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Sylvio se rengorge, touché par le compliment. Il lève les yeux vers le toit de la véranda et sa charpente de poutres naturelles. Des fils de fer ont été tendus pour qu’avec le temps la vigne plantée dans le mètre non carrelé du sol de la véranda s’enroule autour.

— Vous savez, patron, je n’ai acheté qu’une ruine, il y a plus de cinq ans maintenant. Et depuis, je bricole…

— Ah ouais ? T’as fait quoi ?

— Tout…

— Non ?

— Si… c’est dans les gènes, patron, vous savez, chez les Portugais, même chez les flics. Vous comprenez, le rapport nord-sud…

Sérénac éclate de rire. Il ôte son blouson de cuir.

— Vous êtes trempé, patron.

— Ouais, putain d’enterrement normand.

— Entrez, hésitez pas, venez vous sécher.

Les deux hommes pénètrent sous la véranda. Laurenç Sérénac pose son blouson au dos d’une chaise en plastique qui manque de basculer en arrière sous le poids du vêtement. Il s’assoit sur celle d’à côté. Bénavides s’excuse presque :

— Faut reconnaître qu’un salon en plastique, c’est pas très confortable. Je l’ai récupéré chez un cousin, ça me dépanne bien, les antiquaires de la vallée de l’Eure, on verra plus tard, hein, quand je serai passé commissaire…

Il sourit et s’assoit également.

— Alors, cet enterrement ?

— Rien de particulier. La pluie… La foule. Tout Giverny était là, toutes les générations, des plus vieux aux plus jeunes. J’ai demandé à Maury de prendre des photos, on verra ce qu’on peut en tirer. Tu aurais dû venir, Sylvio, il y avait un nénuphar en granit, des fleurs dans des paniers, et même l’évêque d’Évreux. Et je te rassure, aucun Givernois en bottes. Tu vois, la très grande classe !

— En parlant de bottes, patron, j’ai vu au commissariat que Louvel coordonnait tout. On devrait pouvoir se faire une première idée demain.

— Ouais… Espérons que cela nous réduise la liste des suspects, dit Sérénac en se frottant les mains comme pour se réchauffer. Au moins, l’avantage de cet enterrement interminable, c’est que ça me donne l’occasion de faire des heures sup au domicile de mon adjoint préféré…

— Et ça tombe bien, vous n’en avez qu’un ! Je suis désolé, patron, de vous avoir demandé de venir ici, mais j’aime pas trop laisser Béatrice seule le soir.

— Je comprends, t’en fais pas. Pour terminer avec ce putain d’enterrement, Patricia, la veuve, était en larmes du début à la fin. Pour tout te dire, si elle joue la comédie, je la propose aux Césars pour les meilleurs espoirs féminins. Par contre, a priori, il n’y avait aucune maîtresse de Morval pour pleurer sur sa tombe…

— À part la maîtresse d’école, Stéphanie Dupain.

— Tu fais de l’humour ?

— Involontaire, je vous rassure…

Il baisse les yeux et esquisse un sourire discret.

— J’ai bien compris que le sujet était sensible.

— Nom de Dieu, mais c’est qu’il se lâche, mon adjoint préféré, quand il joue à domicile ! Pour te répondre, Sylvio, oui, Stéphanie Dupain assistait à l’enterrement… Et je peux bien te le dire, plus belle que jamais, ruisselante à en rendre la pluie presque agréable, mais elle n’a pas quitté les bras de son jaloux de mari.

— Faites gaffe quand même, patron.

— Merci du conseil, je suis grand, tu sais.

— Je suis sincère.

— Moi aussi.

Laurenç Sérénac, un peu gêné, tourne les yeux et inspecte la véranda : les joints des murs en brique saumon sont impeccables, les poutres entièrement décapées, les margelles de grès polies et blanchies.

— T’as vraiment tout fait toi-même, ici ?

— Je passe tous mes week-ends et mes vacances à bricoler, avec mon père. On fait ça à deux, peinards. C’est le pied.

— Putain. Tu me sidères, Sylvio. Moi, je supporte uniquement votre climat de merde parce qu’il met huit cents bornes entre ma famille et moi…

Ils rient. Sylvio roule des yeux inquiets, sans doute à cause du bruit qu’ils font.

— Bon, on s’y met ?

Laurenç étale trois photographies des maîtresses de Jérôme Morval sur la table de plastique. Sylvio en fait de même avec les deux siennes et laisse traîner un regard consterné.

— Personnellement, je ne comprends pas qu’on puisse tromper sa femme. C’est un truc qui me dépasse.

— Tu la connais depuis combien de temps, ta Béatrice ?

— Sept ans.

— Et tu l’as jamais trompée ?

— Non.

— Elle dort au-dessus, c’est ça ?

— Oui, mais ça ne change rien…

— Pourquoi tu ne l’as jamais trompée ? Ta femme est la plus belle du monde, c’est ça ? Donc t’as aucune raison d’en désirer une autre ?

Les mains de Sylvio jouent avec les photographies. Il regrette déjà d’avoir amené son supérieur sur ce terrain.

— Arrêtez, patron, je vous ai pas fait venir ici pour…

— Elle est comment, ta Béatrice ? coupe Sérénac. Elle n’est pas jolie, c’est ce que tu veux me dire ?

Sylvio pose soudain ses deux mains bien à plat sur la table.

— Mais belle ou pas belle, c’est pas la question ! C’est pas comme ça que ça marche. C’est débile de vouloir que sa femme soit la plus belle du monde ! Ça veut dire quoi, ça, c’est pas une compétition ! Une femme, il y en aura toujours quelque part une plus belle que celle avec qui vous vivez. Et puis même si vous décrochez miss Monde, miss Monde, au bout du compte, elle vieillira. Faudrait foutre dans son lit chaque année la nouvelle miss Monde, c’est ça ?

En réponse à la tirade de son adjoint, Laurenç affiche une sorte de sourire que Sylvio trouve étrange, surtout qu’il a l’air d’observer quelque chose par-dessus son épaule, en direction de la porte du couloir.

— Alors comme ça, je ne suis pas la plus belle ?

Sylvio se retourne comme si le pas de vis sur lequel était fixé son cou avait lâché et qu’il allait faire dix tours sur lui-même.

Écarlate.

Béatrice, derrière lui, semble glisser sur le carrelage de la véranda. Laurenç la trouve ravissante, même si le mot est mal choisi. Bouleversante, plutôt. Grande, brune, ses longs cheveux noirs et ses cils se mélangent devant ses yeux embrumés en un rideau protégeant les derniers rayons de sommeil. Béatrice est enroulée dans un large châle blanc crème dont les plis sur son ventre rond évoquent les courbes d’une statue antique. Sa peau de pêche semble avoir été ciselée dans la même étoffe que le châle de coton. Ses yeux pétillent d’ironie. Sérénac se demande si Béatrice est toujours aussi belle, ou bien si c’est parce qu’elle est enceinte, mère, à quelques jours près. La plénitude de la grossesse, quelque chose comme un bonheur à l’intérieur qui finit par affleurer en surface. Ce genre de truc qu’on lit dans les magazines. Sérénac se fait aussi la réflexion qu’il doit vieillir, pour avoir des idées pareilles sur les femmes ; est-ce que, il y a quelques années, il aurait trouvé sexy une femme enceinte ?

— Sylvio, fait Béatrice en prenant une chaise, tu vas me chercher un verre de jus de fruit, n’importe quoi ?

Sylvio se lève et fonce à la cuisine. Il s’est ratatiné, comme un tabouret qui a trop tourné sur lui-même. Béatrice remonte le châle sur ses épaules.

— Alors c’est vous, le fameux Laurenç Sérénac ?

— Pourquoi « fameux » ?

— Sylvio me parle beaucoup de vous. Vous… vous l’étonnez. Vous le bousculez, même. Votre prédécesseur était plus… plus classique…

La voix de Sylvio, dans la cuisine, crie :