Les propos qu’il tenait battaient les tympans d’Arya comme des martèlements de tambour et, brusquement, c’en fut plus qu’elle ne pouvait supporter. Elle voulait Vivesaigues, pas La Glandée, elle voulait sa mère et son frère Robb, pas lady Petibois ou un oncle qu’elle n’avait jamais vu. En trombe, elle se rua vers la porte et, lorsque Harwin essaya d’agripper son bras, elle l’esquiva d’une pirouette, preste comme un serpent.
Dehors, la pluie s’acharnait, de lointains éclairs zébraient l’ouest. Arya courait de toutes ses forces. Elle ignorait où elle allait, elle ne savait qu’une chose, c’est qu’elle avait envie d’être seule, au diable de toutes ces voix, au diable de leurs mots creux, de leurs promesses bafouées. Je ne voulais rien d’autre, moi, qu’aller à Vivesaigues. Mais c’était sa faute, aussi, sa faute à elle, jamais elle n’aurait dû emmener d’Harrenhal Tourte-chaude et Gendry. Elle se serait bien mieux débrouillée, toute seule. Si elle avait été toute seule, jamais les brigands ne l’auraient capturée, et elle serait à présent avec Robb et avec sa mère. Ils n’ont jamais été ma meute. S’ils l’avaient été, jamais ils ne m’auraient abandonnée. Elle pataugea au galop dans une mare d’eau boueuse. Il y avait quelqu’un qui gueulait son nom, Harwin sans doute, ou bien Gendry, mais le tonnerre noya tout en roulant à travers les monts, moins d’une seconde après un éclair. Le seigneur la Foudre ! songea-t-elle avec rage. Peut-être bien qu’il ne pouvait mourir, mais mentir, ça, il savait le faire.
Quelque part sur sa gauche, un cheval hennit. Elle ne devait pas se trouver à plus de cent pas des étables, et elle était déjà trempée jusqu’à l’os. Elle tourna vivement le coin de l’une des maisons en ruine, dans l’espoir que les murs moussus la protégeraient de la pluie, et elle faillit bouler droit dans l’une des sentinelles. Une main tapissée de maille se referma durement sur son bras.
« Vous me faites mal ! protesta-t-elle en se tortillant dans l’étau. Lâchez-moi, j’allais revenir, je…
— Revenir ?» Le rire de Sandor Clegane était aussi grinçant que le fer sous la pierre. « T’en foutrai, fille loup ! A moi que tu reviens… » Il n’eut besoin que d’une main pour l’arracher de terre et l’emporter, ruant des quatre fers, en direction de sa monture. La pluie glacée qui les cinglait tous deux noyait les cris d’Arya qui, dans sa cervelle, ne trouva rien d’autre que la question qu’il lui avait posée naguère : Tu sais, les chiens, ce qu’ils font aux loups ?
JAIME
Malgré l’opiniâtreté de la fièvre à se cramponner, le moignon se cicatrisait proprement, et Qyburn prétendait que le bras ne courait plus aucun danger. Jaime n’aspirait à rien tant qu’à voir des lieues et des lieues rejeter loin derrière Harrenhal et les Pitres Sanglants et Brienne de Torth. Au Donjon Rouge, une femme, une vraie, se languissait de lui.
— Je vous fais accompagner par Qyburn, expliqua Roose Bolton le matin du départ, afin qu’il veille constamment sur vous jusqu’à Port-Réal. Son plus cher espoir est qu’en témoignage de gratitude votre père obligera la Citadelle à lui restituer sa chaîne.
— Des plus chers espoirs, nous en avons tous. S’il me repousse une main, mon père le fera Grand Mestre. »
Walton Jarret-d’acier commandait l’escorte ; abrupt, brusque et brutal, simple soldat jusqu’au trognon. Son service avait conduit Jaime à pratiquer depuis toujours cet acabit-là. Les pareils de Walton tuaient au doigt et à l’œil, violaient après que la bataille avait mis leur sang en ébullition, pillaient partout où c’était possible et puis, la guerre achevée, chacun regagnait son petit chez-soi, troquait la pique contre la houe, se mariait avec la fille du voisin, élevait sa tripotée de braillards merdeux. Ils obéissent sans poser de questions, mais la perversité, le sadisme insondables des Braves Compaings leur étaient foncièrement étrangers.
Deux troupes quittaient Harrenhal de conserve ce matin-là, sous un ciel gris et froid qui promettait la pluie. Ser Aenys Frey l’ayant précédé de trois jours pour gagner la route Royale au nord-est, Bolton entendait lui emboîter le pas dès à présent. « Le Trident est en crue, dit-il à Jaime. Même au gué des rubis, sa traversée sera difficile. Vous voudrez bien transmettre à votre père mes chaleureuses salutations, n’est-ce pas ?
— Dans la mesure où vous transmettrez les miennes à Robb Stark.
— Je n’y manquerai pas. »
Une poignée de Braves Compaings s’étaient regroupés dans la cour pour assister à leur départ. Jaime trotta jusqu’à eux. « Zollo. Trop aimable à toi de t’être dérangé. Pyg. Timeon. Vais-je vous manquer ? Pas de dernière blague à m’offrir, le Louf ? Pour m’illuminer le trajet ? Et toi, Rorge, c’est un baiser d’adieu que tu veux me donner ?
— Va te faire foutre, estropié, fit Rorge.
— Si tu insistes. Mais, rassure-toi, je reviendrai. Un Lannister paie toujours ses dettes. » Il fit volter son cheval et rejoignit Walton Jarret-d’acier qui patientait avec ses deux cents hommes.
Préférant ignorer la main disparue qui rendait burlesque un équipage aussi martial, Roose Bolton l’avait accoutré en chevalier. Flamberge et dague au ceinturon, heaume et bouclier suspendus à la selle, Jaime allait revêtu de maille et d’un surcot brun sombre. De là à afficher sur ses armes le lion Lannister ou, quelque droit qu’il y eût en sa qualité de frère juré, les neiges immaculées de la Garde, pas si fou. Il s’était déniché dans l’armurerie une vieillerie cabossée, balafrée d’écu dont la peinture écaillée laissait encore discerner la grande chauve-souris noire sur champ or et argent de la maison Lothston. Prédécesseurs des Whent à Harrenhal, les Lothston avaient été en leur temps de puissants seigneurs, mais il y avait tant de lustres que leur lignée s’était éteinte qu’usurper leurs armes n’exposait guère aux objections. Sous leur couvert, il ne serait le cousin de personne, l’ennemi de personne, l’épée lige de personne…, personne, en un mot.
Ils sortirent d’Harrenhal par la petite poterne de l’est et ne prirent définitivement congé de Roose Bolton et de son armée que six milles au-delà, pour suivre en direction du sud un bout du chemin qui longeait le lac. Walton avait l’intention d’éviter par prudence aussi longtemps que possible la route Royale et de privilégier les pistes rustiques et autres sentes à gibier.
« La grand-route serait plus rapide. » Jaime brûlait de retrouver Cersei le plus tôt possible. A condition qu’on se dépêche, il lui serait même possible d’arriver à temps pour assister aux noces de Joffrey.
« J’ veux pas d’ennuis, lui opposa Jarret-d’acier. Y a que les dieux qui savent sur quoi on tomberait le long de la route Royale.
— Personne que vous ayez à redouter, sans doute ? Vous avez deux cents hommes…
— Ouais. Mais les autres pourraient avoir plus. M’sire a dit de vous rapporter sain et sauf à votre seigneur père, et c’est ce que je compte faire. »
Je suis déjà passé par là, se dit Jaime quelques lieues plus loin, comme on dépassait un moulin désert près du lac. L’herbe folle occupait désormais les lieux où, jadis, lui avait timidement souri la fille du meunier, tandis que le père lui criait : « Le tournoi, vous y tournez le dos, ser ! » Comme si je ne l’avais pas su…