— Je suis colossal de partout. Et j’ai plein de frères. Le Bâtard du Titan ne boit pas tout seul, Khaleesi.
— Va pour un fourgon, si vous promettez de boire à ma santé.
— Topé ! tonitrua-t-il, et topé, topé ! Trois toasts, qu’on vous portera, et vous aurez une réponse au lever du soleil. »
Mais, après que Mero se fut retiré, Arstan Barbe-Blanche lâcha: « Celui-là… Il jouit d’une exécrable réputation, même à Westeros. Ne vous y méprenez pas, Votre Grâce. Il ne s’enverra trois toasts à votre santé cette nuit que pour mieux vous violer, le matin venu.
— Le vieux dit vrai, pour une fois, abonda ser Jorah. La compagnie des Puînés ne date pas d’hier et ne manque pas de valeur, mais elle a tourné sous Mero presque aussi mal que les Braves Compaings. C’est un individu aussi dangereux pour ses employeurs que pour ses ennemis. Sa présence ici ne s’explique pas autrement. Aucune des cités libres ne se risque plus à louer ses services.
— Ce n’est pas sa réputation que je veux, je veux ses cinq cents cavaliers. Et que diriez-vous des Corbeaux Tornade, s’il existe aucun espoir de ce côté-là ?
— Non, assena ser Jorah. Ce Prendahl est de sang ghiscari. Probable qu’il avait de la parentèle à Astapor.
— Dommage. Enfin, peut-être ne serons-nous pas forcés de nous battre. Attendons de voir ce que les Yunkaïis ont à dire. »
Le soleil déclinait quand survinrent les émissaires de Yunkaï : cinquante hommes montés sur de magnifiques coursiers noirs, plus un sur un gigantesque chameau blanc. De peur d’endommager les divers tortillages, effigies et tours bizarroïdes de leur coiffure enduite d’huile, ils portaient des heaumes deux fois plus hauts que leur tête. Leurs jupettes et tuniques de lin étaient teintes en un jaune intense, et leurs manteaux intégralement tapissés de disques de cuivre rouge.
L’homme au chameau blanc se présenta sous le nom de Grazdan mo Eraz. Maigre et dur, il arborait un sourire blanc tout à fait semblable à celui qu’arborait Kraznys jusqu’à ce que Drogon lui calcine la trogne. Effilés en défense de licorne, ses cheveux jaillissaient du front. Des dentelles dorées de Myr frangeaient son tokar. « Antique et glorieuse est Yunkaï, reine des cités, débuta-t-il lorsque Daenerys lui souhaita la bienvenue sous sa tente. Nos murs sont puissants, nos nobles farouches et fiers, intrépides nos gens du commun. Nôtre est le sang de l’ancienne Ghis, dont l’empire avait un âge vénérable quand Valyria n’en était encore qu’aux vagissements. Vous avez fait montre de sagesse en sollicitant, Khaleesi, cette séance de pourparlers. Vous ne trouverez pas ici de conquête aisée.
— Bon. Mes Immaculés se délecteront d’un brin d’escarmouche. » Elle consulta du regard Ver Gris, qui hocha du chef.
Grazdan haussa les épaules d’un air grandiose. « Si c’est du sang que vous souhaitez, que le sang coule à flots. Je me suis laissé dire que vous aviez affranchi vos eunuques. La liberté a autant de sens pour un Immaculé qu’un chapeau pour un églefin. » Il sourit à Ver Gris, mais Ver Gris réagit en statue de pierre. « Les survivants, nous les asservirons derechef, puis nous les utiliserons pour reprendre Astapor à la canaille. Vous risquez fort de finir vous-même esclave, n’en doutez point. Il est à Lys et à Tyrosh des maisons de plaisirs où les clients paieraient les yeux de la tête pour besogner la dernière des Targaryens.
— Il m’est agréable de constater que vous savez qui je suis, répondit-elle d’un ton doux.
— Je m’enorgueillis moi-même des connaissances que j’ai acquises sur cet absurde occident barbare. » Il ouvrit les mains en signe de conciliation. « Mais voyons, pourquoi devrions-nous nous parler de manière si agressive ? Il est vrai que vous avez commis des atrocités à Astapor, mais nous autres, Yunkaïis, nous sommes on ne peut plus indulgents. Les différends de Votre Grâce ne nous concernent nullement. Pourquoi dilapider vos forces contre nos puissantes murailles, alors que vous aurez besoin du moindre de vos hommes pour reconquérir le trône de votre père en ce Westeros si lointain ? Yunkaï ne vous souhaite que des succès dans cette entreprise. Et, pour vous prouver la véracité de ses vœux, je vous ai apporté un présent. » Il frappa dans ses mains, et deux de ceux qui l’escortaient s’avancèrent, ployés sous le faix d’un coffre de cèdre bardé de bronze et d’or qu’ils déposèrent devant elle. « Cinquante mille marcs d’or, fit Grazdan, mielleux. Pour vous, en témoignage de l’amitié que vous portent les Judicieux de Yunkaï. L’or donné par pure libéralité vaut sûrement mieux, n’est-ce pas, que le saccage au prix du sang ? Croyez-m’en donc, Daenerys Targaryen, prenez ce coffre et allez-vous-en. »
D’un bout de menue babouche, elle releva le couvercle du coffre. Conformément aux dires de l’émissaire, il était plein de pièces d’or. Elle en saisit une poignée, les laissa ruisseler de ses doigts, cascader, rouler, rutilantes et, pour la plupart, nouvellement frappées, portant sur une face une pyramide à degrés, sur l’autre la harpie de Ghis. « Joli. Très joli. Qui sait combien de coffres identiques je trouverai dans votre ville après l’avoir prise… »
Il émit un gloussement. « Aucun, car jamais vous ne la prendrez.
— Moi aussi, j’ai un présent pour vous. » Elle rabattit sèchement le couvercle. « Trois jours. Le matin du troisième jour, faites sortir vos esclaves. Tous vos esclaves. Chaque homme, femme, enfant aura été doté d’une arme et d’autant de vivres, d’effets, d’argent, de biens qu’il ou elle en pourra porter. Toutes choses qu’il leur sera permis de choisir en toute liberté parmi les possessions de leurs maîtres, à titre de paiement pour leurs années de servitude. Après le départ de tous les esclaves, vous ouvrirez vos portes et laisserez entrer mes Immaculés pour qu’ils fouillent la ville et s’assurent que nul n’y demeure en servage. Agissez de la sorte, et Yunkaï ne sera ni brûlée ni pillée, personne de votre peuple molesté. Les Judicieux auront la paix qu’ils désirent, et ils auront administré la preuve qu’ils sont véritablement judicieux. Qu’en dites-vous ?
— Je dis que vous êtes folle.
— Ah bon ? » Elle haussa les épaules et articula : « Dracarys. »
Les dragons répondirent. Rhaegal en sifflant et fumant, Viserion par des claquements de mâchoires, Drogon en crachant un tourbillon de flammes rouge-noir. Celles-ci touchèrent le drapé du tokar de Grazdan, dont la soie s’embrasa en moins d’un clin d’œil. Des marcs d’or s’éparpillèrent sur les tapis quand l’émissaire trébucha contre le coffre, écumant de jurons, se battant le bras jusqu’à ce qu’enfin Barbe-Blanche l’inonde avec une carafe d’eau pour étouffer le feu. « Vous aviez juré que je bénéficierais d’un sauf-conduit ! pleurnicha-t-il.
— Tous les Yunkaïis sont-ils aussi geignards pour un simple tokar roussi ? Je vous en offrirai un neuf… – si vous libérez vos esclaves d’ici trois jours. Sinon, Drogon vous câlinera de manière plus chaleureuse. » Elle vrilla son nez. « Vous vous êtes souillé. Reprenez votre or et partez. Et faites en sorte que mon message soit entendu des Judicieux. »
Grazdan mo Eraz la pointa du doigt. « Tu vas te repentir de ton arrogance, putain. Ces lézardeaux ne te sauveront pas, je te le garantis. Nous farcirons l’air de flèches s’ils viennent à moins d’une lieue de Yunkaï. Tu crois que c’est si difficile, de tuer un dragon ?
— Plus difficile que de tuer un négrier. Trois jours, Grazdan. Dites-leur. Au soir du troisième jour, je serai dans Yunkaï, que vous ouvriez vos portes ou pas. »
La nuit était tombée quand les délégués de Yunkaï quittèrent le camp. Une nuit qui promettait d’être sinistre ; sans lune, sans étoiles, et humide et froide, grâce aux bourrasques de vent d’ouest. Une nuit noire à merveille, songea Daenerys. Tout autour d’elle pétillaient des feux, menus astres orange émaillant plaines et collines. « Ser Jorah, dit-elle, convoquez-moi mes sang-coureurs. » En les attendant, elle rentra s’asseoir sur les amoncellements de coussins, parmi ses dragons. Une fois réuni tout son petit monde, elle déclara : « Une heure après minuit devrait assez bien convenir.