des Mystères De Paris.
(1842 – 1843)
[1] Le lecteur sait que Sarah croyait encore Fleur-de-Marie enfermée à Saint-Lazare, d’après ce que la Chouette avait dit avant de la frapper.
[2] Le lecteur n’a pas oublié que la Chouette, un moment avant de frapper Sarah croyait et lui avait dit que la Goualeuse était encore à Saint-Lazare, ignorant que le jour même Jacques Ferrand l’avait fait conduire à l’île du Ravageur par Mme Séraphin.
[3] Celle de retrouver les traces de Germain, fils de Mme Georges.
[4]Nam plerumque in septima die hominem consumit (Arétée). Voir aussi la traduction de Baldassar, (Cas. med. lib. III, Salacitas nitro curata.) Voir aussi les admirables pages d’Ambroise Paré sur le satyriasis, cette étrange et effrayante maladie qui ressemble tant, dit-il, à un châtiment de Dieu.
[5] «Emporté par son sujet, l’imagination égarée par huit ans de méditations continues sur un jour si horrible pour un croyant, Michel-Ange, élevé à la dignité de prédicateur, et ne songeant plus qu’à son salut, a voulu punir de la manière la plus frappante le vice alors le plus à la mode. L’horreur de ce supplice me semble arriver au vrai sublime du genre.» Stendhal, Histoire de la peinture en Italie.
[6] Le nom que j’ai l’honneur de porter, et que mon père, mon grand-père, mon grand-oncle et mon bisaïeul (l’un des hommes les plus érudits du dix-septième siècle) ont rendu célèbre par de beaux et de grands travaux pratiques et théoriques sur toutes les branches de l’art de guérir, m’interdirait la moindre attaque ou allusion irréfléchie à propos des médecins, lors même que la gravité du sujet que je traite et la juste et immense célébrité de l’école médicale française ne s’y opposeraient pas; dans la création du docteur Griffon j’ai seulement voulu personnifier un de ces hommes respectables d’ailleurs, mais qui peuvent se laisser quelquefois entraîner par la passion de l’art, des expériences, à de graves abus de pouvoir médical, s’il est permis de s’exprimer ainsi, oubliant qu’il est quelque chose encore de plus sacré que la science: l’humanité.