– Oh! le démon! rugit-il en lui-même.
Et il balbutia:
– Commencez par où vous voudrez, monsieur!
– La victoire est à nous! pensa Pardaillan.
Et certain qu’avec la menace déguisée dont il venait de faire usage, il obtiendrait tous les aveux qu’il voulait, il ouvrait déjà la bouche pour commencer son récit, lorsque la porte du cabinet s’ouvrit soudain. Les paroles s’étranglèrent dans sa gorge, et il demeura les yeux fixés sur la personne qui venait d’apparaître.
– Qui ose entrer sans être mandé? gronda Charles IX. Comment! c’est vous, madame?…
C’était Catherine de Médicis.
Elle s’avança, laissant la porte ouverte.
Derrière elle, dans la pièce voisine, on pouvait voir le duc d’Anjou, ses mignons, le capitaine de Nancey et une douzaine de gardes.
– Voici l’orage! pensa Pardaillan qui jeta autour de lui un rapide regard.
La reine mère s’avançait avec ce sourire mince qui donnait à sa physionomie une si terrible expression de cruauté.
– Mais, madame, reprit Charles IX en pâlissant de colère, j’ai donné audience particulière à M. le maréchal de Montmorency, et nul ici, pas même vous, n’a le droit…
– Je le sais, sire, dit tranquillement Catherine; aussi a-t-il fallu une circonstance d’une extrême gravité pour que je me décide à commette une infraction dont vous me saurez gré, j’en suis sûre, quand je vous aurai dit qu’il y a ici un ennemi de la reine, votre mère, du duc d’Anjou, votre frère, et de vous-même!
Damville compris qu’il était sauvé et respira largement.
François, s’attendant à être accusé, redressa la tête avec hauteur.
Pardaillan demeura très calme.
– Que voulez-vous dire, madame? s’écria Charles IX qui au mot d’ennemi regardait déjà autour de lui avec ses yeux troubles où s’allumait une mauvaise lueur.
– Je veux dire qu’il y a ici quelqu’un à qui il a fallu une singulière audace pour oser pénétrer dans le Louvre, après avoir insulté le duc d’Anjou, votre frère, après avoir porté sur lui des mains criminelles, enfin, après m’avoir bafouée moi-même!
– Nommez-le! Nommez-le donc, par tous les diables!
– C’est celui qu’on appelle Pardaillan! Le voici!
– Holà! gronda le roi en se levant. Gardes!… capitaine, saisissez cet homme!
Avant que le roi eut achevé de parler, les mignons et Maurevert, devançant les gardes, s’élancèrent dans le cabinet en hurlant:
– Sus! sus! À mort!…
En même temps, ils avaient tiré leurs épées.
Quélus venait en tête. Derrière lui, Maugiron, Saint-Mégrin et Maurevert. Puis, Nancey et les gardes.
François et Henri étaient demeurés aussi stupéfaits l’un que l’autre; mais tandis que François songeait déjà à intercéder pour le chevalier, Henri, pâle de joie, comprenait que cet incident le sauvait.
Quant à Pardaillan, dès l’entrée de la reine, il s’était tenu sur ses gardes.
Son regard qui, dans ces occasions suprêmes, acquérait une intensité extraordinaire, embrassa la scène entière dans ses moindres détails. Dans le même instant inappréciable, il vit le roi debout, la reine qui, du doigt, le désignait pour l’arrestation, François de Montmorency qui commençait un geste vers Charles IX, Henri de Damville qui se reculait pour laisser place aux assaillants, et Quélus, flamberge au vent, qui hurlait et levait son épée.
Il vit tout cela, d’ensemble, comme dans les visions de certains rêves, où des personnages d’un relief étrange exécutent mille gestes tous perceptibles à la fois.
Et cela dura l’espace d’un éclair.
Dans l’instant qui suivit, on le vit saisir l’épée de Quélus, la lui arracher, la briser sur ses genoux et en jeter les morceaux à la figure des assaillants qui, devant cette chose énorme, inouïe, d’une rébellion en présence du roi, s’arrêtèrent, se regardèrent, stupides, puis, tous ensemble, foncèrent à nouveau.
Or, ce temps d’arrêt, si rapide qu’il eût été, avait suffi à Pardaillan pour concevoir et exécuter une de ces bravades folles auxquelles il semblait se complaire par fantaisie, par une sorte de dilettantisme à froid.
Quélus avait sa toque sur la tête… On entendit une voix d’un calme féroce, d’une ironie aiguë, proférer ces mots:
– Saluez donc la justice du roi!…
Quélus, en même temps, poussa un cri de douleur. Pardaillan venait de lui arracher sa toque, brisant les longues épingles d’or qui la fixaient, et par la même occasion, arrachant quelques poignées de cheveux.
La toque tomba aux pieds de Catherine.
Ce moment même était celui où tous les assaillants, après une seconde d’arrêt, se ruaient sur le chevalier.
Cinq ou six épées lui portèrent des coups furieux et ne frappèrent que le vide.
Son coup fait, Pardaillan, bondissant en arrière, avait sauté sur le rebord de la fenêtre en criant:
– Au revoir, messieurs…
Et il sauta!
La fenêtre était peu élevée.
Mais il y avait un fossé… un fossé plein d’eau, large et profond.
– Si je tombe à l’eau, pensa Pardaillan, je suis à jamais ridicule.
Un autre eût pensé: je suis perdu!
Pardaillan, avant de sauter le fossé qu’il mesura du regard, se ramassa sur lui-même, les muscles si convulsés que les veines de son front se gonflèrent sous l’effort. Il eut exactement l’attitude du lion qui va bondir.
Ses muscles se détendirent, pareils à de puissants ressorts.
Il sauta à l’instant précis où Maurevert et Maugiron atteignaient la fenêtre et allaient le saisir.
Ils le virent retomber à pieds joints sur le bord opposé du ruisseau, se retourner, tandis que, hurlants, ils montraient le poing, et grave, sans hâte, soulever son chapeau dans un grand geste, puis s’en aller, de son pas souple et tranquille.
– L’arquebuse! L’arquebuse! vociféra le duc d’Anjou.
Pardaillan entendit, mais ne se retourna pas.
Maurevert qui passait pour bon tireur saisit une arquebuse toute chargée, ajusta le chevalier.
La détonation retentit.
Pardaillan ne se retourna pas.
– Oh! le démon! gronda Maurevert. Je l’ai manqué!…
Et des bateliers qui descendaient la Seine virent avec étonnement cette fenêtre du Louvre à laquelle se montraient cinq ou six gentilshommes penchés, le poing tendu, hurlant d’apocalyptiques menaces.
À ce moment, le chevalier de Pardaillan tournait et disparaissait au coin.
Alors seulement, il se mit à courir.
Les quelques minutes qui suivirent furent; dans le cabinet royal, pleines de confusion et exemptes d’étiquette, chacun donnant son avis sans écouter celui du voisin.
– Morbleu! s’était écrié le duc de Guise, c’est le jeune sanglier du Pont de Bois!
Et en lui-même, il pensa: