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– Non: c’était son oncle.

– Gille! Monsieur l’intendant! Il m’horripile, cet homme, avec sa face de squelette. Mais suffit, puisque je dois lui couper les oreilles!… Ah! mon pauvre ami, te voilà en triste posture, dans ton armoire! Comment en sortiras-tu?

– Vous allez voir, mon père. Donc, c’était l’intendant qui arrivait. Je l’ai compris tout de suite, aux premiers mots de Jeannette. Et voici la conversation que j’ai surprise:

– Jeannette, dit l’intendant, les prisonnières ne t’ont rien dit ce matin?

– Les prisonnières! s’exclama sourdement le vieux Pardaillan.

– Oui, mon père. Telle fut la question de l’intendant. Et si vous en êtes ému, j’en fus, moi, presque défaillant dans mon armoire. Et mon cœur battait si fort que c’est miracle que l’intendant ne l’ait pas entendu! Du moins, cela me sembla ainsi sur le moment.

Ici le chevalier avala un verre de vin, essuya son front moite de sueur, puis continua:

– Non, monsieur l’intendant, elles ne m’ont rien dit, répondit Jeannette. Pas plus ce matin que les autres jours, d’ailleurs. Ces dames sont bien tristes, voilà tout ce que je puis vous dire.

– J’espère, reprit l’intendant, que tu n’as soufflé mot à personne de la présence de ces étrangères dans l’hôtel, à personne, pas même à mon neveu!

– Oh! monsieur, vous m’avez tant menacée, qu’il n’y a pas de danger que j’en parle.

– Bon! Souviens-toi que monseigneur te fera une bonne dot si tu es bien sage, si tu obéis…

– Monseigneur est trop bon. C’est mon devoir d’obéir, et je ne mérite pas de récompense pour cela.

– Très bien, ma fille. Tu es digne d’épouser Gillot et tu l’épouseras. N’oublie pas de bien remarquer ce qu’elles font et ce qu’elles disent, tout à l’heure, quand tu leur porteras le dîner.

– Oh! monsieur, c’est tout vu, tout remarqué. Ces dames pleurent, et c’est à peine si elles mangent. Elles me font pitié, tenez. C’est toujours pour moi un triste moment que celui où je leur porte à manger.

– Bon! C’est aujourd’hui le dernier jour, Jeannette. Demain, elles ne seront plus ici. Monseigneur les rend à la liberté. Tu comprends, Jeannette, ce sont des parentes du maréchal. Il voulait faire épouser à la plus jeune un beau parti dont la donzelle ne veut pas. Il a fait tout ce qu’il a pu pour la décider. Mais puisqu’elles sont aussi obstinées, la fille et la mère, ma foi, il y renonce. Et il les renvoie… tout cela, entre nous, tu comprends?

– Soyez donc tranquille, monsieur. Je suis contente que ces dames s’en aillent…

– Dès ce soir, elles partiront. Monseigneur est à bout de patience. Allons, au revoir, Jeannette, tu es une fille intelligente, et tu épouseras Gillot.

– Oui! compte là-dessus, vieux fou! interrompit Pardaillan père. Cette Jeannette m’a l’air d’une gaillarde bien trop futée pour épouser ce dadais de Gillot. Si je lui coupais les oreilles à celui-là aussi? Mais continue, mon fils. Ton récit me paraît fameux, si ce n’est qu’il me donne soif à force de me donner des émotions. Et quelles étaient ces parentes… ces prisonnières?

– Vous allez le savoir, mon père, continua le chevalier, tandis que le routier cassait le goulot d’une nouvelle bouteille. À peine eus-je compris que l’intendant du diable s’était éloigné que je sortis de mon armoire…

– Vite, me dit Jeannette, allez-vous en maintenant. Vous reviendrez demain matin si… si je vous plais.

– Tu me plais, Jeannette. Et c’est pourquoi je reste. Pourquoi veux-tu que je m’en aille?

– Parce que c’est l’heure… l’heure où mon prétendu vient me faire sa cour. Allez-vous en, je vous en supplie. S’il vous voyait, toute la maison accourrait à ses cris. Vous ne savez pas combien cet hôtel est bien gardé. Les domestiques eux-mêmes s’espionnent les uns les autres.

– Jeannette, lui dis-je résolument, je ne m’en irai pas…

– Et Gillot qui va venir…

– Gillot du diable! gronda le vieux Pardaillan. Si je te tenais.

– Non seulement je ne m’en irai pas, poursuivit le chevalier, mais tu vas me conduire…

– Où donc?

– Où cela? Chez les dames dont parlait l’intendant… chez les parentes… les prisonnières!

– Ah! pour le coup, vous êtes fou, s’écrie Jeannette. Et voici qu’elle avise de me demander qui je suis, après tout, et ce que je viens faire dans l’hôtel. J’insiste pour qu’elle me conduise. Elle se dérobe et refuse avec violence. Bref, je m’aperçois que j’ai été trop vite en besogne et que j’ai perdu d’un coup le terrain gagné. J’étais désespéré. Et je ne comprenais rien à l’attitude de ma nouvelle amie, lorsque tout à coup elle s’écrie amèrement:

– C’est sans doute que vous aimez cette demoiselle et qu’elle vous aime! Je comprends maintenant qu’elle ne veuille pas épouser le parti que lui destine monseigneur. Mais ne comptez pas sur moi pour vous aider!

Là-dessus, elle se met à pleurer. Un éclair traverse mon cerveau… Jeannette était jalouse!

– Bonne petite fille! dit Pardaillan père.

– Alors, continua le chevalier, je m’empresse de la rassurer. Je lui jure que la demoiselle aime un haut personnage qui m’envoie pour tâcher de lui parler… Comment veux-tu, ajoutai-je, que cette demoiselle, une Montmorency, aime un pauvre diable comme moi, un cousin d’aubergiste, un aventurier sans sou ni maille… Ce raisonnement la frappe plus que tous mes serments.

– C’est tout de même juste! s’écrie-t-elle.

– Ah! ah! fit le vieux Pardaillan en éclatant de rire, la fable était bonne.

Le chevalier, sombre et tremblant, demeura une minute silencieux.

– Mon père, dit-il, que dites-vous de l’opinion de cette fille?

– Quelle opinion? Celle qu’une Montmorency ne peut aimer un Pauvre diable comme toi?

– Oui, monsieur.

Le vieux Pardaillan haussa les épaules en vidant un verre de vin.

– Je dis que c’est l’opinion d’une toute petite fille et d’un tout petit garçon. Sache une chose: l’amour ignore les distances, si toutefois il y a distance. Il n’est si grande dame qui ne consente à épouser un petit clerc si le clerc lui paraît à son goût. Mais, reprit tout à coup le routier, l’une des prisonnières est donc une Montmorency?

– Oui, monsieur.

– Voilà qui devient particulier, fit le vieux Pardaillan pensif. Continue. Ton récit m’intéresse de plus en plus.

– Donc, reprit le chevalier avec un soupir, une fois que Jeannette fut bien convaincue que Montmorency ne pouvait aimer un pauvre hère tel que moi, elle finit peu à peu par se rendre à ce que je lui demandais. Mais elle ajouta qu’elle ne pourrait me conduire chez les prisonnières qu’au soir, vers huit heures. Je flairais une feinte et supposais que Jeannette allait me prier de revenir le soir, lorsqu’elle termina en rougissant quelque peu:

– D’ici là, monsieur, vous resterez dans ma chambre, où je vais vous conduire et où je vous apporterai à manger. Ce que j’en fais, c’est par grande pitié pour cette demoiselle qui pleure à fendre l’âme, et je serais bien contente de l’avoir aidée à épouser qui elle aime… Dépêchons-nous, car Gillot ne va pas tarder maintenant.