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Peintures d’origine contrôlée !

From Giverny. Near Giverny. Normandy.

— Ici, précise Stéphanie dans un sourire un peu étrange, ce sont les pierres et les fleurs qui voyagent… Pas les habitants !

Ils traversent le chemin du Roy. La rivière qui coule sous le pont pour s’échapper sous une voûte de brique, vers le moulin des Chennevières, apporte un semblant de fraîcheur. Stéphanie s’arrête, quelques mètres devant le moulin.

— Cette maison bizarre m’a toujours attirée. Vraiment. Je ne sais pas pourquoi…

— Je peux faire une suggestion ? demande Sérénac.

— Allez-y…

— Vous vous souvenez, le livre que vous m’avez confié. Aurélien, d’Aragon. J’ai passé une bonne partie de la nuit en sa compagnie. Aurélien et Bérénice… Leur amour impossible… Dans les chapitres givernois, Bérénice réside dans un moulin. Aragon ne précise pas lequel, mais si l’on suit à la lettre ses descriptions, cela ne peut être que celui-ci.

— Vous croyez ? Vous pensez que c’est dans ce moulin qu’Aragon fait se morfondre la mélancolique Bérénice, partagée entre ses deux amours, la raison et l’absolu…

— Chut… Ne me racontez pas la fin !

Ils s’avancent vers le grand portail de bois. Il est ouvert. Un léger vent court le long de la vallée. Stéphanie tremble un peu. Laurenç résiste à l’envie de la prendre dans ses bras.

— Désolé pour Aragon, Stéphanie, mais pour le flic qui sommeille en moi, ce moulin est surtout la maison la plus proche du lieu de l’assassinat de Jérôme Morval…

— Ça, c’est votre affaire… Mes compétences s’arrêtent à celles de guide touristique… Si vous voulez savoir, ce moulin possède une longue histoire. Sans lui, d’ailleurs, le jardin de Monet n’aurait jamais existé, ni même les « Nymphéas ». Le ru est en réalité un bief creusé par les moines au Moyen Âge, pour alimenter le moulin. Le ru passait un peu en amont par un champ, que Monet achètera, des siècles plus tard, pour y creuser son étang…

— Et ensuite ?

— Le moulin a longtemps appartenu à John Stanton, un peintre américain qui, paraît-il, tenait mieux la raquette de tennis que les pinceaux. Mais depuis toujours, sans que l’on sache vraiment pourquoi, pour les enfants du village, le moulin de Chennevières, c’est le moulin de la sorcière.

— Brr…

— Regardez, Laurenç… Suivez mon doigt.

Stéphanie lui prend la main. Il se laisse faire, avec délice.

— Observez l’immense cerisier, au milieu de la cour. C’est un arbre centenaire ! Le jeu des enfants de Giverny, depuis des générations, c’est d’entrer dans la cour et de voler les cerises…

— Mais que fait la police !

— Attendez, regardez encore. Vous voyez, dans les feuilles, ces reflets brillants dans le soleil ? Ce sont des bandes de papier d’argent. De simples papiers argentés découpés en rubans. C’est tout bête. Ils servent à éloigner les oiseaux, des prédateurs pour les cerises bien plus dangereux que les gosses du coin. Mais pour les petits garçons du village, il est un geste beaucoup plus chevaleresque que de venir dérober des fruits dans le cerisier…

Les yeux mauves de Stéphanie pétillent de fantaisie, comme ceux d’une jeune adolescente. Le plus lumineux des « Nymphéas » de Monet ! Toute mélancolie semble en avoir disparu. Elle continue, sans laisser le temps à l’inspecteur de répondre :

— Le chevalier doit courir voler quelques-uns de ces rubans d’argent et les offrir à la princesse de son cœur, pour nouer ses cheveux.

Elle rit tout en portant la main de Laurenç jusqu’à son chignon improvisé…

— Les pièces à conviction, inspecteur…

Les doigts de Laurenç Sérénac se perdent dans les longs cheveux châtains. Il hésite à appuyer son geste. Il est impossible que Stéphanie ne perçoive pas son trouble.

Que cherche-t-elle ? Quelle est la part d’improvisation ? Quelle est la part de préméditation ?

Les papiers d’argent qui retiennent discrètement la coiffure de l’institutrice crissent sous ses doigts. Il retire sa main comme si elle menaçait de prendre feu. Il sourit, bafouille, il doit avoir l’air idiot.

— Vous êtes une fille étonnante, Stéphanie… Vraiment. Porter des rubans d’argent dans vos cheveux ! Je suppose qu’il est indiscret de vous demander quel chevalier servant vous les a offerts ?

Elle replace ses cheveux avec naturel.

— Je peux juste vous dire, pour vous rassurer, qu’il ne s’agit pas de Jérôme Morval ! Ce n’était pas du tout son genre, ce romantisme de gamine. Mais n’allez pas imaginer des mystères où il n’y en a pas, inspecteur. Dans une classe, il y a beaucoup de petits garçons qui aiment offrir des cadeaux à leur maîtresse. Nous continuons ?

Ils avancent de quelques pas le long du ruisseau et parviennent juste en face du lavoir, au lieu précis où, quelques jours auparavant, le corps de Jérôme Morval gisait dans l’eau.

Ils y pensent, forcément.

Le silence s’insinue entre eux. Stéphanie tente une diversion :

— C’est Claude Monet qui a offert ce lavoir au village. Celui-ci, comme plusieurs autres dans la commune. Il essayait, par ses dons, de se faire accepter par les paysans…

Sérénac ne répond pas. Il s’éloigne d’un pas, s’amuse à suivre des yeux la danse des plantes aquatiques au fond du ruisseau. Sa voix claque :

— Je dois vous le dire, Stéphanie, votre mari est en train de devenir le principal suspect de cette enquête.

— Pardon ?

La fantaisie d’adolescente s’est envolée comme un oiseau effrayé.

— Je tenais juste à vous mettre au courant. Ces rumeurs entre vous et Morval… Sa jalousie…

— C’est ridicule ! À quoi jouez-vous, inspecteur ? Je vous ai déjà dit qu’entre moi et…

— Je sais, mais…

De ses pieds, il fouille la boue près des berges. La pluie d’hier a effacé toute trace de pas.

— Est-ce que votre mari possède des bottes, Stéphanie ?

— Vous posez souvent des questions aussi stupides ?

— Des questions de flic. Je suis désolé… mais vous ne m’avez pas répondu.

— Bien entendu, Jacques possède des bottes. Comme tout le monde. Il doit même les avoir aux pieds en ce moment, il chasse avec des amis.

— Ce n’est pas du tout la saison de la chasse, pourtant…

La réponse de l’institutrice est sèche et précise :

— Le propriétaire du coteau au-dessus du sentier de l’Astragale, Patrick Delaunay, a obtenu une autorisation de destruction des lapins de garenne en dehors des réserves de chasse et des périodes ordinaires. Les lapins pullulent sur les pelouses calcaires. Vos hommes pourront vérifier, il y a un dossier à la Direction départementale de l’agriculture, avec la liste des parcelles concernées, des dégâts provoqués par les animaux nuisibles et des chasseurs que Delaunay déclare s’adjoindre pour les destructions. En fait, tous ses amis de Giverny, dont mon mari. Tout se négocie, inspecteur. Ainsi, ils mitraillent toute l’année en toute légalité.