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– Montmorency! s’écria Charles IX comme s’il n’eût pu en croire ses oreilles. Il aura entendu parler de la grande paix qui se fait. Et il veut cesser de bouder. Eh bien, qu’il entre!

Charles IX s’assit aussitôt dans un grand fauteuil de bois d’ébène sculpté richement. Et tous les assistants debout se rangèrent à droite et à gauche du fauteuil.

Alors, on vit la porte s’ouvrir toute grande, et les quatre pages du Maréchal entrèrent par deux, le poing sur la hanche, et se placèrent deux à droite, deux à gauche de la porte, dans une attitude raidie.

Puis le maréchal fit son entrée, suivi du chevalier de Pardaillan.

François de Montmorency s’arrêta à trois pas du fauteuil et s’inclina profondément.

Puis, se redressant, il attendit que le roi lui adressât la parole.

Charles IX contempla un instant en silence la noble tête du maréchal, campé dans une attitude de force et de dignité. Chétif et de santé délicate, il n’admirait pas sans amertume la haute taille et les larges épaules de son visiteur.

Les courtisans présents attendaient, pour déraidir leurs attitudes, que le roi eût parlé, prêts à sourire à Montmorency, ou prêts à l’insolence, selon que le maître l’accueillerait bien ou mal.

Seul, Henri de Guise fixait sur le maréchal un regard dédaigneux et presque haineux.

– L’ami des parpaillots! avait-il ricané à voix basse en le voyant entrer.

– Soyez le bienvenu, monsieur le maréchal, dit enfin Charles IX. Depuis si longtemps que vous avez déserté la cour de France, on pouvait craindre que vous ne fussiez mort; et parfois nous nous demandions si c’était bien le connétable votre père qui avait péri à Saint-Denis, ou si ce n’était pas vous… Je vous vois heureusement bien vivant et bien portant.

Ayant satisfait sa petite rancune par ces railleries anodines, Charles IX ajouta d’un ton plus sérieux:

– L’essentiel est que vous êtes là et que vous nous revenez enfin. Encore une fois, soyez le bienvenu.

Alors les courtisans, sauf Guise, adressèrent au maréchal leurs plus charmants sourires et un murmure de joie parcourut l’assistance, comme s’ils eussent éprouvé une inconcevable allégresse de ce retour.

– Sire, dit Montmorency, je suis venu supplier Votre Majesté de m’accorder audience.

– Vous l’avez… Parlez.

– Sire, j’entends l’honneur d’une audience particulière.

– Vous voulez me parler seul à seul?

– Si Votre Majesté veut bien y consentir.

– Eh bien, soit…

À peine le roi eut-il prononcé ce mot que tous les courtisans, y compris le duc d’Anjou, frère de Charles IX, s’inclinèrent ensemble et battirent en retraite vers la porte.

– Pourquoi ce jeune homme demeure-t-il? fit le roi en désignant Pardaillan.

Le chevalier tressaillit et ramena son regard sur Charles IX. En effet, une scène muette venait de se dérouler pendant que le maréchal et le roi échangeaient les quelques mots que nous venons de rapporter.

En entrant dans le cabinet, les yeux du chevalier s’étaient tout d’abord portés sur Quélus, Maugiron et Maurevert. Et il avait souri comme il savait sourire par moments, c’est-à-dire avec cette impertinence glaciale qui lui était particulière. Sans doute les deux mignons d’Anjou et Maurevert le reconnurent aussi, car ils se mirent à le dévisager d’un air fort insolent.

Le chevalier, d’un air imperceptible, se frotta le bras droit en fixant Maugiron. (On se rappelle que, dans la rencontre nocturne de la rue Saint-Denis, il avait blessé Maugiron au bras droit.)

Le mignon comprit parfaitement le geste et eut un regard furieux, auquel le chevalier répondit par un autre regard plein d’un candide étonnement… pourquoi cette colère, beau mignon?

Alors il se tourna vers Maurevert, et comme Maurevert le considérait d’un air de curiosité fort importante et provocante, le chevalier se caressa doucement la joue. (On se rappelle qu’il avait cravaché de son épée la joue dudit Maurevert en cette même rencontre, à telles enseignes que celui-ci en avait encore une estafilade rougeâtre.)

Le spadassin serra les poings et pâlit de rage.

– On se retrouvera, gronda-t-il à voix basse.

– Quand tu voudras! répondit Pardaillan sur le même ton!

En sortant du cabinet, Quélus et Maurigon se mirent à causer à voix basse avec le duc d’Anjou et celui-ci se tournant vers Pardaillan eut un sourire si menaçant que le pauvre chevalier s’écria en lui-même:

– Ouf!… Pour le coup, je suis mort! Reconnu par Monsieur, je ne sortirai pas d’ici vivant, à moins que ce ne soit pour aller au Temple ou à la Bastille!

Aussi, on pense bien que devant la question du roi, Pardaillan demeura effaré et bouche close. Montmorency se hâta de répondre:

– Sire, le chevalier de Pardaillan que voici est un témoin de ce que je vais dire. Je sollicite pour lui le même honneur que pour moi…

Charles IX fit un signe de tête approbatif.

– Ce n’est pas tout, sire, poursuivit alors le maréchal. Puisque je vois Votre Majesté si bien disposée à mon égard, j’oserai la supplier de donner des ordres pour que monsieur le maréchal de Damville soit mandé au Louvre toute affaire cessante.

– Mais c’est donc un conseil de famille que vous voulez tenir en notre présence?

– Oui, sire, dit François d’une voix singulière, un conseil de famille. Et comme le roi de France est le père de tous ses sujets, il est raisonnable que ce conseil se tienne en présence du père.

Charles IX connaissait très bien la haine qui divisait les deux frères. Mais cette haine, il en ignorait les causes. Il eut le pressentiment qu’il allait connaître ces causes que les deux maréchaux avaient tenues si secrètes pendant de longues années. La voix sombre et altière de François, la présence de ce témoin, la solennité de ces préparatifs, impressionnèrent, et il résolut d’aller jusqu’au bout dans cette aventure.

Il frappa donc avec un marteau d’argent, et son valet de chambre s’étant montré à l’instant, il demanda Cosseins, son capitaine des gardes.

– Votre Majesté a oublié qu’elle a donné congé à M. de Cosseins pour trois jours, dit le valet de chambre.

– C’est vrai, pardieu!

– Mais le capitaine des gardes de madame la reine mère est là, et si Votre Majesté le désire…

– Nancey?… Oui. Il fera tout aussi bien l’office.

Une minute plus tard, le capitaine de Nancey entrait dans le cabinet.

Quelle que fût la puissance de l’étiquette, Nancey, en apercevant le chevalier de Pardaillan qu’il avait arrêté lui-même et bel et bien conduit à la Bastille, s’arrêta frappé de stupeur, les yeux agrandis.

Pardaillan parut examiner avec une profonde attention une arquebuse accrochée à la muraille; puis comme Nancey continuait à le considérer, hypnotisé, le chevalier se décida à lui faire des yeux, du sourire et de la main, un petit signe amical, presque protecteur.

– Eh bien! fit le roi en fronçant les sourcils, que vous arrive-t-il Nancey?

– Pardon, sire, mille fois pardon! balbutia le capitaine, je viens d’avoir un éblouissement, un étourdissement…

– Si cela continue, songea Pardaillan, la chose deviendra si compliquée que je commencerai à avoir chance de m’en tirer!