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— Je sais. Je l’ai aperçu, au tournoi de la Main. Je mourais d’envie d’aller lui parler, mais je n’ai rien trouvé à lui dire dans ma cervelle. » Il eut un accès de tremblote sous son long manteau mauve détrempé. « Tu t’y trouvais, à ce tournoi, toi ? J’y ai vu ta sœur. Ser Loras Tyrell lui donna une rose.

— Elle me l’a dit. » Tout cela semblait tellement lointain. « Son amie Jeyne Poole y était tombée amoureuse de ton lord Béric.

— Il est engagé à ma tante. » Une expression de malaise affecta sa physionomie. « Mais c’était avant, ça. Avant qu’il… »

…meure ? songea-t-elle, tandis que la voix de Ned s’effilochait vers un silence timoré. Les sabots de leurs chevaux s’arrachaient de la glaise avec des bruits dégoûtants de succion.

« Madame ? reprit Ned enfin. Vous avez bien un frère illégitime, n’est-ce pas…, Jon Snow ?

— Il est à la Garde de Nuit, sur le Mur. » Peut-être devrais-je me rendre au Mur plutôt qu’à Vivesaigues. Jon s’en ficherait éperdument, lui, qui j’ai tué, ou si je me suis brossé les cheveux… « Jon me ressemble, tout bâtard qu’il est. Il m’ébouriffait les cheveux et m’appelait “sœurette”. » Jon lui manquait plus que tout au monde. Le seul fait d’avoir prononcé son nom lui chavira le cœur. « Comment connais-tu son existence ?

— Il est mon frère de lait.

— Frère ? » Elle n’y comprenait rien. « Mais tu es de Dorne. Comment pourriez-vous être du même sang, toi et Jon ?

— Frères de lait. Pas de sang. Madame ma mère n’ayant pas de lait, quand j’étais petit, c’est Wylla qui a dû me donner le sein. »

Arya s’y perdait. « C’est qui, Wylla ?

— La mère de Jon Snow. Il ne t’a jamais dit ? Elle est restée à notre service pendant des années et des années. Elle s’y trouvait dès avant ma propre naissance.

— Jon n’a jamais connu sa mère. Même pas son nom. » Elle lui jeta un regard rétif. « Tu la connais, toi ? Vraiment ? » Serait-il en train de se moquer de moi ? « Si tu mens, je te casse la figure.

— Wylla était ma nourrice, maintint-il d’un ton solennel. Je le jure, sur l’honneur de ma maison.

— Tu as une maison ? » Une question stupide. Puisqu’il était écuyer, naturellement qu’il avait une maison. « Qui es-tu donc ?

— Madame ? » Il prit un air embarrassé. « Je suis Edric Dayne, le… – le sire des Météores. »

Dans leur dos, Gendry poussa un grognement. « Des beaux sires et des gentes dames ! » s’exclama-t-il d’un ton écœuré. Arya rafla au vol sur une branche basse une pomme sauvage toute racornie et l’en bombarda. Le fruit rebondit sur son mufle épais de taureau. « Aïe! cria-t-il, fait mal… » Il tâta sa pommette. « Quel genre t’es de gente dame pour lancer comme ça des pommes à la tête des gens ?

— Le vilain genre », dit-elle, soudain contrite. Et, s’adressant de nouveau à Ned : « Je suis navrée de n’avoir pas su qui vous étiez, messire.

— La faute en est à moi, madame. » Il était extrêmement poli.

Jon a une mère. Une mère qui s’appelle Wylla. Il fallait à tout prix qu’elle se rappelle, Wylla, pour pouvoir lui dire, la prochaine fois qu’elle le verrait. L’appellerait-il toujours « sœurette », au fait ? Je ne suis plus si petite que ça. Il faudrait qu’il me trouve quelque chose d’autre. Une fois rendue à Vivesaigues, elle n’aurait peut-être qu’à lui écrire une lettre pour l’aviser des propos tenus par Ned Dayne. « Dayne…, mais il y a eu un Arthur Dayne, se souvint-elle en sursaut. Celui que l’on surnommait “l’Epée du Matin”.

— Mon père était le frère aîné de ser Arthur. Lady Ashara était ma tante. Mais je ne l’ai pas connue. Je n’étais pas né quand elle s’est précipitée dans la mer du haut de la Sabrecaux.

— Pourquoi a-t-elle fait une chose pareille ? » dit Arya, suffoquée.

Il parut hésitant. Peut-être craignait-il qu’elle ne lui jette quelque chose à la tête aussi. « Messire votre père ne vous a jamais parlé d’elle ? demanda-t-il. Lady Ashara Dayne, des Météores, non ?

— Non. Il la connaissait ?

— Robert n’était pas encore roi. Elle a rencontré votre père et ses frères à Harrenhal, l’année du printemps fallacieux.

— Ah. » Tout ce qu’elle trouva à dire. « Mais pourquoi sauter dans la mer ?

— Elle avait le cœur brisé. »

Là, Sansa se serait fendue d’un gros soupir et d’une larme en l’honneur du véritable amour, mais Arya jugea ça tout bonnement stupide. Il était toutefois malséant de le dire à Ned, puisqu’il s’agissait de sa propre tante. « Quelqu’un le lui avait brisé ? »

Il renâcla. « Ce n’est peut-être pas à moi de…

— Parle. »

Il lui lança un coup d’œil gêné. « D’après Tante Allyria, votre père et lady Ashara s’étaient épris l’un de l’autre, à Harrenhal, et…

— Cela n’est pas. Il aimait madame ma mère.

— J’en suis persuadé, madame, et cependant…

— Elle est la seule qu’il ait aimée.

— C’est sous une feuille de chou qu’il a dû se trouver ce bâtard, alors », commenta Gendry derrière eux.

Que n’avait-elle une autre pomme pour l’assommer… ! « Mon père avait de l’honneur, répliqua-t-elle avec colère. Et puis d’abord nous ne te parlions pas. Pourquoi ne pas plutôt retourner à Pierremoûtier sonner les stupides cloches de cette fille ? »

Gendry dédaigna la pointe. « Au moins ton père, lui, il a élevé son bâtard, c’est pas comme le mien. Je sais même pas le nom de mon père. Un poivrot puant, je parie, comme les autres que ma mère ramenait du boui-boui chez nous. Chaque fois qu’elle entrait en rogne avec moi, le refrain, c’était : “Si ton père était la, tu verrais la trempe qu’il te filerait”. Voilà tout ce que je sais de lui. » Il cracha. « Eh bien, tiens, moi, il serait là, maintenant, ben, c’est peut-être lui qui la prendrait, sa trempe. Mais il est mort, je suppose, et comme ton père est mort lui aussi, qu’est-ce que ça peut foutre, qui a couché avec ? »

Ça faisait beaucoup, pour Arya, tout incapable qu’elle aurait été d’expliquer pourquoi. En la voyant bouleversée, Ned se confondit en excuses, mais elle n’eut pas envie de les subir et, piquant des deux, les planta là, lui et Gendry. Anguy l’Archer chevauchait pas très loin devant. Une fois à sa hauteur, elle demanda : « C’est menteur, les Dorniens, non ?

— Ils sont célèbres pour cela. » Il eut un large sourire. « De nous, les Marchiens, ils disent évidemment la même chose, et pourtant te voilà. Qu’est-ce qui te tracasse, à présent ? Ned est un bon gosse…

— Il n’est qu’un stupide menteur. » Au mépris des clameurs que poussaient les brigands derrière elle, Arya quitta le sentier, sauta un tronc pourri, franchit un ruisseau dans des gerbes d’éclaboussures. Ils veulent juste me débiter de nouveaux mensonges, et c’est tout. Elle fut tentée d’essayer de leur fausser compagnie, mais ils étaient trop nombreux, et ils connaissaient trop bien la région. A quoi bon s’enfuir, si c’était pour se faire finalement rattraper ?

C’est Harwin qui, finalement, se porta près d’elle. « Où comptez-vous aller, madame ? Vous ne devriez pas filer comme ça. Il y a des loups, dans ces bois, et des choses pires.

— Je n’ai pas peur, fit-elle. Ce mioche de Ned prétend…

— Il m’a dit ça, ouais. Lady Ashara Dayne. C’est une vieille histoire, ça. Je l’ai entendu conter moi-même à Winterfell, dans le temps, quand je n’étais pas plus âgé que vous. » Il empoigna fermement la bride et fit faire demi-tour au cheval. « Je la crois dépourvue du moindre fondement. Mais en aurait-elle un, et alors ? Quand Ned rencontra cette dame dornienne, Brandon, son frère, était encore en vie, et c’était lui, le promis de lady Catelyn, si bien que rien n’entache là l’honneur de votre père. Il n’y a rien de tel qu’un tournoi pour vous échauffer le sang ; alors, il se peut qu’une nuit, sous la tente, aient été chuchotées certaines paroles, qui sait ? Des paroles et des baisers, voire davantage, mais quel mal y a-t-il à cela ? Le printemps était arrivé, du moins le croyaient-ils, et aucun des deux n’avait encore engagé sa foi.