Ils passèrent enlacés dans un corridor:
«Que signifie, demanda Mony, cette phrase que m’a dite le portier: “Le général est en train de tremper sa mouillette dans son œuf à la coque”?
– Regarde,» répondit Hélène, et par une porte entrouverte qui laissait voir dans le cabinet de travail du général, Mony aperçut son chef debout et en train d’enculer un petit garçon charmant. Ses cheveux châtains bouclés lui retombaient sur les épaules. Ses yeux bleus et angéliques contenaient l’innocence des éphèbes que les dieux font mourir jeunes parce qu’ils aiment. Son beau cul blanc et dur semblait n’accepter qu’avec pudeur le cadeau viril que lui faisait le général qui ressemblait assez à Socrate.
«Le général, dit Hélène, élève lui-même son fils qui a douze ans. La métaphore du portier était peu explicite car, plutôt que de se nourrir lui-même, le général à trouvé cette méthode convenable pour nourrir et orner l’esprit de son rejeton mâle. Il lui inculque par le fondement une science qui me paraît assez solide, et le jeune prince pourra sans honte, plus tard, faire bonne figure dans les conseils de l’Empire.
– L’inceste, dit Mony, produit des miracles.»
Le général semblait au comble de la jouissance, il roulait des yeux blancs striés de rouge.
«Serge, s’écriait-il d’une voix entrecoupée, sens-tu bien l’instrument qui, non satisfait de t’avoir engendré, a également assumé la tâche de faire de toi un jeune homme parfait? Souviens-toi, Sodome est un symbole civilisateur. L’homosexualité eût rendu les hommes semblables à des dieux et tous les malheurs découlèrent de ce désir que les sexes différents prétendent avoir l’un de l’autre. Il n’y a qu’un moyen aujourd’hui de sauver la malheureuse et sainte Russie, c’est que, philopèdes, les hommes professent définitivement l’amour socratique pour les encroupés, tandis que les femmes iront au rocher de Leucade prendre des leçons de saphisme.»
En poussant un râle de volupté, il déchargea dans le cul charmant de son fils.
VI
Le siège de Port-Arthur était commencé. Mony et son ordonnance Cornaboeux y étaient enfermés avec les troupes du brave Stoessel.
Pendant que les Japonais essayaient de forcer l’enceinte fortifiée de fils de fer, les défenseurs de la place se consolaient des canonnades qui menaçaient de les tuer à chaque instant, en fréquentant assidûment les cafés chantants et les bordels qui étaient restés ouverts.
Ce soir-là, Mony avait copieusement dîné en compagnie de Cornaboeux et de quelques journalistes. On avait mangé un excellent filet de cheval, des poissons pêchés dans le port et des conserves d’ananas; le tout arrosé d’excellent vin de Champagne.
À vrai dire, le dessert avait été interrompu par l’arrivée inopinée d’un obus qui éclata, détruisant une partie du restaurant et tuant quelques-uns des convives. Mony était tout guilleret de cette aventure, il avait, avec sang-froid, allumé son cigare à la nappe qui avait pris feu. Il s’en allait avec Cornaboeux vers un café-concert.
Ce sacré général Kokodryoff, dit-il en chemin, était un stratège remarquable sans doute, il avait deviné le siège de Port-Arthur et vraisemblablement m’y a fait envoyer pour se venger de ce que j’avais surpris ses relations incestueuses avec son fils. De même qu’Ovide j’exprime le crime de mes yeux, mais je n’écrirai ni les Tristes ni les Pontiques. Je préfère jouir du temps qui me reste à vivre.
Quelques boulets de canon passèrent en sifflant au dessus de leur tête, ils enjambèrent une femme qui gisait coupée en deux par un boulet et arrivèrent ainsi devant Les Délices du Petit Père.
C’était le beuglant chic de Port-Arthur. Ils entrèrent. La salle était pleine de fumée. Une chanteuse allemande, rousse, et de chairs débordantes, chantait avec un fort accent berlinois, applaudie frénétiquement par ceux des spectateurs qui comprenaient l’allemand. Ensuite quatre girls anglaises, des sisters quelconques, vinrent danser un pas de gigue, compliqué de cake-walk et de matchiche. C’étaient de fort jolies filles. Elles relevaient haut leurs jupes froufroutantes pour montrer un pantalon garni de fanfreluches, mais heureusement le pantalon était fendu et l’on pouvait apercevoir parfois leurs grosses fesses encadrées par la batiste du pantalon, ou les poils qui estompaient la blancheur de leur ventre. Quand elles levaient la jambe, leurs cons s’ouvraient tout moussus. Elles chantaient:
My cosey corner girl
et furent plus applaudies que la ridicule fräulein qui les avait précédées.
Des officiers russes, probablement trop pauvres pour se payer des femmes, se branlaient consciencieusement en contemplant les yeux dilatés ce spectacle paradisiaque au sens mahométan.
De temps en temps, un puissant jet de foutre jaillissait d’un de ces vits pour aller s’aplatir sur un uniforme voisin ou même dans une barbe.
Après les girls, l’orchestre attaqua une marche bruyante et le numéro sensationnel se présenta sur la scène. Il était composé d’une Espagnole et d’un Espagnol. Leurs costumes toréadoresques produisirent une vive impression sur les spectateurs qui entonnèrent un Bojé tsaria Krany de circonstance.
L’Espagnole était une superbe fille convenablement disloquée. Des yeux de jais brillaient dans sa face pâle d’un ovale parfait. Ses hanches étaient faites au tour et les paillettes de son vêtement éblouissaient.
Le torero, svelte et robuste, tortillait aussi une croupe dont la masculinité devait avoir sans doute quelques avantages.
Ce couple intéressant lança d’abord dans la salle, de la main droite, tandis que la gauche reposait sur la hanche cambrée, une couple de baisers qui firent fureur. Puis, ils dansèrent lascivement à la mode de leur pays. Ensuite l’Espagnole releva ses jupes jusqu’au nombril et les agrafa de façon à ce qu’elle resta ainsi découverte jusqu’à l’ornière ombilicale. Ses longues jambes étaient gainées dans des bas de soie rouge qui montaient jusqu’aux trois quarts des cuisses. Là, ils étaient attachés au corset par des jarretelles dorées auxquelles venaient se nouer les oies qui retenaient un loup de velours noir plaqué sur les fesses de façon à masquer le trou du cul. Le con était caché par une toison d’un noir bleu qui frisottait.
Le torero, tour en chantant, sortit son vit très long et très dur. Ils dansèrent ainsi, ventre en avant, semblant se chercher et se fuir. Le ventre de la jeune femme ondulait comme une mer soudain consistante, ainsi l’écume méditerranéenne se condensa pour former le ventre pur d’Aphrodite.