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— Ananas, ça te va ?

— Oui !

Puis, deux secondes après :

— La bouteille est entamée ?

— Oui, d’hier.

— Alors non.

Un silence.

— Bon, je vais voir à la cave ce qu’il y a…

Sexy, la femme enceinte, mais chiante. Le châle a glissé le long de son épaule droite. Une pensée jeune, se dit Laurenç, serait de se demander si d’habitude les formes de Béatrice sont aussi voluptueuses. Elle se tourne vers Sérénac.

— Il est adorable, vous ne trouvez pas ? C’est le meilleur des hommes. Vous savez, Laurenç, je l’avais repéré depuis longtemps, mon Sylvio, je m’étais dit quelque chose comme « Celui-là, il est pour moi »…

— Mais lui n’a pas dû vous résister bien longtemps, vous êtes superbe…

— Merci.

Le châle glisse puis remonte.

— Ça me touche, un compliment, surtout venant de vous.

— Venant de moi ?

— Oui, venant de vous. Vous… vous êtes un homme qui sait regarder les femmes.

Elle dit ça avec une lueur ironique au coin de l’œil, le châle retombe, bien entendu, et après ça Laurenç n’a plus qu’à détourner les yeux et admirer le travail manuel de Sylvio et de son papa. Poutres, briques et verre.

— Je l’aime bien aussi, Sylvio, reprend Sérénac. Et pas seulement à cause de ses brownies et de sa collection de barbecues.

Elle sourit.

— Lui aussi vous aime bien. Mais je ne sais pas si ça me rassure.

— Pourquoi ça ? Je pourrais avoir une mauvaise influence sur lui, c’est cela ?

Béatrice referme le châle sur elle et se penche vers les photos posées sur la table en plastique.

— Mmm. Il paraît que vous flashez sur une suspecte.

— Il vous a dit ça ?

— C’est son seul défaut. Comme tous les grands timides, il est un peu trop bavard sur l’oreiller.

— Mangue ? crie la voix d’outre-cave de Sylvio.

— Oui, s’il n’y a que ça. Mais bien frais.

Elle sourit à Sérénac :

— Ne me jugez pas comme cela, Laurenç. Je peux bien en profiter encore quelques jours, non ?

L’inspecteur hoche une tête de sphinx. Hyper-sexy mais super-chiante, la femme enceinte.

— Il n’y en avait qu’un, fait Laurenç. Vous l’avez déniché.

— Je suis d’accord, inspecteur !

— Un petit manque de fantaisie, non ?

— Même pas !

Sylvio revient, porteur d’un grand verre à cocktail, décoré d’une paille, d’un petit palmier et d’une rondelle d’orange. Béatrice l’embrasse avec tendresse sur les lèvres.

— Et moi, dit Sérénac, c’est parce que je suis trempé que je n’ai pas soif, probablement…

— Désolé, patron. Vous voulez quoi ?

— Tu as quoi ?

— Une bière, ça va ?

— Ouais, parfait. Bien fraîche, hein. J’aimerais bien aussi un palmier et une paille.

Béatrice tient le châle d’une main et suce sa paille de l’autre.

— Sylvio, dis-lui qu’il peut aller se faire foutre…

Bénavides se fend d’un large sourire.

— Brune, blonde ou blanche ?

— Brune.

Sylvio disparaît à nouveau dans la maison. Béatrice se penche vers les photographies.

— Alors c’est elle, l’institutrice ?

— Oui.

— Je vous comprends, inspecteur. Elle est vraiment, comment dire… élégante. Délicieuse. On dirait qu’elle sort tout droit d’un tableau romantique. Qu’elle pose, presque.

La réflexion surprend Laurenç. Curieusement, il s’était fait la même, lors de sa rencontre avec l’institutrice. Béatrice regarde les autres clichés avec insistance, écarte le rideau de cheveux devant ses yeux et fronce délicatement ses sourcils.

— Inspecteur, vous voulez que je vous fasse une révélation ?

— Ça a un rapport avec l’affaire ?

— Oui. Il y a quelque chose d’assez évident sur ces photos. En tout cas, quelque chose qu’une femme devine assez facilement.

- 19 -

Par la lucarne ronde, Stéphanie Dupain détaille depuis quelques minutes les ombres mouillées des dernières silhouettes qui marchent dans Giverny, puis se recule d’un mètre. Sa robe noire glisse le long de son corps. Jacques est couché à côté, dans le lit, torse nu. Il lève les yeux de son bulletin de maisons en vente dans l’arrondissement des Andelys. Leur chambre est mansardée, une petite ampoule pend le long d’une poutre de chêne et éclaire faiblement la pièce dans une lumière boisée.

La peau nue de Stéphanie prend une teinte acajou. Elle se penche à nouveau vers la lucarne, regarde la nuit descendre sur la rue, la place de la mairie, les tilleuls, la cour de l’école.

Tout le monde va te voir, pense Jacques en levant les yeux de son prospectus. Il se tait. Stéphanie colle sa peau aux carreaux. Elle est nue, à l’exception d’un soutien-gorge, d’un slip noir et de ses bas gris.

Elle chuchote d’une voix lasse :

— Pourquoi est-ce qu’il pleut toujours lors des enterrements ?

Jacques pose son magazine.

— Je ne sais pas. Il pleut souvent, à Giverny, Stéphanie. Parfois aussi lors des enterrements. On s’en souvient davantage… On croit se rappeler…

Il regarde longuement Stéphanie.

— Tu viens te coucher ?

Elle ne répond pas et se recule de quelques pas, lentement. Elle pivote sur ses pieds et s’observe de trois quarts dans le reflet de la lucarne.

— J’ai grossi. Tu ne trouves pas ?

Jacques sourit.

— Tu veux rire. Tu es…

Il cherche le meilleur mot pour désigner ce qu’il ressent : ces longs cheveux qui tombent en pluie sur ce long dos de miel ; ces ombres qui épousent la moindre de ses courbes.

— Une vraie madone…

Stéphanie sourit. Elle passe les mains dans son dos, dégrafe son soutien-gorge.

— Non, Jacques… Une madone est belle parce qu’elle a des enfants.

Elle suspend le sous-vêtement sur un cintre accroché à un clou dans la poutre. Elle se retourne, sans même baisser les yeux vers Jacques, et s’assoit au bord du lit. Alors que ses doigts enroulent lentement un bas le long de sa cuisse, Jacques faufile une main sous les draps, la remonte sur le ventre plat. Plus sa femme se penche, mi-cuisse, jambe, cheville, et plus ses seins se collent à son bras.

— À qui voudrais-tu plaire, Stéphanie ?

— À personne. À qui veux-tu que je plaise ?

— À moi… Stéphanie. À moi.

Stéphanie ne répond pas. Elle se glisse sous les draps. Jacques hésite, finit par oser :

— Je n’ai pas aimé la façon dont le flic t’a regardée pendant tout le temps de l’enterrement de Morval. Vraiment pas…

— Ne recommence pas… Par pitié.

Elle lui tourne le dos. Jacques l’entend respirer doucement.

— Demain, Philippe et Titou m’ont invité à aller chasser, sur le plateau de la Madrie, en fin d’après-midi. Ça te dérange ?

— Non. Bien sûr que non.

— Tu es certaine ? Tu ne veux pas que je reste ?

Respiration. Seulement le dos de sa femme et sa respiration.

Insupportable.

Il pose au pied du lit son magazine, puis demande :

— Tu veux lire ?

Stéphanie lève les yeux vers la table de nuit. Un seul livre y est posé. Aurélien. De Louis Aragon.

— Non, pas ce soir, tu peux éteindre.

La nuit tombe sur la chambre.

Le slip noir glisse sur le sol.

Stéphanie se retourne vers son mari.

— Fais-moi un enfant, Jacques. Je t’en supplie.

- 20 -

L’inspecteur Sérénac dévisage Béatrice avec insistance. Il a du mal à deviner ce qui se cache derrière son sourire ironique. La véranda prend des allures de salle d’interrogatoire. La femme de Sylvio Bénavides grelotte un peu sous son châle.