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Là-dessus, je la remercie du mieux que je peux. Elle me fait jurer que je me souviendrai du service qu’elle me rend. Je le lui jure bien volontiers. Alors elle me dit de la suivre. Elle traverse vivement le vestibule, je la suis. Elle ouvre une porte et pénètre dans un couloir obscur en forme de voûte. Je continue à la suivre. Tout à coup, à l’autre bout du couloir, apparaît quelqu’un…

– Encore le damné Gille! s’écria le vieux Pardaillan.

– Non, monsieur, c’était Gillot!

– Aussi détestables, aussi pendables l’un que l’autre. Ah! mon pauvre chevalier, pour le coup, tout a été découvert, hein? Comment t’en es-tu tiré?

– Vous allez voir, mon père! J’avais remarqué dans le couloir, à droite, un renfoncement que je venais de dépasser de deux ou trois pas. Dans le renfoncement, il y avait une porte. Tandis que Jeannette s’arrête pétrifiée, moi, me dissimulant vers elle, je rétrograde jusqu’au renfoncement. Jeannette tourne la tête et voit mon opération. Elle se met à causer à voix très haute avec Gillot qui arrivait. Pendant ce temps, j’ouvre et je me trouve au haut de l’escalier des caves! Je repousse doucement la porte et j’écoute.

– Et où vas-tu comme ça, Gillot?

– D’abord à l’office pour t’embrasser, Jeannette.

Ici j’entends le bruit d’un baiser.

– Ensuite? reprend la fille.

– Ensuite, tu sauras que l’oncle Gille m’a donné l’ordre de préparer pour ce soir la grande chaise à mantelets avec deux bons chevaux, le tout bien attelé pour onze heures du soir. Et comme la chaise n’a pas servi depuis longtemps, et que je vais passer deux bonnes heures à la mettre en état, je vais chercher une bouteille pour me mettre en train.

– Quoi! Tu vas à la cave? Mais si l’officier des caves l’apprend?

– Bah! qui le lui dira? Pas toi, j’espère!

– Mais la porte est fermée!

– Je l’ai ouverte tout à l’heure, Jeannette.

– Bon! Viens-t’en un peu avec moi à l’office. Tu as bien le temps.

– Non pas, peste! Il faut que je me hâte de remettre la clef en place.

Là-dessus, la porte s’ouvre et j’entrevois Jeannette effrayée qui se cache le visage dans ses deux mains. J’avais commencé à descendre à reculons. À mesure que Gillot s’avance, je recule d’une marche. Enfin, me voilà en bas, et je m’aplatis contre la muraille, dans l’espoir que Gillot ne me verra pas, et que je pourrai remonter tandis qu’il cherchera son vin. Mais voilà cet imbécile qui allume un flambeau!

– Ouf! s’écria le vieux Pardaillan.

– Il m’aperçoit et demeure un instant atterré, avec des yeux tout ronds de frayeur. Enfin, l’esprit lui revient, et il veut pousser un grand cri. Mais trop tard! Je l’avais déjà saisi à la gorge. Il était temps!… Car au même instant, j’entends au haut de l’escalier une voix qui bougonne contre la négligence de l’officier des caves! C’était l’oncle Gille qui refermait la porte à clef!… Jeannette s’était sauvée sans doute.

– Diable! diable! grommela le vieux Pardaillan. Ce misérable intendant! Je regrette qu’il n’ait que deux oreilles… Ainsi, te voilà enfermé dans la cave!… Je me demande comment tu vas faire, par exemple!

– Mais, monsieur, puisque me voici près de vous, fit le chevalier avec son sourire naïf et moqueur, c’est que j’en suis sorti!

– C’est vrai, c’est vrai; n’empêche que j’en ai la chair de poule à te savoir dans cette cave…

– Bref, reprit le chevalier, la porte était bel et bien fermée à triple tour. Moi, je tenais toujours mon Gillot par la gorge pour l’empêcher de hurler. Tout à coup, je le vois qui du blanc passe au rouge et du rouge au violet. Alors je desserre. Il respire deux grands coups et se jette à mes pieds en disant:

– Grâce, monsieur le truand! Laissez-moi vivre, je ne vous dénoncerai pas!

– Il t’a pris pour un truand! s’écria le vieux routier.

– Il y avait de quoi, monsieur. Outre mon épée, j’avais un poignard et un pistolet à la ceinture. D’ailleurs, je n’ai eu garde de le détromper: mais pour plus de sûreté, je l’ai aussitôt bâillonné.

M. de Pardaillan père éclata de rire.

– Et tu dis, demanda-t-il, que ceci est arrivé vers quelle heure?

– Mais il pouvait être onze heures du matin, monsieur.

– Juste au moment où je bâillonnais maître Didier! Ah! Ils vont bien les Pardaillan! Et l’hôtel de Mesmes les aura promptement connus dans la même journée!

– Je ne vous comprends pas, mon père.

– Je te raconterai cela. Mais poursuis ton récit. Tu en étais au moment où tu bâillonnes Gillot…

– Oui. Vous pensez si j’étais inquiet. Une heure se passe, puis deux! Malgré mon inquiétude, je me sens alors gagné à la fois par la faim et par la soif.

– Pour ce qui concerne la soif, observa judicieusement le routier, tu n’avais rien à craindre, puisque tu étais aux sources mêmes, c’est-à-dire dans la cave.

– Juste, monsieur!

– Mais pour la faim, par exemple. Tu as dû regretter les fameux pâtés d’alouettes?

– Pas trop, car en parcourant les caves, j’ai découvert l’endroit où l’on met les jambons, et ma foi, je me suis nourri de jambon, à défaut de pâtés… Oui, mais voici qu’après avoir apaisé ma faim en mordant après la chair rose d’un jambon et ma soif en décoiffant un flacon, voici, dis-je, que la pensée me vient de donner à manger et à boire à mon prisonnier. Je me mets donc à sa recherche, et je le découvre où? au haut de l’escalier, au moment où il s’apprêtait à faire vacarme avec son poing et son pied sur la porte. D’un bond, je le rejoins, je le saisis, je l’entraîne, et je lui dis: Misérable! Tu voulais donc me livrer! Comme il était bâillonné, il ne put me répondre… Il tremblait de tous ses membres.

Alors j’ajoute: Tu mériterais de mourir de faim ici. Mais j’ai pitié de toi! Aussitôt, je le débâillonne, et lui octroie le restant de mon jambon qu’il se met à dévorer. Une fois son appétit calmé, je le bâillonne à nouveau, je me mets à le ficeler, le plus consciencieusement que je puis, et je l’allonge dans une sorte de soupente parmi les jambons et les saucissons, en sorte qu’il se trouvait là lui-même comme un saucisson…

– Fameux! fameux! s’écria le vieux Pardaillan enthousiasmé. Tu ne l’as pas enfumé, au moins?

– L’idée ne m’en est pas venue, monsieur. Bien tranquille désormais de ce côté, j’essaie alors d’ouvrir la porte. Mais c’était peine inutile. Pour comble, le flambeau consumé jette ses dernières lueurs et s’éteint. Me voilà dans une profonde obscurité, assis sur les marches de l’escalier, écoutant avec une profonde anxiété, attendant que quelque officier de cave vienne chercher du vin pour me frayer un passage au dehors, le pistolet d’une main, le poignard de l’autre. Mais les heures se passent. Je n’entends aucun bruit. Et songeant à ce qu’avait dit Gillot à Jeannette, songeant à cette voiture qui devait être prête pour onze heures, je me demande avec angoisse si les prisonnières vont être enlevées sans que je sache où on les conduit, sans que je puisse rien faire pour les délivrer!…

– Pauvre chevalier! interrompit le routier en riant.

– Vous riez, mon père? fit le chevalier avec une surprise non exempte de reproches.