Выбрать главу

Non, répliqua-t-il en son for. Le Mur protège le royaume. Contre les Autres… et aussi contre toi-même et contre ton engeance, ma chère âme. « Un autre de mes amis rêvait de dragons. Un nain. Il m’a raconté qu’il…

— JON SNOW ! » L’un des Thenns les toisait d’un air renfrogné. « Magnar veut. » Jon crut reconnaître en lui celui-là même qu’on lui avait dépêché pour lui faire regagner la grotte, la veille de l’escalade du Mur, mais il n’aurait juré de rien. Il se releva. Ygrid lui emboîta le pas, ce qui avait le don d’horripiler Styr, et ce d’autant plus qu’elle le rembarrait vertement, pour peu qu’il essayât de la congédier, en rappelant qu’étant une femme du peuple libre, et pas une agenouillée, elle allait et venait à sa guise.

Ils trouvèrent le Magnar campé sous l’arbre qui usurpait l’ancienne salle commune. Epées de bronze et piques de bois encerclaient son captif, à genoux devant le foyer. Sans mot dire, il fixa Jon qui s’approchait. La pluie ruisselait le long des murs et tambourinait sur le peu de feuillage encore accroché au pommier, le feu fumait à gros tourbillons.

« Faut qu’il meure, décréta Styr le Magnar. Tue-le, corbac. »

Le vieillard n’ouvrit pas la bouche. Il se contenta de dévisager Jon, debout, là, parmi les sauvageons. Eu égard à la pluie, la fumée, l’éclairage chiche du feu, il pouvait ne pas s’être aperçu que Jon était, exception faite du manteau en peau de mouton, entièrement vêtu de noir. S’en est-il aperçu quand même ?

Jon dégaina Grand-Griffe. La pluie pourlécha l’acier, et le reflet du feu fit courir sur le fil une sinistre lueur orange. Un feu si chétif, le payer de sa vie… Le souvenir l’assaillit des paroles prononcées par Qhorin Mimain tandis que chacun scrutait le halo du feu allumé là-haut, dans le col Museux. Le feu, c’est la vie, là-haut, leur avait-il dit, mais ça peut être aussi la mort. Seulement, cela se passait au fin fond des Crocgivre, au-delà du Mur, en plein désert d’une sauvagerie sans foi ni loi. Ici, c’était le Don, le Don placé sous la protection de la Garde de Nuit, le Don couvert par la puissance de Winterfell. Tout homme aurait dû pouvoir, ici, faire librement du feu sans risquer d’encourir la mort.

« Pourquoi tu hésites ? cracha le Magnar. Fais-le, et c’est tout. »

Même alors, le captif demeura muet. « Grâce », il aurait pu dire, ou bien : « Vous m’avez déjà pris mon cheval, mon argent et mes provisions, laissez-moi du moins conserver la vie », ou encore : « Non, par pitié, je ne vous ai rien fait. » Il aurait aussi bien pu dire mille autres choses, il aurait pu pleurer, pu invoquer ses dieux. Sauf qu’aucun mot ne l’aurait sauvé, désormais. Peut-être le savait-il. Aussi tenait-il sa langue, dardant seulement sur Jon un regard accusateur et suppliant.

Quoi qu’ils exigent, tu ne devras pas barguigner. Marche avec eux, mange avec eux, bats-toi dans leurs rangs… Mais ce pauvre vieux n’avait opposé aucune résistance. Il avait joué de malchance, un point c’est tout. Qui il était, d’où il venait, où il comptait se rendre sur sa pitoyable haridelle éreintée…, bagatelles que tout cela.

Il est vieux, s’encouragea-t-il. Dans les cinquante, et peut-être même soixante. Il a vécu plus longuement que la plupart. Les Thenns le tueront de toute manière, et j’aurai beau dire ou faire, rien ne le sauvera. Grand-Griffe se faisait plus pesante que plomb, trop pesante pour qu’il la soulève. L’homme persistait à darder sur lui des yeux aussi vastes et noirs qu’un puits. Je vais tomber dans ces yeux-là et m’y noyer. Ceux du Magnar ne le lâchaient pas davantage, avec une défiance quasi palpable. Cet homme est un homme mort. Qu’importe si c’est de ma propre main qu’il périt ? Un coup, un seul, et l’affaire serait réglée, vite et proprement. Grand-Griffe était en acier valyrien. Comme Glace. Jon se ressouvint d’une autre exécution ; le déserteur agenouillé, sa tête roulant, la neige empourprée…, l’épée de Père, les propos de Père, la physionomie de Père…

« Fais-le, Jon Snow, le pressa Ygrid. Tu dois. Pour prouver que t’es pas corbac mais un homme du peuple libre.

— Un vieux, peinard, au coin du feu ?

— Orell aussi était peinard au coin du feu. T’as pas tardé à le tuer. » Son regard se durcit brusquement. « Même que tu voulais me tuer aussi. Avant de voir que je suis une femme. Quoique je dormais.

— C’était différent. Vous étiez des soldats… des sentinelles.

— Mouais, et vous autres, corbacs, vous vouliez pas être vus. Pas plus qu’on veut être vus, nous, maintenant. C’est tout à fait pareil. Tue-le. »

Il tourna le dos au bonhomme. « Non. »

Le Magnar s’avança sur lui, dangereux, glacial, carrure impressionnante. « Si, je dis. C’est moi qui commande, ici.

— Vous commandez les Thenns, riposta Jon, pas le peuple libre.

— Le peuple libre, j’en vois pas. Je vois qu’un corbac et une femelle corbac.

— Je suis pas une femelle corbac ! » Ygrid arracha vivement son poignard du fourreau. Trois foulées furieuses, et, empoignant le vieillard aux cheveux pour lui rejeter la tête en arrière, elle lui trancha la gorge d’une oreille à l’autre. La mort elle-même n’arracha pas un cri au captif. « T’y connais rien, Jon Snow ! » glapit-elle en lui balançant aux pieds l’arme ensanglantée.

Le Magnar dit quelque chose en vieille langue. L’ordre à ses Thenns, probablement, d’abattre Jon sur place, mais il n’eut pas le loisir d’en vérifier l’exécution. Un éclair vertical ravagea la nuit d’une incandescence bleuâtre, la foudre frappa la tour au milieu du lac avec une fureur qui empestait le soufre, et, quand éclata là-dessus le fracas du tonnerre, tous eurent l’impression que les ténèbres chancelaient.

Et la mort fut d’un bond sur eux.

Malgré la semi-cécité dont l’affectait l’éblouissement de l’éclair, Jon entr’aperçut fuser l’ombre un battement de cœur avant que n’explose le hurlement. Le premier Thenn mourut de la même mort que le vieux, le gosier béant sur des flots de sang. Puis l’illumination s’éteignit comme l’ombre, en grondant, s’esquivait par une pirouette, et, dans le noir, un nouvel homme s’affala. Des jurons retentirent, et des coups de gueule, des cris de douleur. Jon vit Gros Cloque tituber vers l’arrière et, ce faisant, flanquer par terre trois types collés dans son dos. Fantôme, songea-t-il dans un instant d’aberration, Fantôme a sauté le Mur. Mais, à la faveur d’un nouvel éclair faisant de la nuit le jour, il vit distinctement le loup juché sur le torse de Del et ses babines dégouttantes de sang noir. Gris. Il est gris.

Un coup de tonnerre, et les ténèbres se reployèrent instantanément. Les Thenns dardaient leurs piques au petit bonheur, tandis que le loup se ruait entre eux. L’odeur du carnage affola la jument du vieux qui, cabrée, se mit à labourer l’espace avec ses sabots. Grand-Griffe encore au poing, Jon comprit sur-le-champ que le sort lui offrait enfin l’occasion rêvée.

Il pourfendit son premier homme comme celui-ci pivotait pour s’en prendre au loup, culbuta un deuxième au passage, en tailla un troisième. Du fond de la démence générale, il entendit quelqu’un crier son nom, mais était-ce Ygrid ? Etait-ce le Magnar ? Il lui fut impossible de le démêler. Le Thenn qui se débattait pour maîtriser la jument ne le vit même pas. Grand-Griffe avait la légèreté d’une plume. Il en cingla par-derrière le mollet du type et la sentit s’y glisser jusqu’à l’os. La chute du sauvageon permit à la bête de détaler, mais la main libre de Jon se débrouilla pour lui agripper la crinière et, d’un bond, le hisser sur son dos. Des doigts se refermant sur sa cheville, il hacha à tours de bras et vit la face de Sabraque se dissoudre en un bain de sang. Le cheval se cabra, rua. Un Thenn écopa, crrrac, d’un sabot dans la tempe, et puis…